Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Mariana Mazza.

21 août. 17 h 30, heure des Îles. Je suis assise avec mes parents et mon directeur de tournée à l’aéroport des Îles-de-la-Madeleine. Le cœur emballé. Les cheveux mêlés. Ma peau goûte le sel de la mer froide. J’ai déjà hâte de revenir m’y baigner. Mon corps est en deuil du calme des vallées et de la brise qui berce mes nuits. Je suis bien. Je suis trop bien. Je ne veux pas rentrer chez moi.

Le vol direct qui doit décoller en même temps que le nôtre est reporté à une heure plus tard en raison de l’orage qui sévit. Le nôtre est à l’heure.

Nous avons deux escales à faire avant d’arriver à Montréal. Juste à y penser, je suis épuisée. Mais le doux souvenir de mon voyage repousse le nuage négatif qui survole ma tête.

Le premier vol se passe comme prévu. Bien. Vite. Trop long pour le temps que j’ai à vivre. C’est inévitable, je dois endurer le temps qui s’éternise.

Le deuxième vol vers Québec est entamé. À mi-chemin, le ciel s’assombrit, on nous indique qu’il faut attacher notre ceinture. Je me dis que le seul défaut des Îles, c’est la façon de s’y rendre. Les petits avions me troublent. Comme dans une voiture qui n’a pas de suspension, on sent tout. Les vibrations me serrent le cœur, mais c’est passager.

Habituellement, c’est passager. Cette fois-ci, c’est permanent. Nous sommes dans l’orage. Le ciel est noir et fâché.

J’ai beau essayer de me convaincre que c’est normal, je sens l’angoisse monter dans chaque passager à bord de notre cauchemar. Ma mère est assise à côté de moi. Elle ferme les yeux et respire. C’est normal. Elle fait souvent ça en avion. C’est au moment où je la vois prier en arabe que la panique s’empare de moi. De ma tête. De mon avenir qui est peut-être court et inexistant.

J’essaie de la calmer en enfonçant mes ongles dans sa cuisse tendue.

Bang. Un autre nuage frappe l’avion. Les prières sont en espagnol. En temps normal, je rirais d’elle qui pense qu’en interpellant différents dieux, le temps normal se rétablira. Je ne suis pas capable de rire. J’essaie de la réconforter en lui disant que ça va aller.

Boum. L’avion bifurque vers la droite brusquement. J’ai envie de vomir. Ma mère dit en français que ce n’est pas notre temps. Que nous sommes trop jeunes pour mourir. Je me rassure en me disant que si j’ai à mourir, je ne laisserai pas ma mère en deuil. Nous serons ensemble.

J’essaie de faire défiler ma vie dans ma tête pour ne pas penser à la coque d’acier qui se fait crisser une volée par l’orage. Ce n’est pas évident de repenser aux beaux souvenirs de notre vie quand notre vie se dirige vers la fin. La seule image qui me vient en tête est Marie-Soleil Tougas. Je venais de voir le documentaire et je me disais qu’elle était peut-être passée par cette peur avant de sombrer dans un éternel trou noir. Je suis presque convaincue que c’est la fin. Ma mère revient à l’arabe. Je pleure doucement.

Je repense aux Îles. Aux cris enfantins de ma mère dans l’eau de la mer qui hurle sa joie. Au dernier texto que j’ai envoyé à mon ami Dave dans lequel je boudais. À mes deux chiens qui ne pourront plus me lécher la face. À l’odeur de Doritos de leurs pattes qui me réconforterait en ce moment.

Quand on fait face à l’ombre de la mort, l’adrénaline est si forte qu’on se sent prêt à l’affronter. Plus de contrôle. On lâche prise si vite que tout flotte.

Et c’est au moment où l’acceptation de notre destin est entamée que tout revient à la normale. Tout se calme. Notre respiration se stabilise.

Je regarde ma mère et lui dis : « J’étais sûre de mourir. »

Et elle de me répondre : « Ce n’était pas notre temps. »

Je sèche mes larmes avec l’intérieur de mon chandail et desserre tranquillement mes griffes sur les cuisses de ma mère.

Ce n’était pas notre temps.