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Toutes les provinces réclament plus d’argent du gouvernement fédéral comme si c’était la seule solution pour sauver notre système de santé. Mais, pouvez-vous m’expliquer d’où proviendraient les sommes colossales que les provinces réclament ?

A. Lapointe

Le litige entre Ottawa et les provinces au sujet des transferts fédéraux en santé traîne depuis trop longtemps, et il est loin d’être réglé.

Au cours des derniers jours, les premiers ministres provinciaux ont réitéré leur demande : ils réclament à Ottawa 28 milliards de dollars de plus chaque année.

Ils sont convaincus que le gouvernement fédéral doit payer une plus large part des coûts du système de santé. Et ils sont persuadés, aussi, qu’il en a les moyens.

« Lorsqu’on regarde les projections du Conference Board, les provinces, dans les prochaines années, vont se retrouver à 100, 200 milliards de dollars de déficit par année, tandis que le gouvernement fédéral va se retrouver avec des surplus de 50 milliards de dollars par année », a affirmé le premier ministre François Legault mardi dernier en Colombie-Britannique, lors de la plus récente rencontre du Conseil de la fédération.

Les prévisions qu’il évoquait datent de 2020. Le Conference Board estimait à l’époque que le déficit du gouvernement fédéral allait passer de 131 milliards de dollars de 2021-2022 à 14 milliards de dollars en 2030-2031.

Les provinces, elles, « verront leur situation financière se détériorer de manière importante », signalait-on dans un rapport que les ministres des Finances des provinces et territoires ont produit l’an dernier pour le Conseil de la fédération. Au cours de la même période, le déficit combiné des provinces passerait de 46 milliards de dollars à 103 milliards de dollars.

Et si la tendance se maintient, ce déficit atteindrait 208 milliards de dollars en 2039-2040 (alors que le Conference Board prévoit pour cette année-là un surplus de 50 milliards de dollars au fédéral).

Les dépenses en santé ne sont pas étrangères à cette situation.

Les premiers ministres provinciaux le répètent depuis plusieurs années : les dépenses en santé augmentent (de 5 à 6 % par année) très rapidement. Et la pression ne va pas faiblir à l’avenir, bien au contraire.

Le gouvernement fédéral « n’est pas confronté aux mêmes enjeux que les provinces, c’est en gros sur ça que repose l’argumentaire des provinces », explique Jonathan Deslauriers, directeur général du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.

« Le meilleur exemple se trouve justement en santé et en services sociaux, où le phénomène du vieillissement de la population entraînera une augmentation systématique des coûts d’exploitation des réseaux, ajoute-t-il. En revanche, les responsabilités constitutionnelles du fédéral ne l’exposent pas aux mêmes pressions. Résultat : il peut dépenser, et éventuellement tirer la plogue. »

Cela dit, les sommes colossales que réclament les provinces viendraient néanmoins... de vos poches ! Qui va payer ? Au bout du compte, ce sera vous, que l’argent provienne d’un ordre de gouvernement ou de l’autre. Il ne faut pas le perdre de vue lorsqu’on se penche sur le bras de fer actuel entre Ottawa et les provinces, estime Jonathan Deslauriers.

« La game qui est en train de se jouer est donc de déterminer qui va porter l’odieux de la hausse des impôts [ou, utopiquement, qui réduira ses dépenses]. C’est ridicule parce qu’au bout du compte, les usagers et contribuables sont pris en étau par les gouvernements qu’ils financent, gouvernements qui refusent par ailleurs la reddition de comptes. »