Il y a eu cinq commissions sur le réseau de la santé du Québec depuis 35 ans. Au total, on compte cinq ans de travaux, des milliers de personnes consultées et des rapports qui font 1983 pages. « Il y a bien des rapports où j’aurais pu juste changer la date, les republier et dire : comment ça se fait qu’on n’a pas fait ça ? », a dit le ministre Christian Dubé en entrevue la semaine dernière. Avec son plan de « refondation », le ministre arrivera-t-il enfin à les concrétiser ?

« Tous les 15 ans, au Québec, on a une commission qui examine le système de santé du Québec », ironise le gériatre Howard Bergman, vice-doyen de la faculté de médecine de l’Université McGill. M. Bergman a lui-même fait partie de la commission Clair, qui a remis son rapport en 2001.

« On est reconnus au Québec pour écrire des politiques extraordinaires, mais ne jamais les évaluer et ne pas monitorer… Et ensuite, tout recommencer quand il y a un nouveau gouvernement. Comme dans un effort pour éviter d’être imputable… », ajoute Terry Kaufman, conseiller-expert en services de première ligne et soutien à domicile qui a travaillé dans le réseau de la santé, notamment comme directeur de CLSC, pendant 50 ans.

« Ça fait 20-25 ans qu’on propose des mesures » pour améliorer le réseau, renchérit le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le DGilbert Boucher. « Mais rien ne bouge », déplore-t-il.

1988 ou 2022 ?

La lecture du rapport Rochon, le plus ancien des documents que nous avons consultés, donne parfois le vertige, tant les propos qui y sont tenus pourraient être repris intégralement dans un rapport rédigé 34 ans plus tard. Voici quelques exemples.

  1. « Le bilan de l’évolution des deux dernières décennies amène la Commission à conclure que le système est pris en otage par les divers groupes d’intérêt et groupes de pression, par ailleurs légitimes et nécessaires dans toute société démocratique et pluraliste. Si les tensions actuelles se maintiennent, elles risquent de faire éclater le système et de faire perdre rapidement au Québec ce qu’il a mis près de vingt ans à construire. »
  2. « Les urgences des hôpitaux se sentent incapables de faire face à la demande, car trop souvent elles sont utilisées par le public comme la porte d’entrée pour obtenir des services de tout ordre. Elles se sentent particulièrement impuissantes devant les problèmes de détresse sociale et de maladie mentale auxquels elles doivent répondre et devant les nombres élevés de lits occupés par des malades en soins prolongés. »
  3. « Les directeurs de la protection de la jeunesse se sentent complètement débordés. Comme les urgences, ils ont le sentiment d’être la seule porte d’entrée pour le traitement des problèmes liés à l’enfance et à la jeunesse. »
  4. « Force est d’admettre que, s’il y a énoncé d’une politique claire, il arrive fréquemment qu’elle ne se concrétise pas. On fait des politiques, mais les moyens ne suivent pas, comme c’est le cas pour les services aux personnes âgées. »
  5. « En fait, dans l’état actuel du climat de travail dans le réseau, compte tenu des conditions de travail de certains salariés, la qualité des soins et des services serait déplorable s’il ne restait pas une bonne dose d’empathie et de dévouement chez le personnel affecté aux soins des malades et aux services sociaux. »
  • Commission Rochon
Présidée par celui qui deviendra par la suite le ministre de la Santé du Parti québécois, Jean Rochon. Remise du rapport colossal de 819 pages en 1988 après deux ans de travaux et la consultation de pas moins de 6000 personnes.

    PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

    Commission Rochon
    Présidée par celui qui deviendra par la suite le ministre de la Santé du Parti québécois, Jean Rochon. Remise du rapport colossal de 819 pages en 1988 après deux ans de travaux et la consultation de pas moins de 6000 personnes.

  • Commission Clair
Présidée par l’ancien ministre de la Santé Michel Clair. Remise du rapport de 454 pages en 2001, après six mois de travaux et un millier d’acteurs du réseau de la santé entendus. Le rapport fera largement consensus à sa sortie : tout le monde s’entend sur la pertinence des solutions proposées.

    PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

    Commission Clair
    Présidée par l’ancien ministre de la Santé Michel Clair. Remise du rapport de 454 pages en 2001, après six mois de travaux et un millier d’acteurs du réseau de la santé entendus. Le rapport fera largement consensus à sa sortie : tout le monde s’entend sur la pertinence des solutions proposées.

  • Commission Ménard
Présidée par feu le président de la Banque de Montréal Jacques Ménard. Remis en 2005 après six mois de travaux, le rapport de 155 pages est signé par 13 des 16 commissaires, les éléments syndicaux de la Commission ayant refusé de le signer à cause des recommandations sur le privé.

    PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

    Commission Ménard
    Présidée par feu le président de la Banque de Montréal Jacques Ménard. Remis en 2005 après six mois de travaux, le rapport de 155 pages est signé par 13 des 16 commissaires, les éléments syndicaux de la Commission ayant refusé de le signer à cause des recommandations sur le privé.

  • Commission Castonguay
Présidée par Claude Castonguay, ex-ministre de la Santé et père du régime d’assurance maladie. Le rapport de 338 pages est remis en 2008 après six mois de travaux. Le commissaire Michel Venne, représentant du Parti québécois, inscrit sa dissidence sur certains points, dont celui de donner le droit aux médecins de pratiquer à la fois au public et au privé.

    PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Commission Castonguay
    Présidée par Claude Castonguay, ex-ministre de la Santé et père du régime d’assurance maladie. Le rapport de 338 pages est remis en 2008 après six mois de travaux. Le commissaire Michel Venne, représentant du Parti québécois, inscrit sa dissidence sur certains points, dont celui de donner le droit aux médecins de pratiquer à la fois au public et au privé.

  • Commission Thomson
Présidée par Wendy Thomson, directrice de l’École de travail social de l’Université McGill (et aujourd’hui vice-chancelière de l’Université de Londres). Le rapport de 187 pages, qui porte spécifiquement sur le mode de financement des établissements de santé, est remis en 2014 après un an de travaux des trois commissaires.

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DE LONDRES

    Commission Thomson
    Présidée par Wendy Thomson, directrice de l’École de travail social de l’Université McGill (et aujourd’hui vice-chancelière de l’Université de Londres). Le rapport de 187 pages, qui porte spécifiquement sur le mode de financement des établissements de santé, est remis en 2014 après un an de travaux des trois commissaires.

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Feu Jean Rochon n’a été que le premier à ausculter le réseau. Quels sont les points communs dans les recommandations de ces cinq commissions ? La Presse a fait la synthèse pour vous.

1. Se doter d’une première ligne forte

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Ce qu’il fallait faire

Dans tous les grands rapports qui ont ausculté le système de santé québécois, c’est cette recommandation qui ressort le plus. En 1988, en plus de prescrire au réseau un « virage ambulatoire », le rapport Rochon recommande déjà de chambarder le concept de « champ de pratique exclusif », qui encourage un « corporatisme étroit et rigide », afin d’élargir l’accès aux soins.

Cette idée de confier davantage de tâches à d’autres professionnels que les médecins revient régulièrement : 13 ans plus tard, la commission Clair recommande « d’enrichir » le rôle de l’infirmière et d’accélérer la formation d’infirmières praticiennes. La commission présidée par Michel Clair recommande aussi la création de groupes de médecine familiale dans les cliniques privées, qui se concentreraient sur les soins physiques et assureraient une accessibilité 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, alors que les CLSC devraient plutôt donner la priorité à leur mission psychosociale en rendant accessible ce type de services au plus grand nombre. En 2005, le rapport Ménard recommande, au premier chef, de « consolider » la première ligne. En 2008, le rapport Castonguay dit qu’il faut « accélérer » la création de cliniques de santé dans le but que chaque Québécois ait un médecin de famille d’ici cinq ans.

Pourquoi cette « première ligne » est-elle si importante ? Parce que ce sont dans ces cliniques ou ces CLSC que peuvent se régler la très grande majorité des problèmes de santé physique ou psychologique. Une première ligne efficace préviendra tant l’engorgement des urgences que celui des CHSLD ou de la Direction de la protection de la jeunesse.

Ce qu’on a fait

Les groupes de médecine familiale (GMF) que réclamait la commission Clair ont bel et bien été créés : il y a 370 GMF sur le territoire québécois au sein desquels pratiquent 70 % des médecins de famille. Mais les GMF n’ont pas réglé les problèmes d’accès. À l’automne 2021, plus de 800 000 Québécois n’avaient pas de médecin de famille. Le gouvernement a créé un guichet d’accès pour ces patients orphelins, mais il y a plus de 600 000 noms sur la liste d’attente. Résultat : certains attendent des mois, voire des années. La plateforme Rendez-vous santé Québec, lancée par le gouvernement pour proposer des plages sans rendez-vous, n’offre, bien souvent, aucune disponibilité.

Faute d’accès à un médecin de famille, les patients se tournent vers les urgences. En 2021, le gouvernement a envoyé une équipe d’experts visiter les 25 pires urgences de la province. Dans plusieurs de ces rapports, le premier constat expliquant l’engorgement des urgences est « la difficulté d’accès aux médecins de famille en première ligne ».

Quant au décloisonnement des champs de pratique, l’exercice s’est fait dans la douleur au Québec. Les médecins québécois ont par exemple longtemps limité l’exercice des infirmières praticiennes, qui n’ont obtenu une pleine autonomie professionnelle qu’en 2020. Ces infirmières praticiennes sont toujours bien moins nombreuses au Québec (800) qu’en Ontario (3500). Le Collège des médecins est aujourd’hui ouvert à faire plus de place aux infirmières et aux autres professionnelles. Mais tout cela est récent.

Pour le consultant Terry Kaufman, les médecins « coûtent une fortune en première ligne », alors qu’il y a « beaucoup de monde pour qui ce n’est pas nécessaire de voir un médecin ». Il souligne qu’en 20 ans, « le budget des médecins a augmenté de 3 à 8 milliards : une hausse de 32 % depuis 10 ans. Pendant ce temps, les autres travailleurs n’ont pas eu plus que 2 % ou 3 % de hausse par année », dit-il.

Président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le DMarc-André Amyot estime que « l’erreur du gouvernement, c’est de faire porter sur le dos des médecins de famille l’entièreté des besoins de la première ligne », et ce, alors qu’il « manque 1000 médecins de famille au Québec ».

« En plus, ils sont sollicités en deuxième ligne [pour faire de l’hospitalisation], plus que n’importe où au Canada », dit le DAmyot. Ce dernier plaide pour « répartir l’accessibilité » sur d’autres professionnels. « On [les médecins de famille] n’est pas la seule solution, mais on fait partie de la solution. »

Le sort des infirmières ne s’est pas non plus amélioré depuis 20 ans. Malgré qu’il y ait, par habitant, plus d’infirmières au Québec qu’en Ontario (762 par 100 000 habitants au Québec par rapport à 609 pour 100 000 en Ontario), la profession vit une crise sans précédent, qui a poussé le gouvernement à offrir de généreuses primes pour pallier une pénurie qui fait mal.

Quant à la première ligne en matière psychosociale, le bilan est sombre. Faute de services efficaces, la DPJ, qui hérite désormais de plus de 100 000 signalements par année, est constamment débordée. Bon an, mal an, près de 3000 enfants sont en attente d’une évaluation. Les listes d’attente en santé mentale ont aussi explosé : en octobre 2021, 19 000 personnes étaient en attente de services au guichet d’accès en santé mentale.

2. Augmenter les soins à domicile pour les aînés

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Ce qu’il fallait faire

Dès 2001, le rapport Clair s’inquiète des effets du vieillissement de la population sur les services de santé et propose « d’accroître l’offre et l’intensité des soins à domicile et s’assurer qu’ils sont accessibles partout sur le territoire ». Pour ce faire, on avance l’idée d’une « caisse vieillesse », qui sera reprise dans les rapports qui suivront, notamment celui de la commission Ménard, qui propose un « régime d’assurance contre la perte d’autonomie ». Le comité Castonguay décrète lui aussi qu’il faut « investir massivement » dans les soins à domicile. Tout le volet médical devrait être payé par le public, alors qu’on devrait exiger une contribution de l’usager, selon le revenu et le degré de vulnérabilité, pour les autres types de services.

Ce qu’on a fait

Les gouvernements successifs ont bel et bien investi des centaines de millions de dollars en soins à domicile au cours des dernières décennies. Sauf qu’en vertu du « virage ambulatoire » qu’avait amorcé le rapport Rochon, qui voulait que les patients quittent l’hôpital le plus rapidement possible, une partie de cet argent a été dirigé vers les soins postopératoires.

Néanmoins, les gouvernements ont aussi investi vers la clientèle de longue durée. À lui seul, le gouvernement Legault a promis de verser 750 millions sur cinq ans dans le secteur. Pourtant, sur le terrain, les services demeurent chiches et, surtout, inégaux selon les régions. La population est moins bien desservie qu’il y a une décennie, montre une étude récente de l’Institut du Québec. En 2008, le Québec comptait 155 utilisateurs de soins à domicile par tranche de 1000 personnes âgées de 65 ans et plus au Québec ; 10 ans plus tard, cette proportion avait chuté à 119 pour 1000.

Et tout cela pendant que le vieillissement s’accélère : la proportion d’aînés, qui s’élève actuellement à 20 %, atteindra 25 % dans 10 ans. Les trois quarts du budget des soins de longue durée au Québec sont encore consacrés aux CHSLD, une proportion inverse par rapport à un pays avancé en la matière comme le Danemark, comme l’expliquait La Presse en octobre 2021

Lisez notre reportage sur les soins à domicile au Danemark

Quant aux projets de caisse vieillesse ou d’assurance autonomie, ils n’ont jamais vu le jour.

3. Décentraliser le réseau

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Ce qu’il fallait faire

Les efforts de régionalisation ne vont pas assez loin, statue, dès 1988, la commission Rochon. Le rapport recommande la création des régies régionales de santé, qu’on voulait fortes et autonomes. On avance même l’idée de régionaliser le budget de la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Le rapport Clair en remet, en précisant que les régies devraient disposer « d’une large marge de manœuvre » pour concrétiser les orientations ministérielles. Le rapport Castonguay propose de leur donner encore plus de force avec une formule « d’achat de services » auprès des établissements. L’idée de ces instances régionales était d’amener les établissements à collaborer entre eux dans une région donnée, plutôt que de fonctionner en silo.

Ce qu’on a fait

Au fil des ans, les régies régionales créées à la suite du rapport Rochon ont beaucoup évolué. En 2003, le ministre de la Santé, Philippe Couillard, les transforme en agences régionales de santé. Elles sont souvent critiquées : en 2007, le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, déplore leurs pratiques bancales en matière de gouvernance. Toujours en 2003, le ministre crée également une nouvelle structure, les centres de santé et de services sociaux, qui regroupent plusieurs établissements sous le même parapluie.

En 2015, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, pousse la réforme de son prédécesseur encore plus loin en créant les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), qui chapeautent la totalité des établissements d’une région, du CHSLD à l’hôpital en passant par la DPJ. Il supprime ainsi complètement les agences de santé, qui constituaient le palier administratif régional.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, 
ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Gaétan Barrette en 2015 alors qu’il était ministre de la Santé et qu’il pilotait une réforme du réseau.

Si cette réforme est saluée par certains acteurs du réseau, qui soulignent qu’elle a forcé la collaboration entre établissements, d’autres s’insurgent contre le fait qu’elle ait relégué au second plan des établissements comme les CHSLD ou la DPJ au profit des hôpitaux. Le DPhilippe Melanson, vice-président de l’Association des médecins de CLSC, qui compte 800 membres, estime que « tout est trop centralisé » dans le réseau, si bien que « rien n’est fonctionnel vite ».

« Dans les gros CISSS et CIUSSS, les besoins des CLSC sont en compétition avec les hôpitaux, les lits de soins intensifs… La gestion est dans le même budget », dit-il. Sans gestionnaire local dans les CLSC, il est aussi parfois « plus difficile de faire aboutir tes priorités », note le DMelanson, qui souligne que dans certains CLSC du Québec, « on trouve encore des tables d’examen des années 1980… »

4. Implanter le financement à l’activité

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Ce qu’il fallait faire

Le processus d’attribution des budgets aux établissements, « essentiellement politique », doit être revu, disait déjà il y a 35 ans le rapport Rochon. Le rapport soulignait également avec force qu’à 39 %, la part des dépenses financée par le gouvernement fédéral était vraiment insuffisante et devrait être renégociée.

Toutes les autres commissions d’examen du réseau en viendront aussi à la conclusion qu’il faut changer le mode d’attribution des budgets. Il faut accorder des budgets aux établissements en fonction de la population desservie et de ses caractéristiques plutôt que sur une base historique, disent les rapports Ménard et Castonguay. La commission Thomson, chargée d’examiner cette seule question, en vient aussi à la conclusion que « l’argent doit suivre le patient » et propose un plan d’action et un échéancier précis pour concrétiser cette petite révolution.

Ce qu’on a fait

Jamais l’argent n’a vraiment suivi le patient dans le réseau de la santé du Québec, mais 35 ans après le rapport Rochon, une réforme est en cours à ce sujet, indique le MSSS. Les porte-parole nous parlent d’une « transition d’un mode de financement principalement axé sur une base historique à un financement à l’activité ». Le tout se fera « par étapes ». Des travaux sont toujours en cours, mais « de nouvelles méthodologies de financement » sont déjà implantées « dans les secteurs du programme d’accès à la chirurgie, de la radio-oncologie, de la coloscopie et de l’imagerie médicale, ce qui se traduit par des économies et des gains d’efficience annuels de plusieurs dizaines de millions de dollars », indique le ministère de la Santé et des Services sociaux. Le financement à l’activité doit aussi s’étendre à d’autres secteurs « dès 2023-2024 ».

Chose certaine, la santé gruge une part de plus en plus importante du budget du Québec. Au milieu des années 1980, les dépenses sociosanitaires représentaient le tiers des dépenses du gouvernement du Québec. Cette part est passée à 43 % en 2021. Les coûts de santé augmentent régulièrement de 4 à 5 % par année, un rythme « insoutenable », a dit récemment l’actuel ministre de la Santé, Christian Dubé.

De 39 % à l’époque du rapport Rochon, la contribution du gouvernement fédéral n’a cessé de diminuer, en proportion du budget total de la santé. Elle s’élève désormais à 22 %. Pourtant, depuis les années 1990, tous les gouvernements successifs ont réclamé à Ottawa des hausses des transferts en santé.

5. Informatiser le réseau de la santé

PHOTO FRANCOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Ce qu’il fallait faire

On est encore loin de l’internet à la fin des années 1980, mais déjà, la commission dirigée par Jean Rochon recommande d’informatiser massivement le réseau pour avoir accès à davantage de données et limiter le gaspillage de ressources. Un exemple ? Un patient qui a passé une radiographie devra souvent en passer une seconde si son médecin a de la difficulté à obtenir les résultats du premier examen. Il faut implanter des systèmes d’information clinique et de gestion, réaffirme le rapport Clair en 2001. « La très grande majorité des intervenants ont déploré la faiblesse de nos systèmes d’information clinique », souligne-t-on. Treize ans plus tard, le rapport Thomson souligne le grand besoin « d’informations cliniques et financières » pour prendre des décisions éclairées.

Ce qu’on a fait

La pandémie a cruellement braqué les projecteurs sur l’informatisation déficiente du réseau de la santé, où on envoie encore souvent des documents par télécopieur, et où les systèmes informatiques des différents établissements ne peuvent communiquer entre eux. Résultat : pendant la crise de la COVID-19, le gouvernement a peiné à confectionner une liste des CHSLD « rouges », car on manquait d’informations de base. L’actuel ministre, Christian Dubé, est résolu à changer cette situation avec le projet de loi 19, qui améliorera l’accès aux données dans le réseau. Car à défaut de statistiques fiables, on navigue un peu à vue quand vient le temps de prendre des décisions…

Depuis 2006, les gouvernements successifs ont aussi englouti pas moins de 2 milliards dans le Dossier santé Québec, qui devait être la clé de voûte de l’informatisation des soins. Il a connu une série de ratés et encore aujourd’hui, son usage est loin d’être généralisé et les informations qu’il contient sont incomplètes : toutes les données d’hospitalisation pour un patient n’y figurent pas.

L’an dernier, l’actuel ministre Christian Dubé a lancé une nouvelle initiative, le Dossier santé numérique, qui vise à remplacer tout le papier dans le réseau. Coût escompté : jusqu’à 3 milliards de dollars.

Esclaves du papier et du télécopieur

Encore aujourd’hui, la majorité des hôpitaux n’ont pas de dossier électronique pour leurs patients, ce qui cause bien des maux de tête aux praticiens. Médecin de famille pratiquant à Saint-Donat, le DPhilippe Melanson nous donne l’exemple d’un de ses patients qui s’est fait soigner au Centre hospitalier régional de Lanaudière, à Joliette. Pour obtenir le dossier de son patient et les détails de son séjour à l’hôpital, le DMelanson doit d’abord demander à son patient de signer un formulaire de consentement. Il doit ensuite faxer ce document à l’hôpital. Une fois le consentement du patient reçu, l’hôpital doit faire une copie du dossier médical du patient, puis l’envoyer par la poste au DMelanson. « Et si tu as des dossiers électroniques pour les patients à ta clinique, tu dois ensuite numériser le dossier de ton patient… », dit-il.

6. S’appuyer davantage sur le privé

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Ce qu’il fallait faire

C’est de toute évidence l’enjeu le plus controversé de tous ces rapports, celui qui a souvent fait achopper le consensus attendu des commissaires. Sauf la commission Rochon, à des degrés divers, la majorité des grandes commissions d’enquête ont conclu qu’on devrait avoir davantage recours aux services du privé. Le rapport Rochon statue que le financement de la santé devrait demeurer public, sauf pour les immobilisations. Le rapport Clair cherche à mobiliser les cliniques privées et les cabinets de médecins spécialistes pour qu’ils épaulent le réseau public. Le rapport Ménard propose ouvertement de recourir davantage au secteur privé, notamment de réaliser des ouvrages en mode partenariat public-privé, de faire appel au privé en complément du public lorsque cela est pertinent et de favoriser le développement du privé pour les établissements de soins de longue durée. Le rapport Castonguay va encore plus loin : on recommande de permettre aux médecins de pratiquer à la fois dans le privé et le public et de permettre aux citoyens de se doter d’assurances privées pour des actes couverts par le public.

Ce qu’on a fait

Le secteur privé a toujours été un acteur des réseaux de santé, tant à l’échelle québécoise que canadienne. Au milieu des années 1970, la part des dépenses du privé en santé s’élevait à 21,2 % au Québec et à 23,8 % au Canada. En 2018, ces chiffres avaient grimpé à 28,5 % au Québec, contre 30,2 % au Canada. L’apport du privé est plus marqué pour tout ce qui touche le secteur des médicaments, des centres d’hébergement et des autres professionnels que les médecins – par exemple, les dentistes. Le salaire des médecins, le financement des hôpitaux, tout cela demeure, dans une proportion écrasante, assumé par le public. En 1987, 4 % des travailleurs québécois œuvraient dans le secteur privé en matière de santé ; 40 ans plus tard, c’était 6,9 %.

Certains hôpitaux ont été construits en mode partenariat public-privé au Québec. Dans le réseau d’hébergement pour aînés, on se repose de plus en plus sur le privé pour acheter des places, puisque les CHSLD publics ne suffisent pas à la tâche. On estime que 10 000 places sont ainsi achetées chaque année dans les établissements privés. Durant la pandémie, le gouvernement a misé sur des partenariats avec des cliniques privées pour rattraper les importants retards accumulés en chirurgie. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a déjà indiqué que son plan de refondation ferait plus de place au privé, tout en maintenant un système de santé universel.