De 14 à 21 ans, j’ai été arbitre au soccer.

J’adorais le soccer, j’ai déjà raconté cette passion en chronique il y a quelques années. Le soccer était la vie et la vie était le soccer. Arbitrer était une autre façon de triper soccer… et de faire des sous.

Ce fut donc mon premier véritable emploi. À 14 ans, on me payait pour arbitrer des matchs d’enfants sur des petits terrains, 8 $ ou 9 $ le match. Une fortune, à 14 ans. À 15, 16 ans, j’ai commencé à arbitrer sur de plus gros terrains, c’était encore mieux payé.

Je ne le savais pas parce qu’on ne comprend ces choses-là qu’une fois qu’elles sont loin derrière nous, mais l’arbitrage était une formidable école de vie, dont les leçons allaient me servir longtemps.

La première leçon de l’arbitrage m’apparaît évidente : puisqu’il faut bien travailler, aussi bien le faire dans le plaisir. J’avais donc 14, 15, 16 ans et je travaillais comme arbitre, j’orbitais autour de la planète soccer, j’avais un fun fou. J’ai essayé d’appliquer cette leçon le reste de ma vie, celle de travailler dans le plaisir. Travailler, c’est long longtemps, quand c’est plate.

La deuxième leçon assimilée en huit ans d’arbitrage, lors de ces étés de 1986 à 1993, c’est qu’on ne peut jamais plaire à tout le monde. Arbitrer, c’est se faire critiquer. Arbitrer, c’est provoquer des émotions viscérales chez les joueurs, les entraîneurs et les parents qui ne sont pas d’accord avec vos décisions.

À 14 ans, quand j’ai commencé et que j’arbitrais des matchs d’enfants, la controverse s’invitait rarement sur les terrains de Fabreville. Mais à partir de 15 ans, j’ai commencé à arbitrer sur de plus gros terrains, de meilleurs calibres, parfois dans des matchs de calibre compétitif. Là, ça brassait davantage. Là, les entraîneurs et les parents pouvaient être plus teigneux, plus baveux avec l’ado que j’étais.

J’en ai entendu de toutes les couleurs, bien sûr, à grands coups d’injures et de gros mots, prononcés dans toutes les langues qu’on retrouvait à Laval à la fin des années 80 et au début des années 90. J’ai été assez chanceux pour ne pas en voir de toutes les couleurs, dans le sens où je ne me suis jamais fait lancer d’objets (sauf un ballon, une fois), contrairement à un ami arbitre qui s’est fait lancer une chaise (il s’est penché juste à temps).

J’étais un ado et j’étais le destinataire de ces coups de sang, venant le plus souvent d’adultes. C’était parfois violent, comme propos. Ça me forçait à tenir mon bout, à justifier mes décisions sans envenimer des situations explosives. À 16, 17, 18 ans, c’était absolument formidable comme école.

Ces affrontements permanents auraient pu me traumatiser, mais ce fut tout le contraire : arbitrer m’a permis de développer une carapace bien épaisse. Plus de 25 ans après avoir arbitré mon dernier match, ça me sert encore dans mon métier : cette carapace construite à l’époque me couvre encore aujourd’hui, armure invisible.

Arbitrer a en quelque sorte été une sorte de vaccin pour chroniquer : il n’y a rien qu’un troll puisse me dire à 47 ans qu’un papa trop passionné par le match de son fils ne m’ait pas crié des gradins d’un parc lavallois, quand j’avais 17 ans…

Troisième leçon importante : dans l’absolu, le meilleur argument réside toujours dans les faits. Ainsi, la meilleure façon de fermer le clapet au coach qui hurle son déplaisir, c’est de lui citer les « lois du jeu » (le terme pompeux de la FIFA pour désigner le livre des règlements). Pour cela, il faut les connaître sur le bout de ses doigts.

Ce qui nous amène à la prise de décision. Quand un arbitre prend une décision, des dizaines de variables se bousculent dans sa tête, comme des boules de billard qui s’entrechoquent. L’arbitre doit soupeser et analyser ces variables, en quelques secondes, pour trancher, pour « faire le call ». Et après avoir pris cette décision, il doit être prêt à l’expliquer…

J’adorais cet exercice mental, celui de prendre des décisions à tout moment. Je prenais cette responsabilité au sérieux, tout comme l’impartialité qui vient avec le sifflet. J’arbitrais comme j’aurais aimé que les matchs auxquels je prenais part comme joueur le soient.

Quatrième leçon de vie tirée de ces huit saisons à arbitrer au soccer : je ne chiale jamais contre les arbitres quand je vais voir les matchs de hockey de mon fils. Je sais ce que ces arbitres vivent et ressentent. Je sais qu’ils ne sont pas là pour le fric et qu’ils pourraient faire autre chose de leur samedi matin ou de leur mardi soir.

Si ça se trouve, je regarde les matchs comme eux, avec souvent le même détachement : je sais que des fois, « notre » joueur est chanceux de s’en tirer sans pénalité et je sais que « notre » joueur la méritait, aussi…

Il n’y a rien de moins objectif qu’un parent qui regarde un match sportif dans lequel son enfant est impliqué. Bien sûr, l’arbitre peut prendre de mauvaises décisions, faire des erreurs. Le parent amplifie les erreurs commises « contre » son équipe. Il ignore totalement celles qui ont profité à la sienne…

Cinquième leçon de vie de l’arbitrage : il faut se grouiller, dans la vie. J’ai joué, j’ai entraîné et j’ai arbitré, dans ces étés magiques où seul comptait le soccer. Et les meilleurs arbitres étaient toujours, toujours ceux qui se démenaient le plus pour être le plus près possible de l’action.

Ça ressemble à une évidence, mais il y avait des arbitres qui faisaient dans la paresse, que ce soit par défaut ou ponctuellement. Des arbitres qui restaient en banlieue du rond central. On voit le même match, mais pas de la même façon que si on court autant que les joueurs pour suivre l’action, pour s’en rapprocher le plus possible.

Courir comme un damné, suivre l’action comme un labrador qui pourchasse un écureuil : c’est ainsi qu’on voit les petites choses qui nous échappent, c’est ainsi qu’on peut signaler les coups vicieux qui font que les matchs dégénèrent, c’est ainsi qu’on prend de meilleures décisions, plus justes…

Mais c’est plus épuisant, disons, parce que tu finis par courir autant que les joueurs.

Ça ressemble à mon métier, ça aussi. Les meilleurs journalistes sont ceux qui se grouillent le plus pour être le plus près possible de l’action, au sens propre comme au sens figuré. Les pires sont ceux qui se tiennent près du rond central.

J’essayais de ne pas être cet arbitre-là. J’essaie de ne pas être ce journaliste-là.

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