La nouvelle direction de CNN évalue actuellement ses têtes d’affiche avec un objectif défini : peuvent-elles mettre la partisanerie de côté et démontrer une apparence de neutralité ? Est-ce que d’autres organisations suivront cet exemple ?

Une perte de confiance globale

La perte de confiance envers les médias n’est pas apparue avec la pandémie de COVID-19 ou avec la présidence de Donald Trump, mais elle a manifestement été exacerbée par ces éléments. Il est vrai qu’il est de plus en plus difficile pour les Américains de trouver une source d’information fiable et non partisane. Que ce soit Fox News à droite, ou encore CNN dont le jupon anti-Trump dépassait quotidiennement lorsque ce dernier était au pouvoir, le clivage des médias de masse a exacerbé la méfiance envers les journalistes aux États-Unis.

Entre 2016 et 2021, la confiance envers les médias a diminué de moitié chez les électeurs républicains, passant de 70 % à 35 %, selon le Pew Research Center.

Une tendance beaucoup moins draconienne chez les démocrates, mais tout de même notable. Bien qu’environ 6 Américains sur 10 aient une certaine confiance envers les médias, ce ne sont pas des statistiques enviables. Ce qui soulève des questions : ces derniers consomment-ils des nouvelles, et dans l’affirmative, de quelles sources proviennent-elles ? En sachant que près de la moitié des Américains s’informent sur les médias sociaux, il est facile de conclure que plusieurs d’entre eux ont délaissé l’information traditionnelle au profit de celle diffusée par les Facebook et Twitter de ce monde, ce qui peut avoir pour effet de réduire l’exposition à une variété d’informations différentes.

Bien que le phénomène ne soit pas unique aux États-Unis, ceux-ci ont fini bons derniers dans une récente étude sur la confiance envers les organisations médiatiques menée par Reuters dans 46 pays.

Médias partisans ?

Les attaques répétées de l’administration Trump envers les médias ou, comme le président se plaisait à les appeler, les « fake news media », ont creusé le fossé idéologique entre plusieurs grands journaux ou chaînes d’informations.

Bien qu’ils s’en défendent, le New York Times, MSNBC, CNN et d’autres médias dits « libéraux » n’ont pas hésité à laisser de côté la neutralité journalistique au profit d’une stratégie de défense de leur propre intégrité en traînant Trump dans la poussière.

À l’opposé, des médias comme Fox News ont pu ressembler par moments à une télévision d’État qui agissait comme le mégaphone de l’administration Trump avec le choix du contenu éditorial présenté. Cette partialité d’émissions comme Fox and Friends ou encore Tucker Carlson Tonight, pour en nommer uniquement deux, a poussé des commentateurs et animateurs à quitter le navire, comme Chris Wallace, par exemple, qui est passé à CNN.

Photo Richard Drew, archives Associated Press

Le présentateur vedette de Fox News Tucker Carlson anime leTucker Carlson Tonight.

Tout cela sans mentionner les médias hyper partisans qui, bien que marginaux, ont pris de l’importance en 2020 avec la contestation des résultats électoraux. Nous n’avons qu’à penser à One American News Network (OANN) ou à Newsmax qui accueillent régulièrement sur leurs plateaux les éléments les plus extrêmes et controversés du Parti républicain et qui ont servi de porte-voix au « grand mensonge » de Trump, la théorie selon laquelle l’élection de 2020 a été volée par Joe Biden.

L’objectivé, un idéal utopique ?

La présidence Biden a eu l’effet d’un retour à la normale pour bien des journalistes, avec des points de presse quasi quotidiens de la Maison-Blanche, une plus grande transparence et des échanges de bonne foi avec les correspondants.

Dans ce contexte de « re-normalisation » des relations entre l’administration Biden et les médias de masse et alors qu’on assiste à un changement de direction à CNN, la question de l’objectivité est revenue au premier plan. Est-elle possible ? Les chercheurs ne s’entendent pas à ce sujet, mais cette recherche d’objectivité comme critère doit permettre aux Américains de s’informer sans la présentation d’un parti pris évident.

Selon le média numérique Axios, la direction de CNN souhaite faire passer un test d’objectivité à ses têtes d’affiche pour s’éloigner de la tendance qui caractérisait l’organisation depuis quelques années. Les journalistes, commentateurs et animateurs pourraient se faire montrer la porte si leur ton est trop partisan. L’objectif est d’être nuancé dans les choix de questions et d’invités ainsi que d’éviter de paraître faire les relations publiques des démocrates. On a aussi annoncé dernièrement que l’utilisation ad nauseam de la bannière « breaking news » était chose du passé afin de prévenir le sensationnalisme forcé.

Un exercice noble en théorie, mais dont l’efficacité reste à démontrer dans la pratique. Les observateurs optimistes y verront une victoire pour la neutralité journalistique, mais les plus pessimistes pourraient justement y voir une belle opération de relations publiques de plus.

Peut-on s’attendre à ce que les médias de droite, les Fox News, Newsmax et OANN de ce monde, amorcent une réflexion similaire ? On peut toujours rêver.

Plus près qu’on pense

La perte de confiance envers les médias n’est pas propre à nos voisins américains. Ici aussi, la pandémie et surtout les restrictions associées à celle-ci ont provoqué une crise de confiance envers les médias traditionnels qui ont été pris à partie. L’influence de certains médias américains au Canada a été illustrée avec le « convoi de la liberté » de l’hiver dernier dans la capitale nationale. Les slogans à teneur américaine y étaient nombreux et les médias américains ont largement couvert l’évènement.

Pour aller plus loin

David Broockman et Joshua Kalla, « The Manifold Effects of Partisan Media on Viewers’Beliefs and Attitudes : A Field Experiment with Fox News Viewers », OSF Preprints, 1er avril 2022

Lisez le texte (en anglais)

Alison Dagnes, « Super Mad at Everything All the Time : Modern Media & Our National Anger », New York : Palgrave, 2019

Karine Prémont, « La fin du contre-pouvoir des médias aux États-Unis ? », Les Grands dossiers de Diplomatie, no 41, (octobre-novembre 2017).

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