Depuis l’avènement du « pivot » vers l’Asie – cette vision politique mettant l’accent sur la Chine comme rival stratégique, que l’administration Obama puis celles de Trump et de Biden, ont adoptée –, le Moyen-Orient est devenu moins saillant dans l’échelle de priorité américaine.

La guerre en Ukraine a cependant exacerbé les tensions entre l’Occident – au premier chef les États-Unis – et certains gouvernements, alliés traditionnels ou non, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

L’attentisme et les communiqués à mots feutrés des puissances de la région ont dévoilé leur déception face à une Amérique indolente et une Europe affaiblie tout en maintenant une façade de neutralité pour ne pas s’aliéner les belligérants. Les cas qui suivent illustrent bien cette dynamique.

Syrie

PHOTO YAMAM AL SHAAR, REUTERS

Affiche montrant la bonne entente entre Bachar al-Assad et Vladimir Poutine dans les rues de Damas, en Syrie

La guerre civile syrienne a permis à la Russie un retour spectaculaire sur la scène internationale. Le régime Assad lui devant sa survie, il a été l’un des cinq pays à voter contre la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine. Le soutien syrien à son allié s’étend encore plus loin, puisque des milliers de mercenaires syriens seraient prêts à se rendre sur le sol ukrainien, pour y combattre aux côtés des forces russes.

Émirats arabes unis

PHOTO ASSOCIATED PRESS

Le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, le cheikh Abdallah ben Zayed Al-Nahyan, et son homologue russe Sergueï Lavrov, lors d'une rencontre à Moscou, jeudi

Alors qu’il assurait la présidence tournante du Conseil de sécurité des Nations unies, ce pays du Golfe a obtenu l’ajout des houthis yéménites sur la liste des groupes terroristes, une demande répétée depuis le retrait du groupe de cette liste par l’administration Biden. Cette décision du président américain, au début de son mandat, avait suscité de vives critiques de la part de son allié émirati, et rapproché le gouvernement ben Zayed de la Russie. Les États-Unis assurent pourtant une protection aérienne et maritime du territoire émirati, en plus de fournir des armes sophistiquées à ce pays.

Arabie saoudite

PHOTO BANDAR AL-JALOUD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le prince héritier Mohammed ben Salmane accueillant à Ryad, mercredi, le premier ministre britannique Boris Johnson

Les tensions entre l’Arabie saoudite et les États-Unis, dont les liens sont fortement altérés depuis le 11 septembre 2001, ont été exacerbées lorsque la nouvelle administration Biden s’est empressée de reprendre les pourparlers en vue d’un accord sur le nucléaire iranien. En effet, les États-Unis n’ont pas semblé, aux yeux des Saoudiens, chercher à contenir l’expansion de l’ennemi juré de l’Arabie saoudite ; ils n’ont pas entendu les appels saoudiens pour tenter de mettre un terme au conflit yéménite ; et enfin, ils persistent à traiter le prince héritier ben Salmane comme un paria, alors que le spectre du journaliste assassiné Jamal Khashoggi plane sur les relations entre les deux pays. La guerre en Ukraine offre donc aux Saoudiens leur revanche : ils punissent ainsi l’Occident en refusant d’augmenter leur production en hydrocarbures – prétextant respecter l’entente de l’OPEP+. Cette attitude tournée vers la Russie pourrait persister puisque l’administration Biden a jeté de l’huile sur un feu brûlant en nommant le Qatar, ce frère mal aimé, mais dont les sous-sols regorgent de gaz liquéfié, allié majeur non membre de l’OTAN.

Égypte

PHOTO JOHANNA GERON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi

Le président Sissi se distancie à la fois de l’Occident et de la Russie. L’Égypte a, en effet, poursuivi ses échanges avec Moscou, mais s’est prononcée en faveur de la résolution des Nations unies condamnant les actions russes en Ukraine. Le pays refuse cependant d’appliquer des sanctions économiques, préférant le maintien d’un ordre international multilatéral. La nécessité d’importer du blé et les profits intéressants liés à la hausse du prix du gaz expliquent également cette attitude.

Algérie et Maroc

Les deux pays rivaux affichent une position fidèle à leur mésentente. L’Algérie, troisième importateur d’armes russes, reste fidèle à Moscou, alors que le Maroc réitère son soutien à l’intégrité territoriale des États, prenant, de fait, position en faveur de l’Ukraine.

Israël

PHOTO EVGENY BIYATOV, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le premier ministre israélien Naftali Bennett en discussion avec Vladimir Poutine en octobre dernier

L’État hébreu, dont les liens avec Poutine sont cordiaux, se trouve dans l’embarras. Redoutant une interdiction de survol du territoire syrien, le gouvernement israélien préfère ne pas répondre à l’appel de Kyiv qui réclame un dôme antimissile. De plus, préoccupé, tout comme l’Arabie saoudite, par la volonté américaine de négocier un nouvel accord nucléaire avec l’Iran, Tel-Aviv espère encore que Moscou entravera la signature d’une telle entente. Parallèlement, Israël se sent moralement l’obligation de soutenir le président ukrainien, de confession juive, et le peuple ukrainien dont la communauté juive a été, à l’époque, traumatisée par des pogroms.

Iran

PHOTO QATAR NEWS AGENCY, VIA REUTERS

Le président iranien Ebrahim Raisi

Tant en Israël que dans les monarchies sunnites du Golfe, la perception est que Biden a capitulé face aux velléités nucléaires de l’Iran. La République islamique pourra-t-elle profiter des sanctions contre la Russie pour exporter davantage de gaz en Europe tout en ménageant son alliance stratégique avec Moscou ?

Turquie

PHOTO ADEM ALTAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président Recep Tayyip Erdogan

Cinq millions de touristes et 40 % du gaz utilisé en Turquie proviennent de Russie. Le pays joue donc une partie serrée pour éviter des retombées économiques désastreuses. En revanche, conformément aux accords de Montreux, le gouvernement turc bloque le passage de tout navire de guerre par le détroit du Bosphore ou des Dardanelles. Effectuant une percée diplomatique, le président Erdogan a réuni les ministres des Affaires étrangères russe et ukrainien pour une première rencontre depuis le début de l’offensive.

Ces quelques exemples démontrent que l’influence des États-Unis au Moyen-Orient est dans une phase critique. La Pax americana n’est aujourd’hui plus que l’ombre d’elle-même et Washington en est le premier fautif. Après avoir survécu aux printemps arabes, les régimes autoritaires et conservateurs de la région nourrissent toujours un dédain pour le modèle libéral. Alors que l’Europe, l’OTAN et les États-Unis sont déterminés à endiguer la Russie derrière un nouveau rideau de fer et à la couper des institutions économiques internationales, la Chine pourrait profiter de ce contexte pour faire avancer son programme économique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, un programme plus souple que celui des Occidentaux, loin des demandes de libéralisation politique ou de démocratisation.

Plus près qu’on pense

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Les prix à la pompe ont bondi ces dernières semaines au Canada.

Les sanctions sur le secteur des hydrocarbures russe, accompagnées du refus des pays du Moyen-Orient membres de l’OPEP de rehausser leurs niveaux de production pour compenser la baisse des exportations russes, ont entraîné une flambée des prix du pétrole sur les marchés mondiaux. Au Canada, cette hausse se fait ressentir sur les prix à la pompe et alimente l’inflation en général, mais pourrait également être une manne pour les provinces comme l’Alberta, dont l’économie dépend largement du pétrole.

Pour aller plus loin

Les suggestions de Sami Aoun :

  • Lire l’ouvrage de Roland Lombardi Poutine d’Arabie : où, pourquoi et comment la Russie est devenue incontournable en Méditerranée et au Moyen-Orient (2020)
  • Lire l’ouvrage de Denis Beauchard Le Moyen-Orient au défi du chaos : un demi-siècle d’échecs et d’espoirs, (2021)
  • Écouter la table ronde « Valses, tensions et perspectives au Moyen-Orient et en Afrique du Nord » du 24 février 2022
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