On ne peut s’empêcher d’éclater de rire en lisant les livres de recettes de Marc Hervieux. Encore moins de pleurer. Et ce n’est pas aux pages qui commandent de couper des oignons que les larmes coulent le plus.

Les anecdotes mettant en scène son père Dollard, insérées entre les ingrédients du vol-au-vent au canard et ceux du bouilli canadien, témoignent magnifiquement d’une profonde admiration pour un homme qui a donné sa vie aux autres. Pour un père hésitant qui n’osait pas, qui a travaillé pendant 42 ans dans la même usine de sucre du quartier Hochelaga-Maisonneuve et qui n’est jamais allé plus loin qu’au chalet familial dans Lanaudière.

Tout le contraire de son fils. Sa voix exceptionnelle l’a conduit aux quatre coins du monde et ses intérêts variés l'ont amené à multiplier les casquettes professionnelles. « Je ne le juge pas, car je sais d’où il vient », résume le ténor en sirotant un café.

Les histoires touchantes qu’il a écrites dans Bon vivant ! opus 1 et 2 illustrent aussi une époque, un contexte. Autant social que culinaire. Dieu sait que les assiettes du Québec ont changé depuis les années 1970.

Après une jeunesse à manger en alternance les « huit ou neuf mêmes recettes », mettant principalement en vedette le bœuf et les pommes de terre achetées à l’automne en quantité astronomique, le chanteur d’opéra découvre avec enthousiasme et ouverture la gastronomie des villes européennes et asiatiques où il travaille.

Loin d’être intimidé, il est plutôt insatiable.

Je suis un grand curieux de nature. C’est sûr que j’allais essayer tout ce que je pouvais essayer ! En Corée, j’ai capoté. J’y serais déménagé pour la bouffe. C’est fou de penser qu’il n’y a pas si longtemps, au Québec, on ne pouvait même pas être curieux parce qu’on n’avait pas les ingrédients !

Marc Hervieux

En plus, la nourriture devient une source de réconfort pour l’artiste si souvent loin des siens.

« Les chanteurs d’opéra ne sont pas bien enrobés à cause de la voix. Ce n’est pas pour ça pantoute ! C’est parce qu’on est toujours au restaurant partout dans le monde et qu’on est tout seuls. C’était mon plaisir quotidien d’aller trois fois par jour au restaurant et de découvrir des choses. »

Photo Hugo-Sébastien Aubert, LA PRESSE

Aujourd’hui, c’est lui qui sert une dose de bonheur à ceux qui s’assoient dans son petit restaurant de Sainte-Adèle, dans les Laurentides. Son Café des Bons Vivants y propose évidemment quelques recettes empreintes de nostalgie, à l’instar de ses livres. Des cretons « avec beaucoup de clou de girofle » et une tartine de Map-O-Spread maison, fait de sirop d’érable et de crème, figurent sur le menu.

L’établissement se veut un projet-de-famille-tissée-serré-après-deux-ans-de-pandémie-qui-ont-laissé-des-séquelles. Bien plus qu’une source de revenus. Ses filles ont participé à la décoration et y travaillent. Le projet s’inscrit aussi, tout naturellement, dans une vie marquée par la nourriture.

Dès qu’il entre au primaire, le petit Marc rentre seul chez lui, le midi, pour se faire à manger. Il se concocte des sandwichs, des omelettes, se fait chauffer des boîtes de Chef Boyardee. « Je suis en première année, j’ai 7 ans et peux-tu croire ça, je me fais des patates frites dans un chaudron sur le poêle. Aujourd’hui, on ne peut pas imaginer ça. La DPJ débarquerait. Mais on est en 1975 et c’est comme ça ! Ça a teinté toute ma vie. »

Plus tard, dans un camp de vacances, il remplacera la cuisinière et se débrouillera pour nourrir plus de 100 jeunes par repas. Pendant le Conservatoire, il travaillera dans un restaurant de l’avenue Laurier.

Après avoir décidé de mettre un terme aux tournées mondiales pour voir ses trois filles grandir et permettre à son amoureuse Caroline d’avoir des projets professionnels, Marc Hervieux se retrouve à la télévision. Pendant deux étés, il coanime Cap sur l’été avec Marie-Josée Taillefer, ce qui lui permet de rencontrer 54 chefs cuisiniers, raconte-t-il, et d’apprendre d’eux.

Amoureux fou des livres de recettes, c’est avec tout ce bagage qu’il se retrouve désormais aux fourneaux de son propre restaurant où il pratique l’art latte.

Il cuisine beaucoup à la maison, aussi, où il forme en cuisine une « équipe de feu » avec sa « merveilleuse Caro », une femme « brillante » et « immensément sensible » qui l’impressionne depuis toujours. Avec elle, il adore recevoir de grands groupes de personnes – pensez 50, 60, 75 convives – à qui il ne propose jamais d’apporter une salade de pâtes. « Le pot luck n’existe pas chez nous. » Cuisiner pour l’autre, c’est l’aimer…

Sans surprise, son repas idéal est un repas « avec trop de nourriture au centre de la table et trop de conversations », résume le ténor qui se qualifie d’excessif.

Si la musique classique lui a enseigné la rigueur extrême, Marc Hervieux cuisine plutôt ses recettes préférées de mémoire, à peu près. Pour les immortaliser dans un livre, il fallait les préciser. Une étape fastidieuse. Il a cuisiné, ajusté, testé, cuisiné encore, discuté avec sa sœur qui avait en mémoire les recettes familiales d’antan. Et refait tous les plats pour les séances de photos.

Mais le plus difficile fut de se mettre dans la peau d’un auteur, pour écrire les tranches de vie qu’on découvre entre les recettes et les suggestions musicales de ses bouquins.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Ça m’a terrorisé. Je voyais ça gros. Je n’avais jamais écrit, alors je me jugeais sans arrêt. Il fallait que je trouve le ton. Je pensais que l’éditrice trouverait ça poche.

Marc Hervieux

Le résultat n’a pas été décevant, bien au contraire. L’ouvrage a même été couronné Meilleur premier livre culinaire au monde aux prix Gourmand World Cookbook.

Dans le sérieux monde de l’opéra, le parcours hétéroclite de Marc Hervieux détonne, bien entendu. « C’est sûr que je suis une bibitte unique… »

Mais il ne regrette pas une seconde d’avoir un jour choisi de rentrer au bercail et de se consacrer à sa famille après avoir parcouru le monde. Même si son agenda était alors rempli d’engagements internationaux pendant quatre ans. Et même s’il a subi certaines critiques en se tournant vers la musique populaire et l’animation. Pour les grandes fondations qui l’ont soutenu, il est devenu « un paria ».

Ça me faisait de la peine, mais j’étais bien avec mes décisions. J’avais le choix : me faire plaisir ou leur faire plaisir. Et je me suis choisi. Les opinions des autres, je n’en ai rien à faire.

Marc Hervieux

Cette capacité à faire fi du jugement d’autrui n’est pas donnée à tous. Comment y arriver ? Marc Hervieux résume ainsi son attitude pour me répondre : ne pas essayer quelque chose le rend encore plus malheureux que les regards désapprobateurs. Et si ça ne fonctionne pas, il ne craint pas de faire autre chose, de revenir dans ses anciens souliers.

« Tant que je n’ai pas essayé de faire quelque chose, je me dis que c’est sûr que j’en suis capable. » C’est grâce à cette philosophie empreinte d’optimisme et de confiance qu’il a rénové lui-même son restaurant, sans aucune expérience.

Oser, essayer, cuisiner, chanter, aimer, partager, admirer.

Voilà de bien belles manières de remplir une vie heureuse.

Questionnaire sans filtre

  1. Le café et moi : Un mauvais café ne mérite pas d’être bu !
  2. Ce qui me fait de la peine : Quand mes enfants ont de la peine, quand ils ont des difficultés et des inquiétudes face à l’avenir.
  3. Ce qui me met en colère : Cette tendance qu’ont les gens à dire que ce n’est jamais leur faute. Ça me pue au nez. On envoie tout le temps la faute sur quelqu’un d’autre ou sur le gouvernement. Ça me dérange. Admettons nos torts, nos faiblesses, nos lacunes.
  4. Personnes vivantes ou mortes que j’inviterais à ma table : Je suis très fidèle en amitié. Ce serait des gens significatifs dans ma vie. L’idéal, c’est des gens que j’aime.
  5. Un défaut que je corrige : Je suis de très, très bonne humeur ou très, très fâché. Comme un interrupteur on-off sans dimmer !

Qui est Marc Hervieux ?

  • Marc Hervieux est né le 19 juin 1969 dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, où il a grandi. Il est père de trois filles de 15, 17 et 20 ans.
  • Après avoir fondé une entreprise de graphisme, il étudie au Conservatoire de musique de Montréal et entame une carrière de chanteur d’opéra
  • En 2008, il abandonne les grandes scènes internationales pour rentrer au bercail près des siens. Il se tourne alors vers l’animation télé et radio, ainsi que l’enregistrement d’albums aux genres variés. Il continue aussi de donner une foule de concerts au Québec.
  • Marc Hervieux a écrit deux livres de recettes et ouvert son premier restaurant au printemps 2022.