L’auteure de l’essai On Immunity : An Inoculation, remarqué par la critique à sa sortie et chaudement recommandé par Bill Gates, nous revient avec Avoir et se faire avoir, une réflexion brillante et originale sur les enjeux cachés de la propriété immobilière. Ou quand la littérature rencontre RE/MAX.

Acheter une maison est une aventure financière et émotive. Une fois propriétaire, une série de décisions s’impose à nous, des décisions souvent insignifiantes, parfois profondes, qui peuvent aller jusqu’à confronter nos valeurs personnelles.

Rénovations, décoration, surconsommation, choix, privilèges… C’est à tout cela que réfléchit l’essayiste et poète américaine Eula Biss quand elle achète sa première maison, à Chicago.

Pour elle, rien n’est anodin. Une visite chez IKEA ou une partie de Monopoly avec son fils deviennent les bougies d’allumage d’une réflexion sur le capitalisme, l’exploitation des travailleurs ou le système de classes.

Consciente de ses privilèges — elle et son conjoint, lui aussi écrivain, sont issus de milieux très modestes –, Biss navigue dans cette nouvelle aisance financière avec prudence et lucidité. Et un brin de culpabilité aussi, surtout lorsqu’elle embauche des ouvriers pour réparer la cheminée, ou une femme de ménage pour nettoyer sa maison.

Cette maison, il faut le dire, lui procure aussi un sentiment de sécurité. Et avec lui, la peur que cette sécurité devienne un acquis. Pour Biss, le confort est un concept qui peut devenir inconfortable…

C’est pour ne pas oublier d’où elle vient, pour noter chaque impression et chaque réflexion que Biss tient un journal de bord. Elle y consigne son arrivée dans la nouvelle demeure, l’exploration d’un voisinage qui s’embourgeoise, la découverte de ce que signifie être propriétaire.

Des textes courts et percutants, inspirés par une rencontre, une anecdote ou un échange. Et qui puise dans les écrits d’auteurs aussi variés que l’économiste John Kenneth Galbraith, l’écrivaine Virginia Woolf ou l’anthropologue David Graeber (auteur du génial Bullshit Jobs) pour alimenter une réflexion riche sur les rouages du capitalisme, de l’exploitation et du patriarcat.

En filigrane, Eula Biss livre une réflexion sensible sur la création littéraire, sur la productivité de celui ou celle qui consacre sa vie à l’écriture (Emily Dickinson à l’appui !), et sur la place de l’écrivain dans notre système capitaliste. Une bien petite place, faut-il le rappeler. L’écrivain est un être solitaire qui ne « produit » rien.

Ces références littéraires, qui donnent beaucoup de profondeur à la prose de Biss, sont entremêlées d’échanges avec son conjoint et ses amies ou de petits moments du quotidien qui allègent le texte.

Le résultat : un essai tout simplement brillant, tout en demeurant très accessible. Imaginez un livre qui serait écrit à huit mains par Deborah Levy, Rebecca Solnit, Rachel Cusk et Maggie Nelson ! Un livre au-dessus duquel flotterait l’âme de Joan Didion, une référence pour Eula Biss qui l’a lue et enseignée puisqu’elle a été professeure de création littéraire durant 15 ans à la Northwestern University.

Cet essai stimulant et réjouissant est traversé par une question existentielle : qu’est-ce qu’une vie éthique ?

Une question à laquelle on réfléchit longtemps encore après avoir refermé ce livre qu’on relira, c’est certain.

Extrait

« J’ai découvert une marque de peinture que je n’ai pas les moyens de me permettre. […] Je ne peux décemment admettre qu’un pot de peinture coûte 110 dollars. Mais je trouve cette peinture intolérablement lumineuse, indéniablement plus belle que les autres. […] j’étudie les échantillons récupérés au magasin de bricolage et je joue avec le nuancier de Farrow & Ball, fais courir mes doigts sur les petits carrés de couleur, finition mate, légèrement embossés. Même les noms sont plus beaux : Matchstick, String, Skimming Stone. Ce ne sont pas des blancs qui aspirent à qui que ce soit — ils peuvent se permettre d’être modestes. Il y a en a même un qui s’appelle Blackened. »

Qui est Eula Biss ?

Eula Biss est une essayiste américaine, auteure de quatre livres qui ont été salués par la critique et qui ont remporté plusieurs prix. Elle a également enseigné la création littéraire durant 15 ans à la Northwestern University.

Avoir et se faire avoir

Avoir et se faire avoir

Rivages

280 pages