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Il semble que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) refusera d’accréditer le vaccin de Medicago contre le coronavirus sous prétexte que l’industrie du tabac (Philip Morris) est actionnaire minoritaire de l’entreprise. Comment se fait-il que personne au gouvernement fédéral ni chez Medicago n’ait « allumé » (petit jeu de mots ici) à propos de cette restriction ? Des millions de dollars ont été investis dans l’élaboration du vaccin, la construction de l’usine, la recherche, l’accréditation et j’en passe.

Richard Champagne

Monsieur Champagne,

On a effectivement affaire à tout un imbroglio. L’OMS a rejeté cette semaine le vaccin de Medicago, qui a pourtant été approuvé par Santé Canada en février.

La raison : depuis 2008, le cigarettier Philip Morris est actionnaire minoritaire de cette entreprise de biotechnologie née en 1999 des laboratoires de l’Université Laval. Et il se trouve que l’OMS s’est dotée d’une « convention-cadre pour la lutte antitabac » qui compte notamment des mesures financières 1.

Medicago utilise une cousine de la plante de tabac comme bioréacteur pour produire ses vaccins. Mais selon l’entreprise, cela n’explique pas la participation de Philip Morris dans son actionnariat. C’est simplement un souci de diversification qui a amené le fabricant de tabac à multiplier les investissements dans le domaine de la santé il y a plusieurs années. À ses débuts, Medicago n’était pas en mesure de refuser un tel investissement, qui lui a permis de poursuivre ses recherches.

Aujourd’hui, il est évident que l’annonce de l’OMS est un coup dur pour l’entreprise. Surtout que peu d’observateurs s’attendent à ce que l’organisation change son fusil d’épaule.

Puisque le vaccin est approuvé par Santé Canada, il peut quand même être commercialisé chez nous. Il n’est pas non plus impossible qu’il soit approuvé par d’autres agences réglementaires. Mais en l’absence du sceau de l’OMS, sa diffusion internationale est grandement compromise.

Le gouvernement fédéral se retrouve aussi le bec à l’eau. La pandémie a poussé le gouvernement Trudeau à vouloir doter le pays d’une capacité locale de fabrication de vaccins, et Medicago représente un pan important de cette stratégie.

Au début de la pandémie, le fédéral a débloqué 183 millions de dollars pour permettre à Medicago de tester son vaccin contre la COVID-19 et l’aider à construire une usine de vaccins de classe mondiale à Québec.

Le fédéral a aussi acheté 20 millions de doses de vaccin de Medicago. Aujourd’hui, les Canadiens n’en ont pas vraiment besoin. Ottawa aimerait les diriger vers COVAX, un mécanisme de distribution international. Mais c’est impossible sans le sceau de l’OMS. Le fédéral se retrouve donc un peu « pris » avec les doses.

Connaissant la politique stricte de l’OMS, Medicago et le fédéral ont-ils manqué de clairvoyance ? Aujourd’hui, il faut avouer que ça ressemble beaucoup à ça.

Reportons-nous toutefois en 2020, au début de la pandémie. Tant Medicago que le fédéral affirment qu’ils étaient alors conscients des risques que posait la présence de Philip Morris dans l’actionnariat de l’entreprise.

Le hic, c’est que Medicago était alors engagée dans une course folle pour développer un vaccin. L’entreprise n’avait ni le temps de réfléchir à l’enjeu de l’actionnariat ni les moyens de se priver de capitaux alors qu’elle en cherchait activement pour financer ce nouveau programme imprévu.

Le fédéral était dans le même genre de frénésie. À l’époque, aucun vaccin contre la COVID-19 n’existait et le gouvernement misait sur toutes les entreprises susceptibles de lui en fournir. La présence de Philip Morris dans l’actionnariat de Medicago semblait alors une peccadille par rapport à l’urgence de trouver un vaccin.

Un signe clair que tout le monde pensait ainsi à l’époque est que la multinationale GlaxoSmithKline a collaboré avec Medicago en lui fournissant un ingrédient pour son vaccin (un « adjuvant ») sans que cela soulève la moindre objection.

Parions que si Medicago avait été la seule entreprise à développer un vaccin efficace contre la COVID-19, personne ne parlerait aujourd’hui de Philip Morris. Mais maintenant que Pfizer, Moderna, AstraZeneca, Johnson & Johnson et bien d’autres ont des vaccins, l’OMS peut se permettre d’être plus scrupuleuse envers Medicago.

La suite ? Tant Medicago que le gouvernement fédéral mènent des discussions avec l’OMS. Mais il est possible que la seule solution soit finalement d’exclure Philip Morris de l’actionnariat. Cela exigerait une négociation qui pourrait s’avérer difficile.

Le trou creusé par un éventuel départ de l’actionnaire pourrait être comblé par l’actionnaire majoritaire de Medicago, la japonaise Mitsubishi Tanabe Pharma. Mais il ne serait pas non plus étonnant que Québec ou Ottawa décident de prendre une participation dans Medicago.

1. Consultez la « convention -cadre pour la lutte antitabac » de l’OMS