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Alors que les cyclistes font l’objet de toutes sortes de polémiques face aux VUS et à l’occupation des routes, pourquoi ne paient-ils aucun droit d’immatriculation ? L’utilisateur-payeur ne s’applique pas dans leur cas. Quelle injustice !

Jean-Luc Rouette

Convenons d’abord d’une chose : les pistes cyclables ne sont pas gratuites.

Pour 2023, la Ville de Montréal prévoit d’investir 41 millions de dollars pour l’entretien et le développement de son réseau cyclable. D’ici 2032, c’est une somme de 491 millions qui est inscrite au budget montréalais. En ajoutant les sommes destinées aux vélos en libre-service BIXI (15,4 millions sur dix ans), on dépasse le demi-milliard de dollars.

C’est évidemment beaucoup moins que les 6 milliards sur 10 ans consacrés aux routes inscrits au budget de la Ville, un chiffre par ailleurs incomplet puisque tout le réseau routier métropolitain dit « supérieur », ce qui comprend les autoroutes, est de responsabilité provinciale.

Mais on voit que les sommes consacrées au vélo ne sont pas négligeables. Faudrait-il les faire payer par les cyclistes ? Selon un strict principe d’utilisateur-payeur, oui. À notre avis, il s’agit toutefois d’une très mauvaise idée.

Précisons d’abord que ce principe d’utilisateur-payeur est loin de s’appliquer entièrement aux automobilistes. Oui, ces derniers paient des frais d’immatriculation et de permis de conduire ainsi que des taxes sur l’essence. Malgré tout, ils n’assument qu’environ un tiers du coût des routes au Québec.

Consultez l’étude : « Évolution des coûts du système de transport par automobile au Québec »

L’idée des frais d’immatriculation pour les cyclistes revient régulièrement dans l’actualité. À une certaine époque, plusieurs municipalités québécoises géraient de tels systèmes. Les plus vieux se souviennent peut-être des petites plaques d’immatriculation qu’ils devaient fixer à leur vélo. Ces systèmes ont été abandonnés pour une raison bien simple : leurs frais d’administration étaient supérieurs aux revenus engrangés.

La Ville de Toronto vient par exemple de se pencher sur la pertinence d’immatriculer les vélos. « Les études ont montré que l’attribution d’immatriculations ne justifie pas la création d’une bureaucratie importante pour superviser cette pratique », écrit la Ville dans un document d’information.

Consultez le site web de la Ville de Toronto sur l’immatriculation des vélos (en anglais)

« Si l’on demandait aux cyclistes de couvrir le coût de l’immatriculation, dans de nombreux cas, l’immatriculation serait plus dispendieuse que le vélo lui-même », précise-t-on plus loin.

Si un système d’immatriculation est incapable de s’autofinancer, on voit mal comment il pourrait générer les revenus nécessaires à l’entretien et au développement de pistes cyclables.

Voilà pour l’argument financier. Il y en a d’autres, peut-être plus importants.

Nos sociétés tentent de plus en plus d’internaliser tous les coûts d’un bien ou d’un service. L’écofiscalité, par exemple, vise à décourager par des taxes les comportements qui génèrent des coûts environnementaux et à favoriser ceux qui entraînent des bénéfices.

Or, le vélo présente plusieurs avantages par rapport à la voiture. Il est non polluant et moins bruyant. Il réduit la congestion routière. Il provoque moins d’accidents graves, use moins les routes, garde ses usagers actifs.

En tenant compte de ces facteurs et en considérant le temps de transit, une étude menée par des chercheurs suédois, allemands et coréens publiée en 2019 a calculé qu’une voiture entraîne des coûts équivalant à 16 cents canadiens par kilomètre parcouru, alors qu’un vélo génère plutôt des bénéfices de 27 cents par kilomètre.

Consultez l’étude : « The Social Cost of Automobility, Cycling and Walking in the European Union » (en anglais)

Dans ce contexte, on voit mal pourquoi un gouvernement, qu’il soit municipal ou provincial, viendrait décourager l’usage du vélo par des frais d’immatriculation.

Le gouvernement provincial accorde des milliers de dollars en subvention à un Québécois qui veut acquérir une voiture électrique parce que celle-ci est moins polluante qu’un véhicule à essence. La voiture électrique contribue pourtant à la congestion routière, représente un risque d’accident et est principalement acquise par des gens nantis. Ce n’est pas le cas du vélo.

Considérant cela, on pourrait plaider que la pratique du vélo, loin de devoir être découragée par des frais, devrait au contraire être encouragée par des subventions.