Pour les démocrates, 2022 ressemble au jeu pour enfants où il faut courir avec un œuf dans une cuillère sans le faire tomber : ils devront franchir plusieurs obstacles politiques, sans laisser tomber les électeurs en chemin, puisque les élections de mi-mandat se trouvent sur la ligne d’arrivée.

Les stratèges politiques vous le diront, il est souvent plus facile de mobiliser l’opinion publique contre quelque chose. Le public est plus susceptible de critiquer ce qui ne va pas que d’applaudir les bons coups. Les élections américaines de mi-mandat illustrent parfaitement ce phénomène.

En effet, les midterms sont souvent perçues comme un référendum sur la performance du président et tendent à mobiliser davantage ses critiques que ses sympathisants, au détriment des élus de son parti au Congrès. À preuve, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, seulement deux élections de mi-mandat n’ont pas mené à des pertes au Congrès pour le parti du président : celles de 1998 et de 2002. Dans les deux cas, le président (respectivement Bill Clinton et George W. Bush) bénéficiait d’un haut taux d’approbation, ce qui est loin d’être le cas actuellement. La situation ne se limite toutefois plus aux midterms. Un sondage de NBC News/WSJ a démontré que la majorité des gens qui avaient l’intention d’appuyer un candidat, que ce soit Joe Biden en 2020 ou Donald Trump en 2016, ne votaient pas tant pour ce dernier, mais plutôt contre son adversaire. Dans une société aussi clivée que les États-Unis, ce fait n’est pas très étonnant, mais complique néanmoins la tâche des démocrates qui essaient de convertir leurs succès en appuis. L’absence de variation dans l’opinion publique à la suite de l’adoption du plan d’infrastructure, durement négocié l’automne dernier, le démontre bien : le taux d’approbation du président demeure sous la barre des 50 % depuis la fin de l’été dernier.

Pourtant, s’il souhaite éviter une défaite pour son parti en novembre, comme l’ont fait Clinton et Bush, Biden devra trouver un moyen de faire mousser sa cote de popularité.

Tout en gardant les préoccupations électorales en arrière-plan, les législateurs démocrates doivent donc trouver le moyen de mieux démontrer comment leur travail aura des effets positifs sur la vie des Américains. Cependant, pour tenter de sauver des éléments du plan Build Back Better du président Biden, les démocrates se concentrent sur ce qui fait davantage consensus au sein du caucus : la lutte contre les changements climatiques. Un enjeu certes prioritaire pour beaucoup d’Américains, mais qui a peu d’influence sur leur quotidien, contrairement à d’autres mesures très populaires auprès des électeurs comme le crédit d’impôt pour enfant, la bonification des programmes publics en santé et l’instauration d’un congé parental.

En mettant de côté, faute d’appuis au Sénat, les mesures qui ont le plus grand potentiel d’avoir un effet direct sur la vie des Américains, les démocrates laissent ainsi la place aux républicains pour critiquer l’inertie actuelle et tenter de tirer profit des préoccupations économiques de la population, dont l’inflation.

De plus, le programme législatif du Sénat a été bousculé par l’annonce de la démission du juge Stephen G. Breyer. En effet, le processus de confirmation de sa successeure risque d’occuper une place importante dans les travaux de la chambre haute au cours des prochaines semaines, sans amener de réel bénéfice politique pour les sénateurs démocrates.

La nomination d’une juge de même allégeance idéologique que son prédécesseur ne suscite pas autant d’enthousiasme qu’une nomination qui viendrait changer l’équilibre de la Cour suprême. De leur côté, les troupes de Mitch McConnell ne manqueront pas de rappeler à leurs électeurs l’importance d’élire une majorité républicaine au Sénat pour bloquer les prochaines nominations, dans le cas, par exemple, du décès du prochain doyen de la Cour suprême, le conservateur Clarence Thomas.

En politique étrangère, la gestion de la crise ukrainienne pourrait rapidement devenir un terrain glissant.

Si les Américains sont pour l’instant favorables au fait que leur pays soutienne Kiev dans le face-à-face avec Moscou, l’administration Biden doit garder en tête l’exemple récent du retrait de l’Afghanistan, qui a démontré qu’une mesure initialement populaire, mais mal exécutée, peut rapidement plomber les appuis dans l’opinion publique.

Les occasions de trébucher avant la ligne d’arrivée sont donc nombreuses pour les démocrates. Pourtant, une lueur persiste pour le parti du président : la mobilisation électorale. Bien que plusieurs nouvelles lois aient été adoptées dans au moins 19 États afin de restreindre l’accès au droit de vote, il a été démontré que, plutôt que de diminuer la participation, ces mesures ont par le passé entraîné un contrecoup et motivé davantage les électeurs à se rendre aux urnes. Les démocrates peuvent aussi s’inspirer du succès en Géorgie lors des élections de 2020 et espérer qu’encore une fois cette année, différentes initiatives pour inscrire et mobiliser les électeurs seront suffisantes pour contrecarrer la stratégie à peine voilée des législatures républicaines.

* L’auteure est également candidate au doctorat en science politique à l’UQAM.

Plus près qu’on pense

Moins suivies que l’élection présidentielle de ce côté de la frontière, les élections de mi-mandat au Congrès peuvent pourtant avoir des conséquences importantes pour le Canada, comme l’a démontré le débat entourant la ratification de l’ACEUM. En effet, si le président est le visage du gouvernement américain, c’est avant tout le Congrès qui adopte les budgets, les lois et les traités. Dans un avenir rapproché, les mesures pour lutter contre les changements climatiques, notamment la transition énergétique, pourraient avoir un impact de notre côté de la frontière.

Pour aller plus loin

  • L’article « Why The President’s Party Almost Always Has A Bad Midterm » publié sur le site FiveThirtyEight.
Lisez l’article (en anglais)
  • Le livre Why We Are Polarized d’Ezra Klein offre une réflexion intéressante sur le clivage des opinions aux États-Unis.
  • Restez à l’affût des publications de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand pour comprendre les enjeux et les courses à suivre lors des élections de novembre.
Consultez la page de l’Observatoire