Le nombre de doses de naloxone offertes gratuitement est passé de 6000 à plus de 78 000 en six ans

La popularité des trousses de naloxone, antidote aux surdoses d’opioïdes, explose au Québec depuis qu’elles sont distribuées gratuitement dans les pharmacies. Malgré cet engouement, la crise des surdoses pourrait avoir coûté la vie à plus de 500 Québécois dans la dernière année.

« Dans la même semaine, l’année passée, je suis mort sept fois », raconte celui qui se surnomme lui-même Kawich. L’homme en situation d’itinérance fait référence aux nombreux arrêts respiratoires qu’il a subis à la suite de surdoses de fentanyl.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Kawich, rencontré à la sortie du centre d’injection supervisée de l’organisme Cactus

Ce qui l’a maintenu en vie ? La naloxone. Un médicament que ses amis et des intervenants sociaux lui ont administré en urgence pour lui permettre de respirer à nouveau.

La naloxone renverse temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes, incluant le fentanyl, l’héroïne, la morphine et la codéine. Depuis 2017, des trousses contenant l’antidote sont offertes gratuitement dans toutes les pharmacies du Québec et dans certains établissements de santé et organismes communautaires.

L’homme, qui habite dans la rue depuis 30 ans, a récemment cessé de consommer du fentanyl et veille à ce que ses proches aient toujours accès à de la naloxone. « Je demeure dans un campement et j’ai mis une trousse sur chaque tente », dit-il, ajoutant avec fierté avoir déjà sauvé 10 vies.

Un engouement pour l’antidote

La popularité de la naloxone au Québec ne cesse de croître. « Maintenant, il n’est pas rare que lorsqu’une équipe de paramédics intervient sur un cas d’intoxication aux opioïdes, le patient ait déjà reçu sa dose de naloxone », dit le porte-parole d’Urgences-santé, Jean-Pierre Rouleau.

Dans la dernière année, plus de 78 000 fioles et vaporisateurs de naloxone ont été offerts gratuitement par les pharmacies de la province, selon les chiffres de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) provenant d’une demande d’accès à l’information. Six ans auparavant, à peine 6000 doses avaient été distribuées.

Dans la dernière année, l’organisme Cactus a également offert près de 25 000 fioles et vaporisateurs. « C’est une question de nécessité pour les gens qui veulent se maintenir en vie et maintenir leurs proches en vie », dit le directeur des services communautaires chez Cactus Montréal, Alexandre Berthelot.

Au quotidien, les paramédics d’Urgences-santé sont de plus en plus appelés à administrer de la naloxone aux personnes en surdose. En 2016, moins de 100 interventions nécessitant ce médicament avaient été enregistrées. Ce chiffre a triplé en 2023.

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L’organisme Cactus est situé dans la petite rue Berger, dans le Quartier des spectacles, à Montréal, aussi baptisée « l’allée du crack » en raison des consommateurs de drogues qui s’y rassemblent.

Les paramédics s’attendent d’ailleurs à une hausse des cas de surdose dans les prochaines semaines. Le nombre d’intoxications aux opioïdes a tendance à augmenter l’été, aux alentours des mois de juin, juillet, août et septembre, dit M. Rouleau.

« J’ai perdu tellement de mes amis »

Malgré l’accessibilité croissante de la naloxone, les surdoses sont loin d’avoir ralenti. « Il y a de plus en plus de surdoses. On est loin d’avoir fini », dit Alexandre Berthelot, de Cactus Montréal.

Dans la dernière année, le Québec a recensé 536 décès liés à une intoxication suspectée de drogues. Le dernier trimestre de 2023 a été le plus funeste des dernières années avec 173 décès enregistrés. Kawich a été témoin des ravages causés par les surdoses. « J’ai perdu tellement de mes amis cette année. C’est la pire année, je pense. »

Avant la pandémie, l’organisme Cactus enregistrait deux ou trois interventions de surdose par mois. « Maintenant, on est rendus à quatre par jour en salle d’injection », dit M. Berthelot. Depuis le début du mois de mai, quatre utilisateurs de leurs services sont morts par surdose dans la rue.

« C’est encourageant de voir autant de gens posséder des trousses de naloxone, dit-il. Mais c’est aussi préoccupant de constater que malgré cela, le nombre de décès ne diminue pas. »

Un arrêt respiratoire qui peut être fatal

Les opioïdes peuvent entraîner une dépression au niveau du système respiratoire.

Le grand danger, c’est que les gens arrêtent de respirer et l’arrêt respiratoire mène, après une certaine période, à l’arrêt cardiaque.

Jean-Pierre Rouleau, d’Urgences-santé

Kawich se remémore avoir sauvé la vie d’un ami en surdose de fentanyl, alors qu’ils campaient tous les deux sous l’ancien bar de danseurs nus de Montréal Club 281. « Quand je me suis tourné vers lui, il avait les lèvres mauves. J’ai essayé de le réanimer. »

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Kawich a été témoin des ravages causés par les surdoses. « J’ai perdu tellement de mes amis cette année. C’est la pire année, je pense. »

Il lui a injecté une première dose de naloxone intramusculaire. Sans succès. Son ami est demeuré inconscient. « Je lui en ai donné une deuxième et je l’ai entendu ronfler », dit-il en se rappelant le soulagement qu’il avait ressenti de le savoir toujours en vie.

Une fois administrée, la naloxone s’unit aux mêmes récepteurs dans le cerveau que ceux des opioïdes. Le médicament peut ainsi déloger la drogue et rétablir la respiration de la personne en deux à cinq minutes.

Les trousses de naloxone offertes en pharmacie contiennent le médicament soit en fiole injectable, soit en vaporisateur nasal. Celles de l’organisme Cactus comprennent les deux. « Je commence par deux doses intramusculaires. Si je vois que la personne ne revient pas, je ne prends pas de chance et j’y vais avec le nasal », dit Kawich.

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Les pharmacies communautaires fournissent gratuitement de la naloxone à toute personne âgée de 14 ans et plus, sans ordonnance, indique le ministère de la Santé et des Services sociaux.

La version intranasale de la naloxone est 10 fois plus puissante que l’injection musculaire, ce qui peut provoquer un syndrome de sevrage chez ceux qui la reçoivent. « La personne qui se réveille, généralement, elle est en tabarnak parce qu’elle a perdu 50 $ de buzz », explique l’usager du centre Cactus. Pour minimiser les réactions indésirables, les intervenants commencent généralement par l’administration intramusculaire de la naloxone, suivie de celle intranasale, au besoin.

L’effet du médicament s’étend généralement sur une période de 20 à 90 minutes. Or, les effets de plusieurs opioïdes peuvent durer plus longtemps. « Si l’effet de la naloxone prend fin et l’effet de la drogue n’a pas pris fin, le patient peut se retrouver à nouveau en arrêt respiratoire », indique Jean-Pierre Rouleau. Plusieurs doses de naloxone sont parfois nécessaires.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Qui peut s’en procurer ?

Les pharmacies communautaires fournissent gratuitement de la naloxone à toute personne âgée de 14 ans et plus, sans ordonnance, indique le ministère de la Santé et des Services sociaux. À ce jour, le nombre de personnes possédant une trousse de naloxone est insuffisant, estime toutefois le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), Benoit Morin, qui invite le grand public à s’en procurer. « La crise des opioïdes continue et il y a encore des décès. Je pense que si la population était encore mieux informée de la possibilité d’avoir un antidote à ces overdoses-là, plus de gens s’en procureraient. »

Quand l’administrer ?

La naloxone peut être administrée dès qu’il y a une altération de l’état de conscience et un ralentissement de la fréquence respiratoire, indique le porte-parole d’Urgences-santé, Jean-Pierre Rouleau. Or, une personne intoxiquée et inconsciente qui se fait réveiller par une trousse de naloxone peut avoir tendance à quitter les lieux. « Il faut essayer de garder la personne sur place jusqu’à ce que les paramédics arrivent pour qu’elle puisse avoir une évaluation complète », dit M. Rouleau. En cas de doute sur une surdose, il est préférable d’administrer de la naloxone, car elle est sans danger et n’agit que si la personne a consommé des opioïdes.

En savoir plus
  • 4 171 351 $
    Somme déboursée par la Régie de l’assurance maladie du Québec pour distribuer gratuitement les fioles et les vaporisateurs de naloxone pour l’année 2023-2024, contre 124 383 $ en 2017-2018.
    Source : Régie de l’assurance maladie du Québec