Sommes-nous seuls dans l’Univers ? Parmi les questions fondamentales qui hantent l’être humain, c’est certainement l’une des plus intrigantes (ex æquo avec l’avenir du ménage à trois chez les gardiens du Tricolore).

René Doyon consacre sa carrière à tenter d’y répondre. Ce professeur de l’Université de Montréal est directeur de l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes (iREx), un groupe d’une soixantaine de chercheurs et d’étudiants animé d’une mission : découvrir de nouveaux mondes au-delà du système solaire et vérifier s’ils abritent la vie.

Depuis plus de deux ans, les chasseurs de vie extraterrestre peuvent compter sur le formidable télescope spatial James Webb, qui fouille le cosmos avec une précision inégalée. J’ai voulu aller aux nouvelles. Les chercheurs sont-ils sur de bonnes pistes ? Ou la quête s’avère-t-elle plus ardue que prévu ?

« C’est la deuxième option. Et, honnêtement, je ne suis pas surpris. La réalité nous rattrape toujours. C’est toujours plus compliqué qu’on le pense ! », me répond René Doyon avec un sourire.

Pendant que j’encaisse une certaine déception, le chercheur attaque un morceau de tarte aux cerises en l’accompagnant d’une gorgée de cappuccino. Il m’a donné rendez-vous au Caffè Italia, à Montréal, près de chez lui.

Je ne m’attendais évidemment pas à sortir de notre rencontre avec une primeur internationale et un article titré « De la vie extraterrestre confirmée ! ». Mais j’espérais que le professeur Doyon entretiendrait la possibilité d’une découverte dans un horizon pas si éloigné. Ce n’est pas le cas.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

René Doyon

« Quand on a créé l’iREx, je disais qu’on était à quelques décennies de trouver une biosignature. Et ça fait presque une décennie. Donc ça reste cohérent ! », me lance-t-il.

En regardant les yeux du chercheur briller derrière ses lunettes, je comprends que lui n’est pas démonté le moins du monde par les difficultés qui se dressent devant sa quête. Et que je vais passer un excellent moment à l’écouter.

La chasse à la vie extraterrestre comme la pratiquent René Doyon et ses collaborateurs est beaucoup plus complexe que de regarder dans un télescope en espérant tomber sur des bonhommes verts.

« C’est délicat, ce qu’on essaie de faire », me rappelle-t-il.

Première étape : découvrir une exoplanète, soit une planète orbitant autour d’une autre étoile que le Soleil. On y parvient en captant la petite baisse de luminosité qui survient quand une planète passe devant son étoile, cachant une partie de sa lumière.

À ce chapitre, la chasse est prolifique. Depuis la première détection d’une exoplanète, en 1995, les chercheurs en ont identifié environ 5000.

Le hic est que la grande majorité d’entre elles sont peu propices à la vie, en tout cas sous une forme telle qu’on la connaît sur Terre. Elles sont soit trop près, soit trop loin de leur étoile pour que de l’eau puisse s’y trouver sous forme liquide.

René Doyon et son groupe concentrent leurs recherches sur les petites planètes rocheuses semblables à la Terre. Le chercheur dit avoir trois cibles en particulier à court et moyen terme : une exoplanète appelée LHS 1140b, ainsi que deux planètes se trouvant dans la zone habitable de l’étoile Trappist-1.

« Elles vont m’occuper beaucoup au cours des prochaines années », lance-t-il.

Lorsqu’une exoplanète semble propice à la vie, le deuxième défi survient : vérifier si elle est entourée d’une atmosphère, puis en analyser la composition.

C’est tout sauf évident.

« L’atmosphère a une épaisseur de quelques dizaines de kilomètres et la planète est située à plusieurs dizaines d’années-lumière de la Terre », explique René Doyon.

Cette atmosphère cause d’infimes variations de la brillance de l’étoile, que les chercheurs tentent de capter. « C’est comme essayer de détecter la nuit le passage d’une luciole devant l’équivalent de deux phares d’automobile… sur les hautes », compare-t-il.

L’espoir des chercheurs est de détecter dans ces atmosphères une « biosignature » – une proportion d’oxygène, de gaz carbonique ou de méthane qui trahirait la présence de vie.

Le télescope James Webb, qui flotte dans l’espace à 1,5 million de kilomètres de la Terre, est le mieux placé pour détecter ces atmosphères. Sauf que la tâche s’avère plus complexe que prévu.

« Les résultats qui nous parviennent sont déduits de données très complexes, dit René Doyon. Avant même de les interpréter, on ne s’entend pas tout à fait sur les résultats. Il y a beaucoup à apprendre sur la façon d’extraire les données, mais je suis convaincu qu’on va y arriver. »

Autre difficulté : James Webb a montré que la présence de taches à la surface de certaines étoiles peut générer des « signaux fantômes » pouvant laisser croire que les planètes qui orbitent autour possèdent des atmosphères… alors que ce n’est pas le cas.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

René Doyon

C’est un problème qu’on suspectait et qui est devenu extrêmement clair avec les observations de James Webb. Il faut maintenant apprendre à discriminer les vrais signaux des signaux fantômes. Si on n’arrive pas à faire ça, on est cuits.

René Doyon

Le chercheur vient justement de demander du temps d’observation sur James Webb afin de tirer ça au clair. Mais ce temps est âprement débattu entre les scientifiques de la planète : à peine une demande sur sept sera retenue pour le prochain cycle d’observations.

René Doyon ignore à quel moment on parviendra à détecter de la vie ailleurs dans l’Univers. Mais il se doute de la façon dont cela se déroulera. Une équipe décrira la composition de l’atmosphère d’une exoplanète qui laissera planer la possibilité de la vie.

« Ça va être controversé. Il n’y aura pas le mot biologique dans le titre – ça, vous pouvez être sûr de ça. Ça va être évoqué dans l’article scientifique, mais c’est sûr que ça va être débattu », prédit-il

« La façon dont on va s’en convaincre, c’est par une convergence de la part des théoriciens qui viendront dire que la vie est l’explication la plus plausible », dit-il.

Oubliez alors les rencontres du troisième type. Les exoplanètes sont beaucoup trop loin pour qu’on s’y rende. Même y envoyer des signaux prendrait au mieux des dizaines d’années. Rien ne dit non plus qu’il s’agira de formes de vie intelligente. Même de simples bactéries soulèveraient l’enthousiasme.

Une autre possibilité est que ceux qui cherchent de la vie à l’intérieur même du système solaire prennent les chasseurs d’exoplanètes de vitesse. Europe et Encelade, respectivement des lunes de Jupiter et de Saturne, sont actuellement les candidates qui suscitent le plus d’intérêt.

Dans tous les cas, René Doyon est convaincu qu’il y a bel et bien de la vie ailleurs dans l’Univers.

« On sait que les éléments chimiques qui ont permis la vie sont présents ailleurs, dit-il. Les ingrédients sont là, il faut juste les bonnes conditions. Penser qu’on est seuls, il y a quelque chose de religieux là-dedans. J’ai beaucoup de misère à imaginer ça. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je ne peux m’en passer, malheureusement j’en prends plusieurs fois par jour !

Mon exoplanète préférée : J’aime prendre une bière de temps en temps et je dois confier la boire systématiquement, au chalet ou la maison, dans l’un des verres d’une des bières belges trappistes. Je n’ai donc pas le choix, ici, de répondre les sept petites planètes rocheuses du système Trappist-1.

Mon endroit préféré (sur Terre ou ailleurs) : lac Cailly (à Saint-Alexis-des-Monts)

Mon pari sur l’année où on découvrira de la vie extraterrestre : 2042

Ma devise favorite : Tout vient à point à qui sait attendre.

Sur ma pierre tombale, j’aimerais que l’on inscrive : L’amant des étoiles

Qui est René Doyon ?

  • Natif de Thetford Mines, René Doyon est titulaire d’un doctorat en astrophysique de l’Imperial College of Science and Technology and Medicine à Londres.
  • Professeur de physique à l’Université de Montréal, il est aussi directeur de l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes et de l’Observatoire du Mont-Mégantic.
  • Il est lauréat du prix John C. Polanyi 2010 décerné par le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada pour la découverte du système planétaire HR8799, ainsi que du Prix 2009 de l’American Association for the Advancement of Science pour « contribution exceptionnelle à la science ».