Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Dany Turcotte.

Pour quiconque sillonne les rues de Montréal et maintenant de la plupart des villes du Québec, il y a une nouvelle réalité qui fend le cœur, cette présence grandissante de personnes fortement intoxiquées qui errent dans nos cités. J’aimerais avoir l’insensibilité d’en faire abstraction, mais je ne peux m’empêcher de les regarder et de me questionner sur ce qui a bien pu les précipiter vers cette misère extrême.

Qui sont ces naufragés sociaux qui en sont venus à perdre toute trace de dignité humaine pour patauger dans ce cruel purgatoire ?

La puissance destructrice de ces opioïdes est si néfaste qu’ils semblent avoir lâché prise sur les simples conventions sociales de base, comme ce bon vieux consensus de ne pas uriner n’importe où. Je vous épargne les détails, mais j’ai vu encore pire.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La misère extrême, où se mélangent itinérance et toxicomanie, est de plus en plus présente dans les rues de la métropole.

On aperçoit ces morts-vivants un peu partout. Ils paraissent anesthésiés, le cerveau lessivé, affalés à l’entrée des commerces avec près d’eux l’ensemble de leurs possessions, qui se résument souvent à quelques sacs de poubelle. Lorsque je parviens à avoir un contact visuel avec eux, j’y perçois de la honte et un vide dans le regard, celui d’une personne dont l’âme aurait quitté le corps. Les restes de nourriture tout à côté donnent à penser qu’à l’arrivée de la nuit, le repas sera partagé avec le premier rongeur venu, des rats et des hommes. Comment des êtres humains en sont-ils arrivés là ? On aperçoit malheureusement de plus en plus de femmes qui se joignent à ce triste tableau de misère, l’égalité des sexes jusque dans la déchéance.

Dans certaines rues de la ville, ils sont si nombreux que, par crainte de les côtoyer ou par réflexe de se soustraire à cette souffrance que l’on ne veut surtout jamais voir, on est prêt à leur céder la place. Les dirigeants ne semblent pas vraiment savoir quoi faire de cet abcès social qui s’infecte davantage de jour en jour.

Personne ne veut les voir dans sa cour, on aimerait qu’ils soient déplacés sans trop savoir où les envoyer. Une armée de zombies qu’on rêve de parachuter dans un no man’s land pour ne plus devoir assister à leur agonie. On a même rebaptisé une rue l’allée du crack.

La Commission de toponymie n’aurait pu trouver pire appellation. Des reportages télé sensationnalistes nous montrent de pauvres résidants horrifiés par des scènes disgracieuses qui empoisonnent leurs jours et leurs nuits. On parle ici d’un vice caché de calibre olympique.

Les images dégradantes de ces accros nous laissent croire que ces paradis artificiels sont en vérité des passeports pour l’enfer. On est à des kilomètres du sympathique vieux robineux à qui l’on donnait supposément un dollar pour qu’il s’offre un café alors qu’on savait très bien que celui-ci se transformerait miraculeusement en alcool. Maintenant, lorsque l’on donne à une personne dépendante de l’une de ces infernales drogues, on risque de la pousser dans les bras de sa prochaine dose, et d’ainsi contribuer à sa dramatique dépendance.

La société mérite sans aucun doute des blâmes. Ce dramatique combo de crise du logement et des opioïdes est dans l’air depuis plusieurs années et personne ne semble en avoir mesuré ni l’ampleur ni les conséquences. La misère est un pathétique jeu de domino. Une personne se retrouve soudainement à la rue, se met à côtoyer d’autres personnes vulnérables qui consomment et, histoire de bien anesthésier ses angoisses, finit par se laisser tenter elle aussi. La chute vertigineuse vers l’abysse est enclenchée et semble bien difficile à freiner. Il est beaucoup plus facile de s’accrocher les pieds quand on est déjà en béquilles. Cela dit, le problème est mondial, la plupart des grandes et maintenant moyennes villes du monde font face à l’affligeante réalité des victimes des redoutables propriétés addictives de ces substances. En trois doses, une personne est dépendante, une switch semble se mettre rapidement à off et la déconnexion du monde s’amorce.

Les producteurs de ces poisons, fabriqués bien évidemment sans l’ombre d’un souci de santé publique, devraient être dans la ligne de mire des autorités. Ils sont totalement responsables de l’état lamentable de leur « clientèle ». Les têtes dirigeantes de ces machines à zombifier devraient avoir à s’occuper elles-mêmes du service après-vente.

Je n’ai personnellement aucune solution à ce fléau, je ne fais qu’assister à l’aggravation quotidienne du phénomène. J’en suis profondément affecté. Et je suis surtout totalement impuissant face à ces êtres humains en voyage prématuré dans l’au-delà. Ces femmes et ces hommes pourraient être mon frère, ma sœur, mes parents. Je pourrais être l’un d’eux.

Nous sommes tous à un évènement malheureux de dérailler et de nous retrouver dans cette situation de profonde vulnérabilité.

Est-ce que l’extrême solitude dans laquelle se retrouvent involontairement de plus en plus de gens pourrait être montrée du doigt ? Je le crois sincèrement. En attendant la création d’un ministère de la Solitude, travaillons collectivement notre empathie, notre patience et notre bienveillance. Commençons peut-être par simplement prendre soin les uns des autres. Qui sait ? Ça pourrait aider !

Qui est Dany Turcotte ?

  • Originaire du Saguenay, Dany Turcotte se fait d’abord connaître comme humoriste, au sein du Groupe sanguin, au milieu des années 1980.
  • Après la dissolution du groupe, il poursuit sa carrière humoristique aux côtés de son complice Dominique Lévesque.
  • De 2004 à 2021, il est le « fou du roi » de Guy A. Lepage à Tout le monde en parle.
  • Il est l’animateur de La petite séduction de 2005 à 2017.
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