Pour les peuples autochtones du monde entier, la mondialisation économique n’est pas seulement une question de marginalisation, elle représente une attaque multiforme contre le fondement même de leur existence.

La libéralisation du commerce et le développement lié à l’exportation, qui supposent l’exploitation des ressources naturelles par des sociétés multinationales sur des territoires autochtones, les marginalisent encore plus et sapent leur droit inhérent à l’autodétermination. Qu’il s’agisse d’exploitation minière, forestière ou pétrolière, de construction hydroélectrique ou encore d’agro-industrie orientée vers l’exportation, ces projets de développement s’accompagnent généralement d’une dégradation de l’environnement. De plus, la militarisation et la violence qui s’ensuivent mettent souvent en péril les possibilités d’adopter des moyens de subsistance traditionnels et de maintenir des institutions sociales et culturelles propres à ces peuples.

Les femmes autochtones sont souvent les premières à subir les effets négatifs de la mondialisation en tant que principales pourvoyeuses. C’est en particulier le cas dans les pays du Sud global, où elles deviennent des travailleuses surexploitées à la suite de leur entrée dans le secteur salarié.

Ces femmes sont également les premières à subir la destruction des économies autochtones, l’augmentation de l’émigration, ainsi que d’autres conséquences locales de la restructuration économique mondiale.

Il existe également des formes plus récentes d’exploitation des peuples autochtones et de leurs cultures, comme le vol et le brevetage des connaissances traditionnelles et des ressources biologiques et génétiques, notamment par l’entremise de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. La restructuration de l’économie mondiale, qui implique la libéralisation du commerce, de nombreuses privatisations et du « libre-échange », a également considérablement augmenté la pression sur les territoires autochtones. Le système économique mondial dominant repose sur une croissance continue et nécessite donc un approvisionnement incessant en ressources naturelles, dont les ressources restantes qui continuent d’être exploitées se trouvent souvent sur les territoires autochtones. La déréglementation des lois et des réglementations nationales relatives à l’extraction des ressources naturelles a entraîné une grave atteinte aux instruments internationaux, aux dispositions constitutionnelles et aux lois et politiques nationales protégeant les droits des peuples autochtones. On a fréquemment remis en question et miné le plus central de ces droits, le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, à l’occasion de nouveaux traités économiques multilatéraux liant les gouvernements nationaux.

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Mon propos n’est pas ici de présenter les femmes autochtones comme de simples victimes de la mondialisation ou de la violence. Même celles qui se trouvent dans des situations où les options sont très limitées ne perdent pas nécessairement leur agentivité et leur capacité à faire des choix, politiques entre autres (voir le texte de Suzy Basile dans cet ouvrage). Elles-mêmes soulignent le fait qu’au lieu d’être des victimes, elles sont les survivantes de siècles d’exploitation, d’assimilation et d’abus. Comme le fait remarquer Bonita Lawrence (1996), on exclut fréquemment leurs voix des discours féministes portant sur la violence à l’égard des femmes. On les considère aussi souvent comme des victimes parce qu’elles ne sont pas entendues comme elles le souhaitent ; parce que leurs histoires restent irréductiblement étrangères aux personnes blanches et autres bien intentionnées (Spivak, 2006).

Au lieu d’être des victimes, ces femmes sont des citoyennes de leurs nations qui luttent pour la reconnaissance de leurs droits.

Dans de nombreux cas, elles sont des organisatrices qui mobilisent activement leurs communautés et les ressources disponibles de la manière la plus créative qui soit et qui va souvent au-delà des idéologies et des pratiques de l’économie de marché mondiale. Il est toutefois nécessaire d’attirer l’attention de manière plus soutenue sur la violence multiforme qu’elles subissent et qui reste largement dans l’ombre de l’intérêt public et de l’action politique. Notre rôle, en tant que femmes autochtones dans les pays et dans des positions plus privilégiés – comme dans les universités –, n’est pas seulement d’analyser ces tragédies ignorées et de maintenir ces questions en vie, mais aussi d’examiner notre participation au capitalisme mondial, qui contribue directement à leur exploitation et à leur militarisation.

Extrait de Rauna Kuokkanen, pp. 249 à 260, du livre Perspectives féministes en relations internationales

Perspectives féministes en relations internationales Penser le monde autrement

Perspectives féministes en relations internationales Penser le monde autrement

Presses de l’Université de Montréal, mai 2022

288 pages

Qui est Rauna Kuokkanen ?

Rauna Kuokkanen, d’origine autochtone sámi, est professeure en études autochtones en Arctique à l’Université de Lapland, en Finlande.