La question qui m’a préoccupée, comme beaucoup d’autres, pendant la majeure partie des huit dernières années, est la suivante : comment notre démocratie est-elle devenue si vulnérable à un homme fort, démagogue en puissance ? La question qui me tient éveillée la nuit aujourd’hui — surtout à l’approche de 2024 — est de savoir si nous en avons fait assez pour nous protéger ou si notre démocratie est encore très vulnérable aux attaques et à la subversion.

Il y a des raisons de s’inquiéter. Le pouvoir de l’argent, la propagande et la désinformation de la droite, l’ingérence étrangère malveillante dans nos élections et la réaction véhémente contre le progrès social. La « vaste conspiration de droite » m’intéresse depuis de nombreuses années. Mais j’ai longtemps pensé qu’il manquait quelque chose d’important dans la conversation sur les menaces qui pèsent sur notre démocratie. Aujourd’hui, les récentes découvertes du plus important médecin d’Amérique offrent une nouvelle perspective sur nos problèmes et des indications précieuses sur la manière dont nous pouvons commencer à guérir notre nation malade.

En mai, le médecin en chef [des États-Unis], Vivek Murthy, a publié un avis mettant en garde contre une « épidémie de solitude et d’isolement » qui menace la santé personnelle des Américains et celle de notre démocratie. M. Murthy a indiqué que, même avant COVID, environ la moitié des adultes américains vivaient beaucoup de solitude. Au cours des deux dernières décennies, les Américains ont passé beaucoup plus de temps seuls et ils ont eu moins de contacts avec leur famille, leurs amis et les personnes à l’extérieur de leur foyer. En 2018, seuls 16 % des Américains ont déclaré se sentir très attachés à leur communauté locale.

Une « épidémie de solitude » peut sembler abstraite à une époque où notre démocratie est confrontée à des menaces concrètes et imminentes, mais ce rapport aide à expliquer comment nous sommes devenus si vulnérables. Par le passé, les médecins en chef ont, à des moments cruciaux, tiré la sonnette d’alarme à propos de crises majeures et attiré notre attention sur des menaces sous-estimées, notamment le tabagisme, le VIH/sida et l’obésité. Nous vivons l’un de ces moments.

Le taux de jeunes adultes déclarant souffrir de solitude a augmenté chaque année entre 1976 et 2019. Entre 2003 et 2020, le temps moyen que les jeunes passent en personne avec leurs amis a diminué de près de 70 %. La pandémie a ensuite donné un coup de fouet à notre isolement.

Selon le médecin en chef, lorsque les gens sont déconnectés de leurs amis, de leur famille et de leur communauté, le risque de maladie cardiaque, de démence, de dépression et d’accident vasculaire cérébral monte en flèche au cours de leur vie. Il est choquant de constater que la solitude prolongée est aussi néfaste, voire pire, pour notre santé que l’obésité ou le fait de fumer jusqu’à 15 cigarettes par jour. Les chercheurs affirment également que la solitude peut provoquer de la colère, du ressentiment et même de la paranoïa. Elle diminue l’engagement citoyen, la cohésion sociale, et fait grimper la polarisation politique et l’animosité. Si nous ne nous attaquons pas à cette crise, a averti M. Murthy, « nous continuerons à nous diviser jusqu’à ce que nous ne puissions plus nous tenir debout en tant que communauté ou pays ».

En 1996, j’ai publié It Takes a Village. En tant que première dame, j’étais préoccupée par le fait que la vie américaine était devenue frénétique et fragmentée pour de nombreuses personnes, en particulier pour les parents stressés. Les tendances sociales, économiques et technologiques semblaient nous éloigner les uns des autres au lieu de nous élever. Nous passions plus de temps dans nos voitures et devant la télévision et moins de temps à nous engager dans nos communautés. Même à l’époque, avant les téléphones intelligents et les médias sociaux, il était évident que les Américains devenaient de plus en plus isolés, solitaires et détachés des sources traditionnelles de sens et de soutien, et que nos enfants en souffraient. Je m’inquiétais également de la montée en puissance de politiciens de droite comme Newt Gingrich et de personnalités médiatiques comme Rush Limbaugh, qui semaient la division et l’aliénation.

Près de 30 ans plus tard, il est clair que les problèmes que j’ai soulignés dans les années 90 étaient plus profonds que je ne le pensais et plus graves que je n’aurais pu l’imaginer. Mais les recommandations formulées dans It Takes a Village — donner la priorité aux familles, investir dans les infrastructures communautaires, protéger les enfants d’une technologie incontrôlable et renouer avec les valeurs américaines fondamentales que sont la responsabilité mutuelle et l’empathie — n’ont fait que gagner en urgence et en nécessité.

L’avertissement du médecin en chef fait écho aux conclusions d’autres chercheurs qui étudient ces tendances depuis des décennies. Dans son ouvrage influent de 2000, Bowling Alone, Robert Putnam, politologue à Harvard, a démontré que les liens sociaux et les réseaux de soutien des Américains se sont effondrés au cours de la seconde moitié du XXsiècle. Bon nombre des activités et des relations qui avaient défini et soutenu les générations précédentes, telles que la participation à des services religieux et l’adhésion à des syndicats, des clubs et des organisations civiques — et même la participation à des ligues de quilles locales — étaient en train de disparaître. Les travaux plus récents de Robert Putnam montrent que ces tendances n’ont fait qu’empirer au cours des premières décennies du XXIsiècle et qu’elles vont de pair avec l’intensification de la polarisation politique, des inégalités économiques, de la perte de confiance envers le gouvernement et de l’évolution de l’état d’esprit national, qui est passée de « nous sommes tous dans le même bateau » à « tu es laissé à toi-même ».

Vivek Murthy cite les travaux d’un autre chercheur de Harvard, Raj Chetty, qui montre comment le déclin des liens sociaux entre personnes de classes et d’origines différentes — le type de relations qui se nouaient autrefois dans les groupes pour vétérans, les sous-sols d’église et les réunions de parents d’élèves — a considérablement réduit la mobilité économique aux États-Unis. Les données prouvent que des réseaux sociaux diversifiés et solides rendent possible le rêve américain. Sans eux, il s’évanouit.

Tout cela concorde avec les conclusions des économistes de Princeton Anne Case et Angus Deaton. Ils attribuent la montée en flèche de ce qu’ils appellent les « morts du désespoir » — notamment les suicides et les décès par overdose d’alcool et de drogues — à un mélange toxique de stagnation économique, de déclin des liens sociaux, d’aliénation croissante et d’éclatement des familles et des communautés.

Le médecin en chef souligne également le rôle crucial de la technologie [dans la montée de la solitude]. Il met en avant des données montrant que les Américains qui utilisent les médias sociaux plus de deux heures par jour sont deux fois plus susceptibles d’éprouver un sentiment de solitude et d’isolement social que les personnes qui utilisent les médias sociaux moins de 30 minutes par jour. Alors que nous passons plus de temps en ligne, nous passons moins de temps à interagir les uns avec les autres en personne ou à nous engager dans nos communautés. Plus nous vivons dans les chambres d’écho des médias sociaux, moins nous nous faisons confiance et plus nous avons du mal à trouver un terrain d’entente ou à ressentir de l’empathie pour les personnes qui ont des perspectives et des expériences différentes.

Vivek Murthy a fait suivre son rapport sur la solitude d’un second avis, publié à peine 20 jours plus tard, dans lequel il met en garde contre l’utilisation intensive des médias sociaux par les adolescents, qui entraîne une augmentation dangereuse des cas de dépression et d’autres problèmes de santé mentale. Entre 2001 et 2021, le taux de suicide chez les jeunes d’une vingtaine d’années a augmenté de plus de 60 %. Chez les 10-14 ans, il a triplé. Ces chiffres devraient nous ébranler.

Mes trois petits-enfants sont trop jeunes pour connaître le pire. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils seront bientôt, eux, leurs amis et leurs camarades de classe, exposés heure après heure à n’importe quel contenu qu’un algorithme caché décidera de promouvoir. Je m’inquiète pour l’estime de soi des enfants américains, leur santé mentale, leur sens de la perspective et de la réalité.

La façon dont les Américains — et les jeunes en particulier — interagissent avec la technologie aujourd’hui, la façon dont nos téléphones et les réseaux sociaux injectent de la désinformation, de l’indignation et de la colère directement dans nos cerveaux, n’est pas quelque chose qu’aucun d’entre nous n’aurait pu prévoir il y a seulement quelques décennies. Lorsque j’ai écrit It Takes a Village, je m’inquiétais des effets de la violence à la télévision sur les jeunes. Aujourd’hui, à l’ère des médias sociaux, ces inquiétudes semblent presque désuètes.

Que signifient cette solitude et cette déconnexion pour notre démocratie ?

M. Murthy souligne le lien entre l’augmentation de l’isolement social et le déclin de l’engagement civique. « Lorsque nous sommes moins investis les uns dans les autres, nous sommes plus susceptibles de nous diviser et moins capables de nous rassembler pour relever les défis que nous ne pouvons pas résoudre seuls », a-t-il écrit dans le New York Times.

Il n’est pas le seul à reconnaître que l’isolement social sape les forces vives de la démocratie. Il en va de même pour les milliardaires, les propagandistes et les provocateurs de l’extrême droite qui voient dans l’autoritarisme une source de pouvoir et de profit.

Il y a toujours eu des jeunes hommes en colère, aliénés par la société et susceptibles d’être attirés par les démagogues et les semeurs de haine. Mais la technologie moderne a porté le danger à un autre niveau. C’est ce qu’a compris Steve Bannon.

Bien avant de diriger la campagne présidentielle de Donald Trump, Steve Bannon était impliqué dans le monde des jeux en ligne. Il a découvert une armée de ce qu’il a décrit plus tard comme des « hommes blancs sans racines », déconnectés du monde réel, mais très engagés en ligne et souvent prompts à recourir à des attaques sexistes et racistes.

PHOTO JOEL SAGET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Steve Bannon, publiciste et ancien conseiller du président américain Donald Trump

Lorsque M. Bannon a repris le site web d’extrême droite Breitbart News, il était déterminé à transformer ces joueurs socialement isolés en troupes de choc de l’extrême droite, en les abreuvant de théories du complot et de discours haineux. M. Bannon a poursuivi le même projet en tant que cadre supérieur chez Cambridge Analytica, la célèbre société d’exploration de données et d’influence en ligne appartenant en grande partie au milliardaire d’extrême droite Robert Mercer. Selon un ancien ingénieur de Cambridge Analytica devenu lanceur d’alerte, M. Bannon ciblait les « incels », ou « hommes involontairement célibataires », parce qu’ils étaient faciles à manipuler et enclins à croire aux théories du complot. « Vous pouvez activer cette armée », a déclaré Bannon au journaliste de Bloomberg, Joshua Green. Ils arrivent par l’entremise de Gamergate entre autres et se tournent ensuite vers la politique et Donald Trump.

Comme beaucoup d’autres, j’ai été trop lente à voir l’impact que cette stratégie pouvait avoir. Aujourd’hui, le médecin en chef nous dit que la déconnexion sociale n’est pas seulement un problème marginal — pas seulement les habituels « jeunes hommes en colère » — mais qu’il s’agit en fait d’une épidémie qui balaie le pays.

J’ai vu de mes propres yeux comment des mensonges dangereux peuvent alimenter la violence et saper la confiance des citoyens. Pendant la campagne de 2016, un nombre choquant de personnes ont été convaincues que j’étais une meurtrière, une sympathisante terroriste et le cerveau diabolique d’un réseau d’agresseurs d’enfants. Alex Jones, l’animateur de talk-show de droite, a publié une vidéo sur « tous les enfants qu’Hillary Clinton a personnellement assassinés, découpés et violés ».

Ce n’était pas la première fois que je faisais l’objet de folles théories du complot ou d’une rage partisane qui tournait à la manie. Dans les années 1990, les tabloïds des supermarchés affichaient en première page des titres tels que « Hillary Clinton adopte un bébé extraterrestre ». J’ai même été brûlée en effigie par une foule du Kentucky furieuse que j’aie proposé de taxer les cigarettes pour contribuer au financement d’un système de santé universel pour tous les Américains. Le président de la Kentucky Association of Tobacco Supporters a scandé « Burn, baby, burn » (brûlez, bébé, brûlez) en versant de l’essence sur un épouvantail portant une robe étiquetée « I’m Hillary » (je suis Hillary). En 2016, je m’attendais à jouer un rôle de premier plan dans les rêves fiévreux des extrémistes en marge de la politique américaine.

Mais quelque chose avait changé. Les médias sociaux ont donné aux théories du complot une portée bien plus grande qu’auparavant. Fox News et d’autres médias de droite ont donné de la « crédibilité » à des mensonges farfelus. Et avant Trump, nous n’avions jamais eu de candidat à la présidence, puis de président, qui se soit servi de la plus grande tribune au monde pour se comporter en véritable tyran et se livrer à ce genre d’inepties. Les résultats ont été tragiques, mais prévisibles. Début décembre 2016, un homme de 28 ans originaire de Caroline du Nord et armé d’un fusil d’assaut Colt AR-15 a tiré sur une pizzeria à Washington, parce qu’il avait lu en ligne qu’il s’agissait du quartier général de mon supposé réseau pédophile. Heureusement, personne n’a été blessé. Mais l’attaque de la pizzeria laissait présager la violence à venir. Des adeptes de QAnon et des membres de milices prenant d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021 ; des tireurs de masse laissant derrière eux des manifestes criblés de misogynie, de racisme, d’antisémitisme et d’autres théories du complot promues dans les chambres d’écho de l’extrême droite.

À l’approche de 2024, la menace qui pèse sur notre démocratie n’est pas seulement due à une recrudescence de ce type de violence – même si je crains que cela ne se produise également. De nombreux Américains ont poussé un soupir de soulagement après les élections de mi-mandat de l’année dernière, car d’éminents négationnistes et conspirationnistes ont été battus, notamment Kari Lake en Arizona et Doug Mastriano en Pennsylvanie. Mais ces victoires à l’échelle de l’État ont occulté des faits plus troublants.

Prenons l’exemple de Peggy Judd, une femme blanche d’âge moyen du comté de Cochise, en Arizona, qui a participé au rassemblement « Stop the Steal » du 6 janvier et qui encourage apparemment le grand mensonge de Trump sur les élections de 2020 et les théories conspirationnistes de QAnon. Peggy Judd n’est pas n’importe qui sur Facebook. Elle est membre élue du conseil des superviseurs du comté de Cochise. En 2022, elle a refusé de certifier les résultats des élections de mi-mandat jusqu’à ce qu’un juge l’y contraigne.

Une étude récente de l’organisation Informing Democracy a identifié plus de 200 responsables locaux dans six États en guerre qui, comme Mme Judd, ont pris des mesures antidémocratiques. Nombre d’entre eux sont en mesure d’administrer ou d’influencer les élections de 2024. Il s’agit de greffiers de comté et de commissaires électoraux municipaux, de législateurs d’État et de membres de commissions électorales. Ce sont des personnes dont vous n’avez probablement jamais entendu parler, mais qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de notre système électoral.

L’une des caractéristiques de la démocratie américaine est que les élections ont été en grande partie gérées par des bénévoles et des fonctionnaires locaux, généralement non partisans. Les communautés faisaient généralement confiance à ces administrateurs électoraux parce qu’elles les connaissaient – elles les voyaient au supermarché, au restaurant, à l’école de leurs enfants. Ce système disparate a toujours été vulnérable à la corruption localisée et à la discrimination raciale, mais la plupart des personnes qui ont levé la main pour apporter leur aide l’ont fait avec de bonnes intentions et de bons résultats.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Alors que la confiance et les liens sociaux qui unissaient les communautés se sont effrités, l’apathie, l’isolement et la polarisation ont mis à mal l’ancienne éthique du « nous sommes tous dans le même bateau ». Au lieu de bénévoles non partisans et d’organisations civiques telles que la Ligue des électrices, nous avons des négateurs de l’élection MAGA et des enthousiastes de QAnon. Il y a maintenant une pénurie généralisée d’agents électoraux parce que beaucoup d’entre eux ont été victimes de harcèlement et d’abus, simplement parce qu’ils faisaient leur travail et aidaient les gens à voter.

Dans le comté de Fulton, en Géorgie, l’agente électorale Shaye Moss et sa mère, Ruby Freeman, qui a aidé en 2020 de façon intérimaire, ont reçu des menaces de mort racistes après que Trump les a faussement accusées d’avoir orchestré une fraude massive. « Je me suis sentie mal pour ma mère », a déclaré plus tard Shaye Moss à la Commission parlementaire du 6–Janvier, « et je me suis sentie mal d’avoir choisi ce travail et d’être celle qui veut toujours aider et qui est toujours là, sans jamais manquer une seule élection ».

La démocratie américaine a besoin que des personnes comme Shaye Moss et Ruby Freeman continuent à lever la main et proposer leur aide. Ce pays a été construit par des hommes et des femmes qui croyaient au service, à la communauté et à la collaboration pour le bien commun – des pionniers qui se sont serré les coudes dans les wagons, des fermiers qui ont participé à des levées de granges et à des Quilting Bees [NDLR : des femmes qui se réunissaient pour échanger autour de courtes pointes], des immigrants qui ont rejoint des services de pompiers volontaires, des personnes réduites à l’esclavage qui ont risqué leur vie pour participer au chemin de fer clandestin et aider d’autres personnes à s’échapper vers la liberté. Murthy et Putnam pourraient qualifier ces liens de capital social. Dans les années 1830, l’écrivain français Alexis de Tocqueville a visité l’Amérique et a parlé de nos « habitudes du cœur ». Quelle que soit la manière dont nous le décrivons, le sentiment que « nous sommes tous dans le même bateau » a rendu possible notre expérience démocratique, et c’est peut-être la seule chose qui puisse encore nous sauver.

Sans aucun doute, il est essentiel de gagner les élections à tous les niveaux. Nous devons vaincre les démagogues et les négateurs des élections de manière si convaincante qu’il n’y a plus de place pour les coups bas. Il est encourageant de constater que des organisations telles que Run for Something mobilisent des candidats aux conseils scolaires, aux postes de greffiers de comté et aux assemblées législatives d’État dans tout le pays. Nous devons également renforcer les droits de vote et lutter contre la désinformation. Mais en fin de compte, il ne suffira jamais de gagner les prochaines élections. Nous devons travailler ensemble pour recoudre notre tissu social qui s’effiloche et pour rétablir la confiance des Américains les uns envers les autres, envers notre démocratie et envers notre avenir commun.

Bien qu’il y ait un débat important à avoir sur la mesure dans laquelle les conditions économiques contribuent à la solitude et à l’aliénation, les investissements significatifs réalisés sous l’égide du président Joe Biden peuvent améliorer à la fois les revenus et les aspirations. La législation historique promulguée par Joe Biden et les démocrates du Congrès modernisera les infrastructures, ramènera les chaînes d’approvisionnement au pays et stimulera la fabrication dans des secteurs cruciaux tels que les semi-conducteurs et les véhicules électriques. Ces investissements pourraient contribuer à endiguer l’exode des travailleurs et des jeunes contraints de quitter leur communauté pour aller chercher des occasions loin de chez eux, laissant derrière eux amis, familles et systèmes de soutien émotionnel et spirituel. Trop souvent, lorsque les Américains sont confrontés à des devantures de magasins barricadées, à des bancs d’église vides et à des écoles en ruine, c’est le désespoir, la solitude et le ressentiment qui comblent le vide. Redonner des occasions à ces régions durement touchées et permettre à plus d’Américains de rester et d’élever leur famille là où sont leurs racines n’inversera pas les effets toxiques des médias sociaux, ne perturbera pas la machine médiatique de droite et ne mettra pas fin à notre polarisation politique, mais il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Nous pouvons poursuivre dans cette voie en augmentant les impôts des particuliers et des entreprises les plus riches afin de renforcer notre filet de sécurité sociale et d’investir dans les écoles et les communautés.

Dans son avis, M. Murthy propose des recommandations pour rétablir le lien social et la cohésion. Il s’agit notamment de politiques en faveur de la famille, telles que les congés payés, et d’investissements dans les transports publics et les infrastructures communautaires qui aident les gens à se connecter les uns aux autres dans la vie réelle, et pas seulement en ligne. Il a également appelé à une surveillance et à une réglementation plus fortes et plus sophistiquées des entreprises technologiques. En particulier, il est urgent de mieux protéger les enfants sur les réseaux sociaux. M. Murthy affirme à juste titre que nous pouvons tous faire davantage dans notre propre vie pour entretenir des relations avec nos amis, les membres de notre famille et nos voisins, et rechercher des occasions de servir et de soutenir les autres.

J’ai proposé des prescriptions similaires dans It Takes a Village, en affirmant que nous devons travailler ensemble pour aider les familles à élever des enfants en bonne santé et qui réussissent. Une partie du travail que j’envisageais se ferait à la maison, par exemple en éteignant les écrans et en passant plus de temps ensemble. Une grande partie du travail se ferait au sein des communautés, avec des entreprises locales, des écoles, des congrégations et des syndicats qui feraient davantage pour nous rassembler et aider les parents qui se sentent souvent seuls et surchargés. J’ai pensé que le gouvernement pouvait contribuer à soutenir cet engagement communautaire. Par exemple, j’ai été une fervente partisane d’un programme de l’administration Clinton qui donnait aux familles pauvres vivant dans des logements sociaux des bons pour déménager dans des quartiers plus sûrs, à revenus moyens, où leurs enfants pouvaient se faire des amis et trouver des mentors d’horizons différents. J’étais convaincue que nous devions nous rassembler en tant que village national et décider qu’aider tous nos enfants à réaliser le potentiel que Dieu leur a donné était plus important que les profits ou l’esprit de parti.

Ces principes de base sont toujours d’actualité, et les faits continuent de montrer que cette approche fonctionne. Les enfants des familles que nous avons aidées à s’installer dans de meilleurs quartiers dans les années 1990 sont plus nombreux à fréquenter l’université, à gagner plus d’argent et à fonder des familles plus stables. Et plus les enfants étaient jeunes lorsqu’ils ont déménagé, plus ils ont bénéficié de ce coup de pouce.

Ces dernières années, j’ai souvent pensé à It Takes a Village. La pandémie aurait dû être une étude de cas sur la façon dont les Américains s’unissent face à un défi commun. Au début, il y avait un sentiment de solidarité et de sacrifice partagé. Les gens se sont rendu compte que si leur voisin tombait malade, ils risquaient de l’être aussi, et que le virus frappait tout le monde. Le village tout entier était menacé. Nous étions vraiment tous dans le même bateau. Tragiquement, cet esprit s’est rapidement estompé. Le président Trump et d’autres dirigeants de droite ont politisé la pandémie et ont fait de la santé publique un sujet de discorde – une décision incroyablement dangereuse dont les résultats mortels étaient prévisibles. Et lorsque les premières données ont montré que la COVID-19 touchait de manière disproportionnée les communautés noires et latinos, le soutien aux précautions de sécurité et au sacrifice partagé a chuté chez les Blancs et les conservateurs.

Au lieu d’être l’histoire de notre humanité commune, la pandémie est devenue l’histoire de notre société fracturée et de notre politique empoisonnée.

Je n’ai pas abandonné pour autant. Je crois toujours à la sagesse et au pouvoir du village américain. Je suis inspirée par les mères et les pères qui se présentent aux réunions des conseils scolaires et qui s’impliquent pour la première fois dans la politique locale parce qu’ils refusent de laisser les extrémistes bannir les livres de la bibliothèque du quartier. J’aime lire que des adolescents se tournent vers des téléphones à clapet à l’ancienne pour ne plus être à la merci d’entreprises technologiques géantes et d’algorithmes cachés. Je suis encouragée par le nombre croissant d’entreprises qui accordent à leurs employés des congés pour voter et qui reconnaissent qu’elles ont des responsabilités non seulement envers les actionnaires, mais aussi envers les travailleurs, les clients, les communautés et la planète. Et je suis encouragée par les travailleurs qui organisent courageusement les entrepôts et les cafés des entreprises, ou qui tiennent un piquet de grève, insufflant une nouvelle vie au mouvement ouvrier et insistant sur le fait que, même à notre époque fracturée, nous sommes toujours plus forts ensemble.

Si l’on creuse suffisamment, à travers toute la boue de la politique et du clivage, on finit par trouver quelque chose de dur et de vrai : un socle de valeurs et d’aspirations qui nous lient. C’est une base sur laquelle nous pouvons construire. Si nous parvenons à sortir de nos dichotomies toxiques « nous contre eux », si nous parvenons à réduire notre notion de « l’autre » et à élargir le « nous » dans « nous, le peuple », nous pourrons peut-être découvrir que nous avons plus de choses en commun que nous ne le pensons.

Bien que nous soyons divisés à bien des égards, bien que nous soyons plus seuls et plus isolés que jamais, il reste vrai qu’aucun d’entre nous ne peut élever une famille, construire une entreprise, renforcer une communauté ou guérir une nation tout seul. Nous devons le faire ensemble. Il faut toujours un village.

Hillary Rodham Clinton est une ancienne sénatrice et secrétaire d’État américaine, et la première femme à avoir obtenu l’investiture d’un grand parti pour la présidence des États-Unis. Elle est l’auteure de What Happened.

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