La forêt, le militant écologiste Henri Jacob l’a dans la peau. Voilà 50 ans qu’il la défend contre le développement. Il y a même vécu 10 ans, sans eau courante ni électricité. Il était donc naturel que ce soit en plein bois que notre éditorialiste Philippe Mercure aille le rencontrer, dans son Abitibi natale.

(Val-d’Or) En Abitibi, l’expression « se tirer une bûche » est à prendre au sens propre.

Avec une force étonnante, Henri Jacob attrape une grosse section de tronc d’arbre à bras-le-corps, puis la dépose avec fracas devant une éclaircie qui donne sur la rivière Piché. Il nous invite à nous asseoir, sort un thermos et des tasses d’un sac à dos et nous verse un café fort, noir et brûlant qui revigore en ce froid matin de novembre.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Henri Jacob

Il désigne une île plantée de conifères, au-delà de l’eau et des roseaux.

« Vous voyez la pointe ? Ma maison était juste derrière les premiers sapins », dit-il.

Nous sommes à quelques kilomètres de Val-d’Or, sur les terres d’Henri Jacob. Cette île a une signification particulière pour lui. Dans les années 1980, il y a vécu 10 ans avec sa blonde et sa fille encore toute jeune. Une vie menée parmi les canards, les ours et les orignaux, sans eau courante ni électricité.

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Henri Jacob

« J’ai commencé à militer en 1972 et je voulais mettre en pratique ce que j’avais appris en théorie, explique-t-il. Et déjà, à l’époque, j’avais l’impression qu’il n’y avait plus grand espoir pour l’environnement. Je voulais faire connaître un milieu plus naturel à ma fille pendant que c’était encore possible. »

L’hiver, c’est son chien, un terre-neuve, qui traversait la rivière gelée pour amener la petite à l’école en traîneau. « Le soir, je l’envoyais la chercher. Il l’attendait à l’école et la ramenait », raconte-t-il.

* * *

Henri Jacob naît en 1952 à La Reine, un village à la frontière de l’Abitibi et de l’Ontario qui se targue d’être la « capitale mondiale du bout du monde ».

« J’ai été élevé au bord du bois. Notre terrain de jeu, c’était la forêt », dit-il.

Le goût du militantisme lui vient par hasard. Henri Jacob a 20 ans quand il participe à la toute première édition du programme Jeunesse Canada Monde. L’expérience, parsemée de fêtes mémorables, l’amène de l’Alberta à l’Ontario en passant par le Mexique.

Alors qu’il se trouve dans une colonie de vacances près d’Edmonton, il attrape le premier livre qui lui tombe sous la main pour apprendre l’anglais. The Silent Spring, de Rachel Carson, décrit les ravages des pesticides sur l’environnement. Le livre fait forte impression sur le jeune homme.

De retour en Abitibi, Henri Jacob devient militant environnemental avant même que l’expression ne soit connue.

« Je ne savais même pas que j’étais écologiste ! », lance-t-il.

Outré par les sociétés forestières qui défrichent les territoires où il aime camper et faire de la randonnée, il réplique à sa façon.

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Henri Jacob

Il y a des choses que je peux conter aujourd’hui, mais que je ne disais pas dans le temps, même à mes chums. Comme aller désajuster les carburateurs des bulldozers des forestières… Je n’ai jamais rien fait qui ait pu blesser les gens. C’était juste pour les ralentir.

Henri Jacob

Henri Jacob s’invite à des rencontres où il n’est pas le bienvenu. Il se souvient de l’une d’elles, organisée entre le ministre des Forêts et les entreprises forestières, où il pose des questions qui dérangent.

« Je n’ai pas eu le temps d’avoir mes réponses. Il y a deux gros bonshommes qui m’ont pris par le dessous des bras et qui m’ont amené dehors, devant le ministre ! », raconte celui qui admet avoir été « peut-être un peu baveux » à l’époque.

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Henri Jacob montre la forêt qui s’étend de l’autre côté de la rivière Piché. Elle a maintes fois été dans la ligne de mire des entreprises forestières. Mais avec quelques « complices », Henri Jacob s’est constamment placé sur leur chemin.

« À la blague, je dis qu’on a fait une aire protégée avant que le concept d’aire protégée existe », lance-t-il.

« On allait vérifier les plans de coupe et on savait une année d’avance où ils voulaient bûcher », explique-t-il.

Notre stratégie, pour les bloquer, c’était de faire des sentiers de ski de fond. Comme on savait qu’ils étaient obligés de maintenir des marges autour, on les découpait pour qu’il reste juste des petits bouts qui n’étaient pas intéressants.

Henri Jacob

Tout en militant, Henri Jacob multiplie les boulots pour gagner sa vie. Moniteur de conduite automobile, guide d’interprétation de la nature, travailleur de la construction : il garde chaque emploi juste assez longtemps pour toucher l’assurance-emploi.

« De grands bouts, je disais que j’étais fonctionnaire. J’étais payé par le fédéral pour militer ! », lance-t-il en riant.

Il fait aussi de longs mandats pour la communauté anichinabée de Kitcisakik. Il conseille les autochtones sur la façon d’interagir avec le gouvernement et les entreprises forestières, puis coordonne un projet de déménagement de la communauté qui ne verra finalement jamais le jour.

« Les autochtones, je les connaissais. On avait des affinités sur la mentalité de gestion du territoire », dit-il.

Au fil des ans, il contribue à fonder de nombreuses organisations écologistes, dont l’Action boréale avec le chanteur Richard Desjardins – aujourd’hui un ami proche.

Chaque été depuis 27 ans, il disparaît aussi cinq semaines en forêt pour aller poser des bagues aux pattes des canards. L’opération, effectuée pour le Service canadien de la faune, permet de documenter les fluctuations des populations.

Évidemment, dans une région qui vit largement des mines et de la forêt, les méthodes d’Henri Jacob ne plaisent pas à tous. Dans les années 2000, alors qu’il s’oppose au développement de la mine d’or Canadian Malartic, c’est sa fameuse maison sur l’île, devenue alors un chalet, qui en fait les frais.

Henri Jacob fait du ski de fond sur la rivière quand il voit deux motoneiges s’éloigner des lieux à pleins gaz. Arrivé au chalet, il constate qu’il a été démoli à coups de hache.

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Henri Jacob

C’est plate, mais ça fait partie de la game. Je dis au monde : “Maintenant que je n’ai plus de chalet dont je dois m’occuper, ça va juste me donner plus de temps pour me battre !”

Henri Jacob

Parce que vous l’avez compris : après un demi-siècle de militantisme, Henri Jacob n’a aucune intention de s’assagir. ll continue la « lutte » et veut transmettre ce qu’il a appris aux plus jeunes.

Devant l’urgence climatique et l’inaction qui l’accompagne, il avoue parfois pencher vers le pessimisme. Mais il se rappelle alors un souvenir. Il faisait du pouce au Guatemala, en 1976, quand un tremblement de terre a frappé et fait plus de 20 000 morts. Lui a survécu.

« D’un coup, j’ai vu les gens se parler et se mettre à collaborer, raconte-t-il. Je me dis qu’il y a peut-être des évènements qui vont survenir et qui vont provoquer un choc comme ça et une prise de conscience. »

« De toute façon, j’ai des petits-enfants, dit-il. Alors je n’ai pas le luxe d’être pessimiste. »

Questionnaire sans filtre

1. Le café et moi : En me levant, je me prépare un café que je déguste en lisant un livre (roman ou biographie). C’est le moment de la journée où la concentration est la meilleure.

2. Mon dimanche matin idéal : Faire une promenade en forêt avec mes petits-enfants.

3. Les gens que j’aimerais réunir à table, morts ou vivants : Michel Jurdant (un écologiste québécois disparu en 1984) et le dalaï-lama.

4. Sur ma pierre tombale, j’aimerais que l’on inscrive : J’ai fait mon possible pour tenter de ralentir la destruction de la Terre.

5. Ma devise préférée : « Mourir deboutte ou ben assis, j’préfère deboutte. Ça fât moins d’plis. »

Qui est Henri Jacob ?

  • Né en 1952 à La Reine, en Abitibi.
  • Se décrit comme un « militant écologiste non rémunéré » depuis 1972.
  • A contribué à fonder de nombreuses organisations écologistes, dont le Réseau québécois des groupes écologistes, le Regroupement écologiste Val-d’Or et environs (REVE), l’Action boréale de l’Abitibi-Témiscamingue et la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine.
  • A été conseiller politique auprès du Conseil des Anicinapek de Kitcisakik de 1999 à 2001 et coordonnateur du projet du futur village Wanaki de 2005 à 2014.
  • Moniteur de survie en forêt et guide d’expédition à ses heures.
  • Père d’une fille et grand-père de quatre petits-enfants.