Il y a des gens qu’on côtoie pendant des années, qu’on apprécie, sans savoir grand-chose l’un de l’autre. Telle était ma relation avec Pierre Lemonde, le président du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) qui vient tout juste d’annoncer son départ.

Depuis plus d’une décennie, je le croise une dizaine de fois par année lors d’un évènement tenu par l’organisation qu’il dirige et qu’il s’apprête à quitter après près de 25 ans. Tiré à quatre épingles, souriant, il a toujours un sujet de conversation au bout des lèvres.

Parfait pour cette chronique, me suis-je dit. Et parfait pour aller au-delà de la conversation de cocktail. Je ne m’attendais pas cependant à prendre un café avec un jumeau cosmique, fan, comme moi, du Kirghizistan et de son grand lac Issyk-Kul. « Nous devons bien être les deux seuls Québécois à y avoir nagé », dit-il en riant.

Originaire de la région de Québec, il a quitté ce « beau grand village » tôt dans son parcours. Il a abandonné ses études de droit à l’Université Laval, qu’il a jugées « trop drabes », pour les troquer contre l’étude de la psychologie et de la psychanalyse à Montréal et à Paris.

Passionné par le concept d’inconscient collectif, il a eu quelques difficultés à convaincre les professeurs de la « chapelle freudienne » qu’il a fréquentés dans la Ville Lumière. Autre petite déception intellectuelle.

Quand il est revenu au Québec, à la fin des années 1980, les négociations pour le libre-échange allaient bon train. « Le droit économique international était en pleine ébullition et j’ai trouvé ça intellectuellement très stimulant », dit-il aujourd’hui.

C’est aussi à cette époque qu’il a croisé le chemin de Louis Sabourin, professeur spécialisé en relations internationales à l’Université d’Ottawa ainsi qu’à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et instigateur de mille et un projets, dont la création du CORIM.

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Pierre Lemonde, en entrevue avec notre chroniqueuse

Louis Sabourin, pour moi, ç’a été comme une révélation intellectuelle. C’est un peu comme le Félix Leclerc des affaires internationales.

Pierre Lemonde, président du Conseil des relations internationales de Montréal

Pierre Lemonde a d’abord été directeur exécutif du CORIM de 1998 à 2002 avant d’en devenir le président en 2004.

Dans le cadre de ses fonctions, il a offert une tribune à Montréal à des centaines de chefs de gouvernement, de ministres, de diplomates, de chefs d’entreprise, de créateurs et de dirigeants de toutes sortes voulant s’exprimer devant le public montréalais sur un sujet en lien avec l’international.

Il s’est retrouvé dans l’embarras quand, en 2021, il a accueilli l’ambassadeur de Chine Cong Peiwu pour la deuxième fois en moins de deux ans alors que la Chine détenait deux Canadiens en représailles à l’arrestation par le Canada de la femme d’affaires et fille du fondateur de l’empire Huawei, Meng Wanzhou, à la demande des États-Unis. « Je me suis expliqué à l’époque et on n’en a plus entendu parler », dit-il, affirmant préférer le dialogue à l’interdiction. « Il faut toujours ouvrir la porte au dialogue et laisser aux gens la chance de se faire une idée. C’est ça, l’essence d’une tribune publique », dit-il, en buvant une eau minérale au chic Café Holt.

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Pierre Lemonde fera ses adieux au CORIM à l’automne.

Pierre Lemonde croit d’ailleurs que l’approche pragmatique – plutôt qu’idéologique – de la diplomatie canadienne mise de l’avant par l’actuelle ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, est la bonne dans l’ère de redéfinition des relations internationales qui est la nôtre.

« Elle en a fait l’annonce au CORIM », rappelle-t-il fièrement.

Est-ce que certains invités l’ont particulièrement impressionné au cours des ans ? Deux lui viennent en tête. Stephen Breyer, en 2017, alors qu’il était juge à la Cour suprême des États-Unis. « C’était une belle prise. Son discours était d’une profondeur inouïe », se rappelle Pierre Lemonde. « Les différences qui comptent dans le monde ne sont pas raciales, nationales ou religieuses, mais bien celles entre ceux qui croient dans la primauté du droit et ceux qui n’y croient pas », a dit à l’époque le juriste américain. Sujet à réflexion aujourd’hui.

Pierre Lemonde se souvient aussi du passage en 2010 de Zbigniew Brzeziński, ancien conseiller en sécurité nationale de Jimmy Carter, grand critique de l’Union soviétique et défenseur de l’ordre mondial basé sur l’hégémonie américaine. « Tout le monde a été flabergasté par son discours », se remémore M. Lemonde.

« J’ai toujours aimé les grands penseurs, mais ce ne sont pas toujours les plus populaires lors des conférences. Les Québécois aiment surtout écouter d’autres Québécois qui réussissent », remarque-t-il, en donnant en guise d’exemple l’immense popularité de la dernière conférence de Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie du gouvernement de François Legault, en novembre dernier.

Et lui, Pierre Lemonde, que pense-t-il de l’état du monde ? « Nous vivons une période fascinante. Tout a été figé jusqu’à la chute de l’Union soviétique. Après cette chute, on a vécu une période qu’on pourrait appeler la “mondialisation heureuse”. Pendant 30 ans, on a vu une croissance économique phénoménale comme on n’en a jamais vu dans l’histoire », dit-il, avant de constater que cette période est révolue.

Quand on lui parle des fossés d’inégalités qu’a creusés la « mondialisation heureuse », il réplique en rappelant que des centaines de millions de personnes ont pu sortir de la pauvreté. Des pays autrefois démunis, comme la Chine et l’Inde, sont maintenant parmi les cinq plus grandes économies mondiales.

« Et ces puissances émergentes n’ont plus envie de laisser l’Occident décider de tout », note Pierre Lemonde, en lien avec les grandes tensions mondiales actuelles et le rééquilibrage du pouvoir. Il croit d’ailleurs que le G20, bien plus que le G7 et le Conseil de sécurité des Nations unies, est aujourd’hui le véritable siège du pouvoir mondial. « On y retrouve plus de la moitié de la population mondiale et 85 % du PIB international. Si ce groupe-là prend une décision commune, il y a pas mal plus de chances qu’elle soit appliquée », soutient-il.

S’il a toujours été intéressé par la planète, s’il en a fait plusieurs fois le tour – il a visité 144 pays à ce jour ! –, Pierre Lemonde ne regrette pas du tout d’avoir fait de Montréal son point de chute. Encore aujourd’hui, il est convaincu que la métropole du Québec, « malgré quelques défauts », a beaucoup d’atouts pour briller sur la scène mondiale, avec sa population diversifiée issue d’une centaine de pays, son « bouillon de culture », la présence de plus de 70 organisations internationales sur son sol et son caractère francophone assorti de son bilinguisme. « Il faut juste regarder notre aéroport pour voir que Montréal est de plus en plus connecté directement sur les grandes villes du monde », se réjouit-il.

À l’automne, il fera ses adieux au CORIM et s’accordera une longue pause. « Je ne veux pas savoir ce qui s’en vient », dit-il.

Mon petit doigt me dit qu’il restera fidèle au nom qu’il porte si bien.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Un seul café, le matin.

Un évènement historique auquel j’aurais aimé assister : La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989. J’aurais aimé y assister pour l’incroyable souffle de liberté que nous avons senti cette journée-là. De plus, cet évènement a entraîné la libération des pays de l’Europe de l’Est du joug soviétique, jusqu’à la chute finale de l’URSS le 26 décembre 1991.

Les gens que j’aimerais réunir à table, morts ou vivants : Charles de Gaulle, Abraham Lincoln, Nelson Mandela, Malala Yousafzai et le mahatma Gandhi.

Le dernier livre que j’ai lu : Le labyrinthe des égarés d’Amin Maalouf. Parfait pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Qui est Pierre Lemonde ?

  • Président du Conseil des relations internationales de Montréal depuis 2004, il vient tout juste d’annoncer son départ.
  • Né dans la région de Québec, il a étudié le droit, la psychologie et l’administration publique au Québec et en France.
  • Avant de diriger le CORIM qui présente plus d’une trentaine de conférences sur les grands enjeux internationaux chaque année, il a travaillé au sein de la Société de droit international économique du Canada et a fondé la revue World Economic Affairs. Il a aussi été vice-président international de Manufacturiers et Exportateurs du Québec.