Sans réelle politique de défense commune et sans force militaire autonome, l’Union européenne doit miser sur l’OTAN pour assurer sa sécurité, une situation qui apporte son lot de difficultés sur le plan géopolitique.

Lors du dernier sommet de l’OTAN, le président américain, Joe Biden, a réaffirmé avec force que « l’alliance est plus unie que jamais », et a déclaré que les pays membres sont prêts à renforcer les sanctions. Depuis le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, l’une des questions récurrentes porte sur la possibilité que ce front uni se dissolve dans l’application des sanctions. Les pays européens en subissent en effet davantage les conséquences que leurs alliés nord-américains.

Pour l’instant, le front semble tenir, de manière assez surprenante d’ailleurs. Mais cette cohésion ne durera pas forcément indéfiniment, car les intérêts géopolitiques et économiques européens ne se reflètent pas entièrement dans ceux de l’Amérique du Nord.

L’Union européenne et sa politique de défense

Ce débat met en lumière toutes les contradictions d’une politique commune des pays de l’Union européenne (UE), notamment en matière de sécurité.

Depuis 1992, l’UE a accéléré de manière spectaculaire son processus d’intégration. Aujourd’hui, l’Union a non seulement en partage des valeurs communes, mais exerce aussi des contraintes bien plus réelles sur les pays membres. À un marché commun et à la possibilité pour les personnes et les biens de circuler librement, on associe par exemple des contraintes sur le pouvoir de dépenser des États. C’est le résultat d’un remarquable processus d’intégration qui a été accompagné d’une cession partielle de souveraineté nationale par les pays membres à la faveur des institutions européennes. C’est un parcours sans égal dans l’histoire.

Cependant, l’UE, qui s’est dotée dès le départ d’une politique de défense et de sécurité commune, n’est jamais parvenue à mettre en place une force militaire commune et autonome qui pourrait garantir la sécurité des États membres en dehors du parapluie de l’OTAN.

L’évolution de l’OTAN

Ce fut sans doute une erreur, d’autant plus que l’Alliance atlantique a changé de vocation après la guerre froide : elle ne se limite plus à la défense ; elle est progressivement devenue une force d’intervention en dehors de sa zone d’origine. Cela a été perçu par la Russie, à tort ou à raison, comme une menace à sa sécurité.

En retardant son intégration militaire, l’UE a ainsi réduit sa capacité de négociation et de dissuasion. Le fait d’être sous l’égide de l’OTAN a eu pour conséquence que les États européens ont régulièrement réduit leurs investissements en matière de défense, s’en remettant à la protection des États-Unis.

Voilà qui peut surprendre, étant donné que l’Europe comptait sur le développement d’une politique de sécurité commune, en tenant compte de l’instabilité dans certaines zones européennes, comme les Balkans, après la chute de l’Union soviétique.

En effet, le changement de vocation de l’OTAN découle non seulement des choix américains, mais aussi de l’incapacité des pays européens à jouer un rôle de médiateur dans la dissolution sanglante de la Yougoslavie. Dans les années qui ont suivi, toutes les tentatives de mettre en place une force de défense commune ont soit échoué (comme en 1998, en raison de l’opposition du Royaume-Uni), soit impliqué une association militaire étroite avec l’OTAN.

Les craintes de la Russie

On se retrouve dès lors devant une incongruité : un État membre de l’UE comme la Finlande n’a aucune garantie de protection en cas d’attaque militaire, car la défense militaire de l’UE s’appuie sur l’OTAN, dont la Finlande ne fait pas partie.

Le retard de l’UE dans ce dossier a certainement eu des effets sur les tensions montantes avec la Russie. Moscou a souligné à plusieurs reprises son inquiétude sur le fait que l’UE avait fait de l’OTAN son pilier de défense. Selon le Kremlin, les relations trop étroites entre les États-Unis et l’Europe ont eu pour résultat que l’UE s’est trop conformée aux positions de Washington.

Dans une certaine mesure, le débat sur l’utilité d’une force armée commune européenne est revenu au-devant de la scène au cours des dernières années, surtout avec la montée des tensions entre la Russie et l’Ukraine. En effet, le président français, Emmanuel Macron, relançait cette idée en 2019 sans pour autant remettre en question les liens militaires avec l’OTAN.

Les conséquences de la guerre

La crise actuelle soulève un paradoxe : elle rappelle comment une réelle politique européenne de défense commune aurait été indispensable, tout en rendant celle-ci irréalisable. Car les pays européens continueront de s’appuyer sur les structures militaires existantes. On l’observe déjà avec les récentes décisions de l’Italie et de l’Allemagne d’augmenter leurs dépenses dans le domaine militaire : les deux pays le feront individuellement et non dans un cadre collégial européen.

Pour la Russie aussi, la situation soulève un paradoxe : si elle percevait l’OTAN comme une menace sur ses flancs, et le lien entre l’Europe et les États-Unis comme dangereux, la décision d’entrer en guerre avec l’Ukraine aura pour effet d’aggraver davantage cette menace. La présence des troupes de l’OTAN en Europe de l’Est sera renforcée et tout projet de défense militaire commune de l’UE sera remis à plus tard. La présence américaine risque fort de perdurer et Washington restera ainsi l’acteur le plus influent dans le paysage européen.

Plus près qu’on pense

Les pays européens ont fait de l’OTAN le pilier de leur stratégie défensive et, par conséquent, dans le contexte de la guerre en Ukraine, la présence militaire des alliés nord-américains sera plus grande sur le continent européen. On peut donc s’attendre à ce que l’engagement du Canada en Europe soit plus significatif. D’ailleurs, le premier ministre, Justin Trudeau, a déjà annoncé le renouvellement pluriannuel de l’opération RÉASSURANCE en Europe de l’Est.

Pour aller plus loin

  • Agence France-Presse, « L’Union européenne va se doter d’une force militaire », Radio-Canada, 22 mars 2022
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  • Maxime Lefebvre, « La guerre en Ukraine marque-t-elle un tournant pour la défense européenne ? », La Tribune, 5 avril 2022
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  • Michel Saba, « Justin Trudeau prolonge la mission canadienne en Europe », Le Devoir, 8 mars 2022
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  • Frédéric Mérand et Alexis De Lancer, « La Russie subit des sanctions économiques sans précédent », Ça s’explique, Radio-Canada, 15 mars 2022
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