Faut-il construire un train à grande vitesse entre Toronto et Québec ?

Le gouvernement Trudeau réfléchit actuellement à cette question à plusieurs dizaines de milliards. L’idée n’est pas nouvelle : on en parle depuis plus de 40 ans, sans jamais arriver à destination. Le projet a toujours suscité plusieurs critiques : son coût, évidemment, mais aussi la taille du marché ou encore notre climat nordique.

Ces interrogations sont-elles justifiées ? Prenons un pas de recul et voyons pourquoi il nous faut – absolument – un TGV au Canada.

1. Un marché assez gros

Sur le plan économique, c’est une anomalie que Montréal-Toronto n’ait pas de TGV. En Europe et dans les pays du G7, Toronto-Montréal est l’un des trois corridors les plus populeux/riches qui ne sont pas desservis par un TGV. Il y a un projet de TGV pour les deux autres (Los Angeles-San Francisco et Los Angeles-San Diego). En Europe, des corridors beaucoup moins populeux/riches que Toronto-Montréal (population des deux villes : 10,5 millions d’habitants) ont un TGV, par exemple Lyon-Marseille (4,2 millions d’habitants).

2. Bon pour le climat

Si on veut réduire nos émissions de CO2, il faudra changer nos habitudes de transport. Plus question de prendre l’avion, neuf fois plus polluant que le train, entre Toronto et Montréal, ou l’auto solo entre Québec et Montréal. « Avec les changements climatiques, le train est de loin le moyen de transport le plus responsable pour les plus longues distances », dit Pierre-Léo Bourbonnais, chercheur à la Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal. Pour opérer ce changement de mentalité, il faut que le train soit fréquent, spacieux, fiable et, surtout, assez rapide pour concurrencer les autres moyens de transport. Seul le TGV combine toutes ces qualités.

3. C’est cher, mais ça en vaut la peine

Oui, un TGV coûte plus cher qu’un train ordinaire. Mais ça en vaut la peine.

Le Canada a le pire système ferroviaire du G7 parce que les trains roulent sur les rails du CN et du CP, qui donnent la priorité à leurs trains de marchandises. Le gouvernement Trudeau veut changer ça et construire de nouvelles voies réservées aux trains de passagers entre Toronto et Québec.

Il y a deux options sur la table à Ottawa.

Option 1 : un train à grande fréquence (TGF). La vitesse moyenne des trains passerait de 85 km/h à 120 km/h. Le train irait à une vitesse maximale de 177 km/h. Coût du projet : entre 28 et 35 milliards. On ferait Montréal-Québec en 2 heures 50 minutes (26 minutes de moins qu’actuellement) et Montréal-Toronto en 4 heures 10 minutes (57 minutes de moins). Ce serait une amélioration importante par rapport à nos trains actuels. Mais on paie 30 milliards (le plus important projet d’infrastructures de l’histoire du pays !) sans obtenir de solution de rechange sérieuse à l’avion entre Montréal et Toronto ou à l’auto solo entre Québec et Montréal.

Option 2 : tout ce qu’on a énuméré à l’option 1, avec en prime un train à grande vitesse sur une partie importante du parcours. À notre avis, de façon réaliste, le train pourrait rouler à grande vitesse (entre 177 km/h et 300 km/h) sur 60 % du parcours (aéroport de Québec-Laval, puis Alexandria-Peterborough). Cette portion du tracé est idéale pour un TGV, car il y a de longues lignes droites et peu de grandes villes (donc moins d’expropriations).

Avec ce TGV 60 % du temps – qu’on baptisera le « demi-TGV » –, on obtient un temps de trajet beaucoup plus court qu’en voiture entre Québec et Montréal et équivalent à celui de l’avion entre Toronto et Québec.

Un TGV complet coûterait entre 65 et 80 milliards, a évalué Ottawa. Notre « demi-TGV » coûterait 62 milliards, selon nos calculs.

Mieux vaut dépenser 62 milliards pour faire une véritable révolution en transport collectif que 35 milliards pour des améliorations modestes. On parle ici d’infrastructures de transport qu’on utilisera pendant au moins 50 ans.

IMAGE TIRÉE DU JOURNAL LES AFFAIRES

Une publicité de GEC Alsthom et Bombardier pour promouvoir la construction d’un TGV entre Montréal et Québec publiée dans le journal Les Affaires du 16 janvier… 1993

Pourquoi ça coûte plus cher ?

Pour un TGV, il faut adapter le tracé pour réduire les courbes et construire, pour des raisons de sécurité, des viaducs pour faire passer le train dans les villes. Alors qu’à moins de 177 km/h, la réglementation fédérale permet à un train de passer avec un passage à niveau, et non un viaduc.

4. Le Canada est peu endetté

Le Canada étant le pays le moins endetté du G7, il peut largement se permettre cet investissement de 62 milliards. Rassurez-vous, on ne paie pas cette somme d’un seul coup. On l’emprunte sur 10 ans, le temps qu’il faudra pour le construire. Le fédéral investit actuellement 15 milliards par an en infrastructures. Avec un TVG construit sur 10 ans, cette somme passerait à 21,2 milliards par an. Ça ne met pas en péril les finances publiques fédérales.

Il y a aussi des coûts à ne pas construire de TGV, rappelle Pierre Barrieau, expert en planification des transports et chargé de cours à l’Université de Montréal. « La perte de compétitivité économique, les hausses d’émissions de CO2, la congestion routière, les investissements dans les infrastructures nécessaires pour compenser l’absence de TGV », dit-il.

5. Le mythe du méchant hiver canadien

Impossible d’opérer un TGV en hiver ? Ce n’est pas vrai. Il y a des TGV entre la Russie et la Finlande (jusqu’à 220 km/h), ainsi qu’à Sapporo au Japon où il neige encore plus qu’au Québec. Vrai, la température est plus froide au Québec qu’au Japon. Les experts en conviennent : l’hiver canadien n’est pas un obstacle insurmontable pour construire un TGV, mais il faudrait faire des ajustements (par exemple : réduire la vitesse l’hiver). En fait, dame Nature cause davantage de problèmes aux TGV durant les épisodes de grande chaleur l’été : il faut alors réduire leur vitesse en raison de la chaleur sur les rails.

6. Le mythe du prix trop élevé des billets

Le prix des billets de TGV serait trop élevé, répètent les détracteurs d’un TGV canadien. C’est oublier un élément fondamental : au Canada, on paie souvent des prix TGV pour nos trains VIA Rail qui sont de deux à trois fois moins rapides. Au prorata de la distance parcourue (sans égard à la vitesse), un trajet Québec-Montréal au tarif ordinaire coûte presque aussi cher que des trajets TGV comme Tokyo-Kyoto ou Paris-Amsterdam, et beaucoup plus cher que des trajets TGV comme Paris-Marseille et Rome-Milan. Par surcroît, le fédéral subventionne 42 % des dépenses d’opération de VIA Rail dans le corridor Québec-Toronto. Selon le projet du gouvernement Trudeau, les prix resteraient au même niveau (plus l’inflation). Opérer un train, c’est surtout des coûts fixes. Un train plus populaire signifierait plus de revenus.

Le gouvernement Trudeau doit prendre une décision finale sur son projet de train à l’automne 2024.

La décision qui s’impose : le demi-TGV !

Milieu des années 2030

Si Ottawa décide d’aller de l’avant avec un TGV (ou plutôt, un demi-TGV), celui-ci devrait être opérationnel quelque part entre le milieu et la fin des années 2030.

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