Voici l’histoire d’une annonce gouvernementale qui ne devait servir qu’à faire oublier un modeste embarras pour le gouvernement Legault et qui a fini par l’embarrasser encore plus. Parce que créer un musée de l’histoire québécoise, c’est lancer un débat qui n’aura jamais de fin.

En juin 2021, le premier ministre François Legault a annoncé en grande pompe la création d’un réseau de 17 musées régionaux appelés les « Espaces bleus ». Une belle idée qui aurait fait rénover un bâtiment patrimonial dans chaque région et y installer un musée, une salle de spectacle ou un autre équipement culturel.

Malheureusement, on avait vu trop grand – ou planifié trop peu – et le budget de 260 millions de dollars prévu au début a vite été dépassé et a couvert les coûts de rénovation de seulement 4 des 17 sites prévus.

En mars dernier, le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, a annoncé l’abandon du projet des Espaces bleus. Les quatre immeubles dont les rénovations étaient les plus avancées auront une autre vocation.

Les Espaces bleus se voulaient un « legs nationaliste assumé » du gouvernement Legault. Une manière de renforcer la fierté des Québécois dans toutes les régions.

Mais avec l’abandon des Espaces bleus se posait la question de ce qu’on fait avec les immeubles dont la rénovation est presque achevée, en particulier le pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec. D’où l’idée, annoncée il y a peu, d’y installer un musée national d’histoire du Québec.

Un musée qui devait susciter la fierté québécoise des visiteurs, a dit le premier ministre lors de l’annonce du projet, le mois dernier.

Et c’est alors que commencent les dérapages. L’histoire du Québec, ça englobe qui ? « L’idée, c’est démontrer l’histoire de la nation qui était canadienne-française et qui est maintenant québécoise et qui a commencé avec Champlain », a répété le premier ministre cette semaine en point de presse.

Évidemment, la première objection viendra des nations autochtones. L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) a rappelé, à bon droit, que l’histoire du Québec n’a pas commencé avec l’arrivée des Européens.

« Nous sommes indissociables de l’histoire de cette terre et l’arrivée de Champlain ne définit pas le Québec », a soutenu le chef de l’APNQL, Ghislain Picard, qui exige que des historiens autochtones soient associés au projet de musée.

L’APNQL s’est aussi insurgée contre les propos de l’historien Éric Bédard, qui préside le comité scientifique chargé de déterminer le contenu de ce musée, et qui avait associé les Autochtones à la préhistoire.

L’histoire commence avec l’écriture, avait-il dit dans une entrevue, ce qui est sans doute une bonne définition pour un historien, mais dans le contexte toujours délicat des relations politiques avec les Autochtones, c’est pour le moins maladroit.

Même le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, normalement très prudent sur ces questions, s’est laissé entraîner et a dit que le musée « va raconter l’histoire de la nation québécoise, et non l’histoire du Québec ».

Comme quoi, quand on veut utiliser l’histoire et la fierté nationale à des fins partisanes, on entre dans un engrenage dont on ne sait où il nous mènera.

Mais le débat sur ce qui devrait se trouver dans le « musée de la nation québécoise » ne fait que commencer.

En milieu de semaine dernière, le premier ministre Legault a répondu à d’autres questions sur le sujet, affirmant qu’« évidemment, on va parler des Autochtones qui étaient là avant qu’on arrive ». Reste à savoir quelle place on leur fera.

Mais les Autochtones ne sont pas les seuls qui s’interrogent sur leur place dans le récit national que racontera le musée.

Que fait-on des anglophones, par exemple ? Leonard Cohen fait-il partie de l’histoire de la nation québécoise ? « Je vois une place pour des gens comme Leonard Cohen, ils font partie de notre histoire, alors je vois une place pour eux », a dit le premier ministre. Fort bien.

Mais des questions pas mal moins agréables vont se poser. Si Leonard Cohen fait l’unanimité, que fait-on de Mordecai Richler ? Il s’agit probablement du plus grand auteur du Québec anglophone. Mais c’était aussi un polémiste qui pouvait être carrément vicieux, en particulier quand il dénonçait les nationalistes québécois dans les pages du New Yorker.

Il y avait écrit, à tort, que les péquistes ont célébré la victoire de René Lévesque en 1976, en entonnant des chants d’inspiration nazie. Il parlait de la chanson-thème de la campagne péquiste, écrite par Stéphane Venne. Il avait aussi dénoncé les partisans des Expos qui chantaient « Valderi, Valdera » au Stade olympique quand leur équipe gagnait. Un autre chant nazi, selon lui...

Comme un Brian Mulroney un peu exaspéré avait laissé tomber à l’époque : « Mordecai, il est bon... Dans la fiction. » Mais le cas de Richler ne sera qu’une des controverses inévitables d’un musée comme celui-là.

Créer un musée, ce n’est pas comme chanter, dans l’hymne national, « ton histoire est une épopée des plus brillants exploits ».

Ça va vite devenir beaucoup plus compliqué que ça.

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