Au début de sa carrière, Franco Nuovo a reçu ce conseil de son ami Pierre Bourgault : « Si t’es pas capable de prendre la chaleur, sors de la cuisine ! » Le vieux sage lui a aussi dit : « Dis-toi que tu seras aimé par la moitié des gens et détesté par l’autre moitié. »

Franco Nuovo s’est souvenu de ces paroles lorsqu’il a quitté le studio, le samedi 20 août, alors qu’il venait de présenter la première édition de Dessine-moi un matin, la formule qui occupe maintenant la case laissée vacante par Joël Le Bigot.

« Puis-je te dire que le 50-50 dont parlait Bourgault, je l’ai eu », me dit-il devant un espresso bien serré du légendaire Caffè Italia, où il m’a donné rendez-vous. « La différence, c’est qu’aujourd’hui, je sais ce que je peux changer et améliorer. Je sais ce que je peux faire. »

J’ai eu envie de rencontrer Franco Nuovo parce que j’étais curieux de savoir comment il vivait cette rentrée. Mais aussi parce que je me suis rendu compte que je connaissais peu de choses de cet homme qui fait partie du paysage médiatique québécois depuis plus de 40 ans.

Cet animateur au visage familier et à la voix chaude, ni trop pointue ni trop relâchée, c’est celui qu’a choisi Sylvie Julien, directrice de la programmation d’ICI Première, pour habiter les matinales du week-end à la radio publique. Celui qui officiait déjà le dimanche ne s’en cache pas : il souhaitait obtenir le créneau du samedi depuis longtemps.

Lorsqu’en 2011 il a pris la barre de Dessine-moi un dimanche, toujours en remplacement de Joël Le Bigot, Franco Nuovo a eu la frousse.

Je trouvais que c’était un suicide professionnel d’aller remplacer Joël le dimanche. La première année a été difficile, puis les choses se sont placées.

Franco Nuovo

Cette fois-ci, l’homme d’expérience ne subit pas la même pression. « Bizarrement, je me sens plutôt bien, car je sais qu’on va bâtir l’émission au fil des semaines. Mais dans les jours qui ont précédé la première, j’étais obsédé par les premiers mots que j’allais prononcer en ouvrant le micro. »

Finalement, avec un certain tressaillement dans la voix, il a parlé de son impression d’entrer dans une nouvelle classe, avec un nouveau professeur et un pupitre neuf. Et de son inquiétude de se faire des amis. Puis, il a salué les auditeurs et a plongé tête première.

Du journal à la radio

Franco Nuovo a fait ses débuts au milieu des années 1970 dans des « journaux à potins » comme Téléradiomonde. « J’étais messager pour Kébec-Spec, la boîte de Guy Latraverse. Ça m’a permis de rencontrer plein de gens, dont Thérèse David, l’attachée de presse. Je lui ai dit que voulais écrire. C’est comme ça que j’ai commencé à le faire en compagnie d’Edward Rémy et Michel Girouard. »

Un jour, il croise Nathalie Petrowski au Théâtre Outremont. Les deux journalistes se connaissent depuis l’âge de 11 ans alors qu’ils fréquentaient le même collège. Elle lui dit qu’elle quitte le Journal de Montréal pour se joindre au Devoir. Tout en menant ses études en sociologie, il devient donc collaborateur pour le tabloïd.

Assez rapidement, Franco Nuovo ajoute d’autres cordes à son arc, la radio et la télévision. « Je me suis rendu compte que certains collègues avaient des ambitions verticales, c’est-à-dire qu’ils voulaient devenir patrons. Moi, j’avais des ambitions horizontales. Je voulais rayonner. »

Sa carrière prend un virage important lorsqu’en 2004, la direction de Radio-Canada lui demande d’animer Je l’ai vu à la radio, une émission présentée devant public qu’il a adoré faire pendant huit ans. Pour mieux se consacrer à ce projet, il prend un congé sabbatique au Journal de Montréal.

Mais lorsqu’il souhaite plus tard jumeler les deux fonctions, une mauvaise surprise l’attend. Des patrons du Journal de Montréal l’invitent à manger. « Ils m’ont demandé d’abandonner Radio-Canada. J’ai refusé. Ils m’ont alors demandé de couper mes liens d’emploi avec le journal. »

Nous sommes alors en septembre 2007, soit un an et demi avant le fameux lock-out. « Ils ont osé me dire : “Si jamais il y a un conflit, tu vas pouvoir continuer à travailler de chez toi.” Je ne me voyais pas faire cela durant le conflit. Comme j’étais syndiqué, je suis retourné dans la salle de rédaction. Ils m’ont alors fait vivre quatre mois d’enfer. Ils demandaient à voir mes talons de paie de Radio-Canada pour voir ce que je faisais au juste, j’ai aussi reçu des plaintes de conflits d’intérêts. »

À cette époque, un patron de Radio-Canada lui suggère de lire Tuesdays with Morrie, qui raconte l’histoire d’un journaliste qui retrouve un ancien professeur. Les deux personnages se voient tous les mardis pour parler de la vie. « J’ai lu ça et j’ai décidé de quitter Le Journal de Montréal. Il fallait que je sorte de là. »

Franco Nuovo claque la porte de Québecor en avril 2008. Le 24 janvier 2009, les 253 employés du Journal de Montréal sont mis en lock-out. « Pierre Péladeau nous a toujours dit que tant qu’on serait les premiers et les meilleurs, on aurait tout ce qu’on voulait. Mais quand Pierre Karl est arrivé, la politique a changé. »

Un fort désir d’intégration

Ce fils d’immigrés est fier de le dire : il a tout d’un Italien. La passion, le sang bouillant et, on peut le deviner, un côté charmeur.

Venus au Québec au début des années 1950, après un séjour en France, les parents de Franco Nuovo, Maria et Salvatore, étaient de modestes travailleurs. « Le vrai métier de mon père était ébéniste. Et comme le seul emploi qu’on lui proposait était au Labrador, il était allé travailler là-bas pendant un an. Il l’a fait pour avoir ses papiers. Tu imagines un Sicilien au Labrador ? »

Si ses parents et sa sœur aînée parlent couramment français, le petit Franco ne s’exprime qu’en italien jusqu’à l’âge de 3 ans. Les choses changeront ensuite.

Mon père ne voulait pas trop se coller à la communauté italienne. Chez nous, on s’exprimait souvent en français, sauf lors du repas du midi le dimanche. Là, c’était en italien.

Franco Nuovo

Son désir d’intégration est très fort. Parfois, il doit sortir les poings dans les ruelles pour montrer que l’Italien qu’il est peut se défendre. Il passe beaucoup de temps avec des voisins, les Duval. « Je voulais tellement être comme eux que je disais aux autres que je m’appelais François Duval. »

Après avoir fréquenté l’école primaire La Mennais, située à l’angle des rues Beaubien et Saint-Denis, il est inscrit au Collège français (où il fait la connaissance de la jeune Nathalie Petrowski) et au Collège Stanislas.

Sans être riches, les parents de Franco tiennent à ce que leurs enfants reçoivent une éducation de qualité. « Mon père n’a jamais été propriétaire d’une maison. Les gens le lui reprochaient. Il répondait que c’était plus important de payer de bonnes études à ses enfants. »

Un jour, le père de Franco va dans la cuisine et dit à sa femme : « Ce l’abbiamo fatta », ce qui veut dire « Nous avons réussi à passer au travers ». La même journée, il est victime d’un grave accident de travail qui le plonge dans un interminable coma.

« Ma mère l’a visité pendant deux ans et demi. Après sa mort, elle a commencé à souffrir d’alzheimer. Ça a duré de 1974 à 1987. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Franco Nuovo

Le plaisir des entrevues

Franco Nuovo a bâti sa carrière sur l’opinion, comme critique et comme chroniqueur. L’animateur qu’il est ne se gêne pas pour faire part de ses idées à ses chroniqueurs. Mais retourner à un rôle de chroniqueur sur une base régulière ne lui tente pas une miette.

« Je trouve qu’il y a trop d’opinions et trop de chroniqueurs. C’est pour cela que j’ai tendance à apprécier ceux qui amènent un éclairage dans leurs chroniques. Je préfère ceux qui ramassent plutôt que ceux qui frappent. »

Je rappelle à Franco Nuovo qu’il avait toutefois la réputation d’être dur dans certaines de ses chroniques. « Oui, mais je n’étais pas Richard Martineau. Je tentais de varier les sujets et les tons. »

Aujourd’hui, il reconnaît que sa passion repose sur les rencontres que la radio lui permet de faire. « J’ai découvert le plaisir des entrevues. C’est là-dedans que je me sens le mieux. J’aime quand les gens me racontent des histoires. »

À 68 ans, Franco Nuovo fait partie des « aînés » d’ICI Première. Ses jeunes collègues aiment le lui rappeler à la blague. « Et ça ne me dérange pas, dit-il. En fait, j’aime être entouré de jeunes. C’est eux qui t’amènent une nouvelle façon de penser. Tu peux être d’accord ou pas, mais il faut que tu tiennes compte de leurs idées. »

Si l’opinion ne l’attire plus, l’écriture demeure un attrait. « Ça me manque. Parfois, je me dis que je devrais au moins m’asseoir et essayer. »

En attendant qu’il s’installe devant son ordi pour « essayer » de faire un livre, Franco Nuovo a du pain sur la planche. Il dispose de deux créneaux parmi les plus convoités sur ICI Première. Il sait qu’il doit les porter haut.

Il sait que Maria et Salvatore souhaiteraient sans doute l’entendre dire « Sono riuscito a passare », ce qui veut dire : « J’ai réussi à passer au travers. »

Dessine-moi un matin, samedi, de 7 h à 11 h, et dimanche, de 6 h à 10 h, ICI Première

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Modéré, le matin. Mais si je suis en Italie, je prends volontiers l’espresso de 16 h.

Des gens, morts ou vivants, que vous aimeriez avoir à votre table : Pierre Bourgault, Dany Laferrière, Antoine de Saint-Exupéry, Simone de Beauvoir, Michel Houellebecq, Elena Ferrante et Francis F. Coppola

Les derniers livres que vous avez lus : Daddy Issues, d’Elizabeth Lemay, et Séquences mortelles, de Michael Connelly

L’évènement historique que vous auriez aimé vivre : La prise de la Bastille

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