Il n’y a pas de doute lorsqu’on croise des personnes toutes de blanc vêtues qui transportent de petites tables, des chaises et un panier rempli de victuailles : elles participent à un Dîner en blanc. Si ce phénomène épicurien mondial est connu sur tous les continents, sa chef d’orchestre, la Montréalaise Sandy Safi, demeure curieusement dans l’ombre.

La principale intéressée convient d’emblée qu’il y a un énorme fossé entre la couverture médiatique internationale dont jouit le Dîner en blanc et sa propre notoriété dans le milieu des affaires québécois. Elle ne peut l’expliquer. Et s’étonne, en toute modestie.

Avec raison ! Très peu de Québécoises peuvent se targuer d’avoir exporté un concept dans 40 pays et 120 villes. Bien sûr, Sandy Safi n’a pas réalisé ce travail seule. Mais après avoir cofondé et fait croître Dîner en blanc International, la voilà désormais unique propriétaire de l’entreprise. En juin, elle a acheté les parts de son associé et cofondateur Aymeric Pasquier, une transaction annoncée publiquement au début d’octobre.

Quelques jours auparavant, par un beau soir de septembre, 4000 personnes s’étaient réunies sur le bord du fleuve Hudson, à Manhattan, pour un évènement aussi monochrome que flamboyant. Car à New York, la mode, c’est du sérieux. Les participants tiennent à en mettre plein la vue.

Après la COVID, les gens avaient hâte ! On a 72 000 personnes sur la liste d’attente. Mais on est limités par l’espace des sites.

Sandy Safi, entrepreneure

À l’échelle mondiale, plus de 1 million de personnes ont donné leur nom dans l’espoir d’assister à un Dîner en blanc. Ça donne une idée de l’ampleur de l’intérêt pour ce pique-nique photogénique tenu dans un espace public révélé à la dernière seconde. Ce secret fait aussi partie de la magie.

  • Dixième édition du Dîner en blanc à New York, dans le sud de Manhattan, le 19 septembre dernier

    PHOTO TIMOTHY A. CLARY, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Dixième édition du Dîner en blanc à New York, dans le sud de Manhattan, le 19 septembre dernier

  • Dixième édition du Dîner en blanc à New York, dans le sud de Manhattan, le 19 septembre dernier

    PHOTO TIMOTHY A. CLARY, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Dixième édition du Dîner en blanc à New York, dans le sud de Manhattan, le 19 septembre dernier

  • Dixième édition du Dîner en blanc à New York, dans le sud de Manhattan, le 19 septembre dernier

    PHOTO TIMOTHY A. CLARY, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Dixième édition du Dîner en blanc à New York, dans le sud de Manhattan, le 19 septembre dernier

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Pour Sandy Safi, l’évènement de Manhattan avait un petit quelque chose de bien spécial. Car il s’est tenu exactement au même endroit où elle avait organisé son premier Dîner en blanc, 10 ans plus tôt. On lui avait proposé ce défi parce qu’elle parlait anglais et avait de l’expérience dans l’évènementiel, après avoir notamment travaillé à Dubaï dans la gestion de concerts et de raves.

Pour la petite histoire, Aymeric Pasquier est le fils de François Pasquier, l’organisateur du tout premier Dîner en blanc, à Paris, en 1988. Installé à Montréal, il avait décidé d’y importer l’idée de son père. Il a ensuite voulu la faire découvrir aux New-Yorkais, mais avait besoin d’aide. C’est là que Sandy est entrée en scène et que le tandem a créé une entreprise dont la mission est de développer le concept à l’étranger.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Très peu de Québécoises peuvent se targuer d’avoir exporté un concept dans 40 pays et 120 villes.

Comme les pièces d’un puzzle finissent par faire un tout, les expériences de vie en apparence disparates de Sandy en faisaient la candidate toute désignée pour créer des évènements divertissants aux quatre coins du monde.

Née à Beyrouth de parents entrepreneurs dans le secteur de la mode et du cuir, elle a multiplié les pays d’adoption tout au long de sa jeunesse. Italie, Grèce, Espagne, États-Unis, France… Elle avait 14 ans quand sa famille s’est établie dans le quartier Côte-des-Neiges. Sandy a tant bougé qu’aujourd’hui, elle ne peut déterminer sa langue maternelle. « C’est bizarre, hein ? », lance-t-elle dans un éclat de rire.

À la fin de l’adolescence, la passionnée de danse est retournée au Liban pour étudier, ce qui lui a aussi permis de faire des tournées de spectacles avec une troupe réputée dans une poignée de pays. De retour au Québec, elle a obtenu un diplôme de l’Université Concordia en communications avant de partir travailler un peu partout dans le monde, dans le milieu du spectacle et de la scène, notamment pour Cavalia. Elle a aussi travaillé comme traductrice à Ottawa avant de mettre le cap sur les Émirats arabes unis.

Quand on lui a demandé d’organiser le Dîner en blanc dans la Grosse Pomme, toutes ses expériences sont devenues des atouts. « Je comprenais la scène, les artistes, la gestion, les sponsors, la vente de billets… »

Ce n’était quand même pas gagné d’avance. « À New York, il y a beaucoup de barrières. On ne peut pas juste arriver et prendre un espace public. Ça ne marche pas de même. C’est difficile de collaborer pour l’utilisation de l’espace. La ville est saturée, ils ont énormément d’évènements. Tout le monde te saute dessus. »

Pour ce premier pique-nique sur le sol américain, la liste d’attente avait rapidement atteint 20 000 noms.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

On ne savait pas quoi faire avec ça ! La Ville de New York appelait pour savoir où c’était et on ne voulait pas le dire. J’ai appris énormément sur qui gère quoi et comment dans une ville.

Sandy Safi

Le Dîner en blanc s’est retrouvé dans le New York Times, en une de la section Food. « On s’est mis à recevoir des demandes partout dans le monde », raconte Sandy Safi. La machine était partie. Pour de bon. Sans aucune dépense publicitaire.

Si le partage d’un bon repas au son de la musique est quelque chose d’universel, il en va autrement des règlements municipaux et des lois concernant l’utilisation de l’espace public, la consommation d’alcool, les transports en commun. « Il y a des villes plus accueillantes que d’autres, résume-t-elle poliment. Il faut répondre à toutes les inquiétudes, notamment sur les déchets. » À Montréal, son équipe compte 12 personnes.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Dîner en blanc, édition 2010 à Montréal, sur la Place Victoria

Désormais seule capitaine à bord, la quadragénaire ambitionne de miser sur sa base de données bien garnie pour créer « une communauté internationale de foodies ». Elle aimerait aussi que les pique-niques permettent de financer de bonnes causes. Passionnée d’entrepreneuriat, elle est convaincue que le concept « peut aller encore beaucoup plus loin », malgré tous les défis « linguistiques, culturels et technologiques ».

« Je veux faire quelque chose qui redonne, qui unifie, qui rassemble », conclut Sandy Safi, convaincue du potentiel international de ses pique-niques lumineux, puisque le mot-clic #dinerenblanc a été vu près de 5 millions de fois sur TikTok. Le pouvoir de la nourriture et de la musique fait certes partie des ingrédients pour y parvenir.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je bois du déca, car je suis pompée à fond 24/7 même sans café !

Votre endroit préféré dans le monde : J’aime beaucoup l’Italie. L’Europe en général, car on est au cœur de tant de cultures. Et Hawaii pour la verdure, le surf et la plage.

Les atouts de Montréal : C’est un gros melting pot de cultures. Il y a beaucoup de possibilités. Si tu frappes aux bonnes portes, on va t’aider. Le fait d’être une femme ne te limite pas. Et la bouffe est excellente.

Les qualités que j’aime chez les autres : La spontanéité. L’empathie. J’aime les personnes qui ont un grand cœur et prennent le temps d’avoir des conversations profondes.

Qui est Sandy Safi ?

  • Née à Beyrouth en 1980, Sandy Safi a vécu dans plus de 10 pays.
  • Malgré un grand nombre de déménagements sur deux continents dans sa jeunesse, elle a toujours suivi des cours de danse. Après avoir été sur scène, elle a multiplié les boulots en coulisses (régie, éclairage, gestion).
  • En 2012, elle a organisé le premier Dîner en blanc à New York, ce qui a suscité un engouement mondial pour le concept.
  • Dix ans plus tard, elle a acheté, grâce à du financement bancaire, l’entreprise qu’elle avait cofondée pour exporter le Dîner en blanc aux quatre coins du monde.