Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Stéphane Dompierre.

Laissez-moi deviner : au travail, vous avez l’impression d’être un peu moins rapide que les autres, mais c’est parce que vous êtes perfectionniste alors que vos collègues tournent les coins ronds. Vous êtes aussi plus fiable et plus efficace que la plupart d’entre eux. En voiture, vous conduisez mieux que la moyenne. Même si parfois vous roulez vite, vous commettez peu d’imprudences et vous avez des yeux tout le tour de la tête pour prévenir les mauvaises manœuvres des automobilistes autour de vous. Vous compensez sans cesse pour leur incompétence.

Dans les deux cas, vous êtes peut-être victime d’un biais cognitif, dans ce cas-ci, un biais d’illusion positive.

Un biais cognitif, c’est une erreur de jugement ou un raccourci qui survient au quotidien lorsqu’on tente d’interpréter le monde qui nous entoure ou qu’on tente de se comprendre soi-même.

La voyance est basée là-dessus : « Vous avez une tante ou une grand-mère ou une cousine décédée, il y a la lettre “m” dans son prénom, ou dans son nom peut-être, ou dans celui d’un animal de compagnie qu’elle aurait eu, elle veut vous dire qu’elle vous aime et que tout va bien aller. » C’est un biais qui nous pousse à croire que des généralités s’appliquent spécifiquement à nous.

Certains biais nous sont utiles au quotidien. Ils nous ont même sans doute sauvé la vie pendant des milliers d’années. Lorsqu’on croit voir un visage humain ou une forme animale dans l’obscurité de la forêt, cette perception éveille nos sens et nous incite à nous protéger. Si la menace s’avère réelle, on est un peu plus prêts à y faire face. Pour arriver à prendre des décisions dans notre vie quotidienne, on doit utiliser des raccourcis, mettre de côté certaines informations. Sans les biais cognitifs, on prendrait des heures à analyser chaque geste du quotidien avant de le poser.

On a beau se dire qu’on est un individu unique, un libre penseur, qu’on s’est créé soi-même à force de milliers d’expériences diverses, qu’on ne ressemble à personne d’autre, au bout du compte notre personnalité est, en partie, un assemblage plus ou moins encombrant de biais cognitifs.

Les réseaux sociaux contribuent à renforcer notre biais de confirmation, qui consiste à ne retenir que les informations qui confirment notre croyance et à laisser de côté celles qui la contredisent. « Je crois aux fantômes, alors je ne vais pas lire ces articles qui expliquent le phénomène de façon scientifique. » On y baigne aussi dans le biais d’attention, quand nos perceptions sont influencées par nos intérêts. « C’est formidable, tout mon réseau adore la lecture et prend la protection de l’environnement à cœur ! »

« Je pensais justement à toi, je savais que t’allais m’appeler ! » C’est un biais qui nous fait dire avec assurance qu’on savait qu’une chose allait arriver. On ne l’aurait jamais affirmé avant que l’évènement se produise, mais une fois que le résultat est là, « je le savais ! ».

« Les instructions pour installer solidement une tablette sur une cloison sèche sont beaucoup trop longues et compliquées. Je vais plutôt utiliser mon instinct. » J’abuse beaucoup de celui-là. C’est un biais qui fait en sorte que les personnes incompétentes surestiment leurs compétences. Tout ce qui touche la rénovation ou la construction de près ou de loin me pose problème. J’ai de la difficulté à poser ne serait-ce qu’une simple tablette sans tout détruire et abandonner le projet, mais je n’apprends pas de mes erreurs. J’approche un mur avec ma perceuse déchargée et ma confiance aveugle en me disant que cette fois, ça y est, je vais en venir à bout, malgré le fait que je n’ai acquis aucune compétence utile depuis le massacre précédent.

On dit qu’il faut avoir accumulé 10 000 heures de pratique avant de pouvoir prétendre qu’on est un expert en quelque chose. Y consacrer 35 heures par semaine, ça me prendrait donc cinq ans avant d’être réellement compétent et fiable en rénovations.

C’est une moyenne, évidemment, et ça ne s’applique pas à tout. Il est plus difficile de maîtriser le violoncelle ou le concept de physique quantique que la dernière chorégraphie sur TikTok. (Quoique, dans mon cas, ça reste à voir.)

Malgré ma passion récente pour les biais inconscients, qui nous définissent sans qu’on s’en rende compte, je ne suis pas un expert en la matière, alors j’arrête tout de suite de vous achaler avec ça. Je ne vais pas faire comme beaucoup trop de gens, me donner un air confiant et me poser en spécialiste après avoir lu quelques articles en diagonale. Allez googler, vous en saurez vite autant que moi sur le sujet.

Ah oui, j’oubliais : si vous croyez que vous êtes le genre de personne extrêmement lucide qui échappe aux biais, sachez qu’il y en a 250 de répertoriés. Alors permettez-moi d’en douter !