D’ici 2040, le Québec verra sa population de 75 ans et plus doubler. Pour éviter d’être submergé par ce tsunami gris, Québec veut accélérer le développement des soins à domicile. Depuis des années, un pays se démarque dans ce domaine : le Danemark. La Presse a visité ces premiers de classe pour savoir comment s’en inspirer.

« On donne des soins de plus en plus spécialisés »

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Les préposés aux bénéficiaires Cina Paulsen et Pia Hansen donnent des soins à Kevern, qui est atteint de la maladie de Parkinson.

Copenhague — Étendu sur son lit dans un petit appartement du quartier de Valby, à Copenhague, Kevern, 64 ans, a le corps rigide. Atteint de la maladie de Parkinson, l’homme est littéralement prisonnier de son corps.

Il est 8 h. Les préposées aux bénéficiaires Pia Hansen et Cina Paulsen aident le patient à se lever. Elles lui retirent sa couche. Lui font une toilette partielle. Kevern, qui n’est plus capable de parler, émet un grognement constant.

L’auxiliaire de soins (équivalent d’une infirmière auxiliaire au Québec) Lone Schjødt parle avec la femme de Kevern. Le couple dort dans le salon de son petit appartement situé dans une habitation à loyer modique. Elle sur le sofa. Lui dans un lit électrique.

Depuis trois ans, Kevern reçoit des soins à domicile pour pouvoir rester chez lui. Lone Schjødt le suit depuis le début. « Son état s’est beaucoup dégradé ces derniers mois. Mais il veut vraiment rester ici », dit-elle.

  • Cas très lourd, Kevern pourrait très bien se trouver en CHSLD. Mais il désire rester à la maison jusqu’à la fin de sa vie. « Donc, notre travail, c’est de lui offrir des soins », résume Lone Schjødt, qui observe ses collègues Pia Hansen et Cina Paulsen qui s’activent auprès de Kevern.

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    Cas très lourd, Kevern pourrait très bien se trouver en CHSLD. Mais il désire rester à la maison jusqu’à la fin de sa vie. « Donc, notre travail, c’est de lui offrir des soins », résume Lone Schjødt, qui observe ses collègues Pia Hansen et Cina Paulsen qui s’activent auprès de Kevern.

  • Lone Schjødt donne ses médicaments à Kevern en les cachant dans une banane. Elle lui parle doucement. L’équipe travaille vite. Mais on ne la sent pas pressée.

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    Lone Schjødt donne ses médicaments à Kevern en les cachant dans une banane. Elle lui parle doucement. L’équipe travaille vite. Mais on ne la sent pas pressée.

  • Un bouton d’urgence a été installé dans le logement de Kevern. S’il tombe durant la journée, ou s’il remplit sa couche, sa femme n’a qu’à appuyer dessus. « On doit venir en 20 minutes », dit Lone Schjødt. Les routes des équipes, qui se déplacent à vélo électrique, sont conçues en conséquence.

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    Un bouton d’urgence a été installé dans le logement de Kevern. S’il tombe durant la journée, ou s’il remplit sa couche, sa femme n’a qu’à appuyer dessus. « On doit venir en 20 minutes », dit Lone Schjødt. Les routes des équipes, qui se déplacent à vélo électrique, sont conçues en conséquence.

  • Une heure après leur arrivée, les trois travailleuses ressortent. Lone Schjødt fait une pause de cinq minutes avant d’enfourcher son vélo électrique et de filer vers son prochain patient.

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    Une heure après leur arrivée, les trois travailleuses ressortent. Lone Schjødt fait une pause de cinq minutes avant d’enfourcher son vélo électrique et de filer vers son prochain patient.

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Avec 65 % de son budget de soutien aux personnes âgées consacré aux soins à domicile, le Danemark, dont la population, comme celle du Québec, vieillit à la vitesse grand V, a fait le pari depuis longtemps de maintenir ses aînés le plus longtemps possible à la maison. Pour respecter leur désir. Mais aussi pour économiser, les soins à domicile demeurant plus économiques que l’hébergement. En comparaison, le Québec consacre plutôt près de 70 % de ce budget à l’hébergement. Coût d’une place en CHSLD au Québec : 91 000 $ par année

Coût des soins d’une personne âgée en lourde perte d’autonomie recevant des soins à domicile : 86 200 $ *.

« On donne des soins de plus en plus spécialisés en soins à domicile », dit Christina Kirkegaard, responsable des soins à domicile dans le quartier d’Åbyhøj à Aarhus, deuxième ville du Danemark.

Dans ce pays nordique, les municipalités ont à charge l’organisation et l’administration des soins à domicile sur leur territoire. À Copenhague, 10 000 résidants reçoivent des soins à domicile explique Birgitte Kofoed, responsable de ce secteur à la municipalité.

Pour la majorité des citoyens, les services se résument à recevoir de l’aide au ménage une fois toutes les deux semaines. Mais pour d’autres, comme Kevern, l’intensité des services est bien plus élevée.

« Quand une personne a besoin d’un service, elle appelle la municipalité. On envoie quelqu’un qui évalue son état et les services débutent. On lui accorde un certain temps pour le ménage, pour les soins, pour faire son lavage, son épicerie… », résume Mme Kofoed.

Qu’en est-il des listes d’attente pour recevoir des soins à domicile ? « Il n’y en a pas, affirme Mme Kofoed. On donne vraiment juste ce dont la personne a besoin. Mais il n’y a pas d’attente. »

Au Québec, plus de 41 000 personnes étaient en attente de soins à domicile en 2020-2021, dont près de 20 000 depuis plus de 90 jours.

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Lone Schjødt en tournée dans le quartier de Valby.

Avant d’entamer ses journées, Lone Schjødt se réunit avec une vingtaine d’autres travailleurs de soins à domicile pour faire le point sur les dossiers du jour. En tout, de 160 à 200 patients ont besoin de soins à domicile dans le quartier de Valby. « L’horaire des travailleurs est serré. Mais avec l’expérience, ils peuvent se dégager du temps », explique Christina Hassan, responsable de l’équipe.

Des patients connus

Après la visite chez Kevern, Lone Schjødt arrive chez Jens Erik Pedersen. Elle déverrouille sa porte à distance avec un iPad connecté à la serrure électronique du patient. L’homme de 82 ans, qui a une maladie du cœur, l’attend à sa table de cuisine. Il n’a plus de médicaments dans ses dosettes et Lone Schjødt doit les lui remplir.

L’infirmière auxiliaire constate que quelques-uns des flacons de médicaments de M. Pedersen sont sur le point d’être vides. Grâce à son iPad, elle communique directement avec la pharmacie et fait livrer de nouveux flacons.

  • Lone Schjødt et Jens Erik Pedersen, 82 ans

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    Lone Schjødt et Jens Erik Pedersen, 82 ans

  • M. Pedersen souffre d’une maladie cardiaque.

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    M. Pedersen souffre d’une maladie cardiaque.

  • Lone Schjødt remplit ses dosettes.

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    Lone Schjødt remplit ses dosettes.

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Une quinzaine de minutes plus tard, après avoir accepté un bonbon à la réglisse de M. Pedersen, Lone Schjødt repart et se rend chez un homme se déplaçant en fauteuil roulant. Deux cendriers remplis de mégots traînent sur la table du salon aux côtés d’assiettes contenant des restants de repas. Les murs sont jaunis par la nicotine.

L’homme à la barbe longue et aux cheveux hirsutes s’installe sur son lit, parsemé de cendres, pour faciliter le travail de Lone Schjødt, qui dispose de 40 minutes pour changer les bandages de compression du patient et pour faire sa vaisselle. L’infirmière auxiliaire lave les jambes de l’homme et ses pieds noirs. Des gestes qu’elle reproduit trois fois par semaine depuis des années ici.

  • Lone Schjødt visite ce patient en fauteuil roulant trois fois par semaine depuis des années.

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    Lone Schjødt visite ce patient en fauteuil roulant trois fois par semaine depuis des années.

  • Elle change ici ses bandages de compression.

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    Elle change ici ses bandages de compression.

  • De la vaisselle sale et des cendriers pleins traînent dans le logement. Lone estime que son patient aurait besoin d'aide tous les jours. « Mais il ne veut pas. Donc on respecte ça. »

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    De la vaisselle sale et des cendriers pleins traînent dans le logement. Lone estime que son patient aurait besoin d'aide tous les jours. « Mais il ne veut pas. Donc on respecte ça. »

  • De la vaisselle sale et des cendriers pleins traînent dans le logement. Lone estime que son patient aurait besoin d’aide tous les jours. « Mais il ne veut pas. Donc on respecte ça. »

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    De la vaisselle sale et des cendriers pleins traînent dans le logement. Lone estime que son patient aurait besoin d’aide tous les jours. « Mais il ne veut pas. Donc on respecte ça. »

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Dans la cuisine, des casseroles sales recouvrent la cuisinière. Un restant de steak est collé au fond d’un poêlon. Lone Schjødt estime que son patient aurait besoin que quelqu’un vienne faire sa vaisselle tous les jours. « Mais il ne veut pas. Donc on respecte ça », dit-elle en relevant ses manches.

Différentes catégories de travailleurs offrent des soins à domicile au Danemark, dont des préposés aux bénéficiaires, des assistantes comme Lone Schjødt ou encore des infirmières. La plupart peuvent accomplir des tâches diversifiées. Une infirmière de soins à domicile peut dans la même visite changer un bandage, retirer des points de suture, faire la vaisselle et préparer le dîner. Au Québec, ces gestes sont répartis entre les auxiliaires aux services de santé et sociaux (ASSS) (essentiellement des préposés aux bénéficiaires œuvrant en soins à domicile), les intervenants des entreprises d’économie sociale, les travailleurs engagés directement par les citoyens par l’intermédiaire du chèque emploi-service, des organismes communautaires, les infirmières, les physiothérapeutes, ergothérapeutes et d’autres professionnels.

Il est 10 h 15 quand Lone Schjødt entre chez Preben Pold. L’homme vient tout juste de se lever. Il sirote un verre de jus de pommes en robe de chambre en fumant sa cigarette.

  • Preben Pold

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    Preben Pold

  • Lone Schjødt et Preben Pold se connaissent bien : l’infirmière auxiliaire visite cet ancien soldat deux fois par jour.

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    Lone Schjødt et Preben Pold se connaissent bien : l’infirmière auxiliaire visite cet ancien soldat deux fois par jour.

  • Elle lui prépare ici le déjeuner.

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    Elle lui prépare ici le déjeuner.

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Je viens lui faire à déjeuner et un café. Je ne viens pas plus tôt, parce qu’il dort tard. On s’ajuste en conséquence.

Lone Schjødt, infirmière auxiliaire

M. Pold demande à Lone Schjødt de prendre son temps pour préparer son déjeuner : il est ravi d’avoir de la visite du Canada et veut bavarder. Cet ancien soldat de l’armée de l’air connaît bien son infirmière auxiliaire, qui vient chez lui deux fois par jour.

Pour Brigitte Kofoed, le secret des soins à domicile efficaces est dans la continuité. « Avoir le moins de rotation de personnel possible est notre priorité. Ça permet aux équipes d’être beaucoup plus efficaces et de tisser des liens solides avec les gens », dit-elle.

* Source : « Soins à domicile : le statu quo ne sera plus possible », de l’Institut du Québec

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Douze visites chez elle en une journée

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Lis Skadhauge Vendelboe, 76 ans, a survécu à l’incendie de sa maison il y a un an, mais a subi de graves blessures aux jambes. L’infirmière Amalie Lund Madsen lui rend visite régulièrement.

Dans le quartier d’Åbyhøj à Aarhus, deuxième ville du Danemark, l’infirmière à domicile Amalie Lund Madsen pousse doucement la porte du logement de Lis Skadhauge Vendelboe.

La femme de 76 ans, qui ne marche pas et souffre de plusieurs problèmes de santé, a survécu à l’incendie de sa maison il y a un an. Elle a subi de graves blessures aux jambes et ne peut marcher. Chaque jour, elle reçoit de 10 à 12 visites d’intervenants de soins à domicile pour être en mesure de rester chez elle.

Amalie Lund Madsen se déplace en cette fin d’après-midi pour changer le sac urinaire de sa patiente. Mais celle-ci lui demande un service : « Peux-tu me mettre dans mon fauteuil roulant électrique ? »

  • Alitée, Lis Skadhauge Vendelboe se fait transférer vers son fauteuil électrique par l’infirmière Amalie Lund Madsen.

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    Alitée, Lis Skadhauge Vendelboe se fait transférer vers son fauteuil électrique par l’infirmière Amalie Lund Madsen.

  • Alitée, Lis Skadhauge Vendelboe se fait transférer vers son fauteuil électrique par l’infirmière Amalie Lund Madsen.

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    Alitée, Lis Skadhauge Vendelboe se fait transférer vers son fauteuil électrique par l’infirmière Amalie Lund Madsen.

  • Alitée, Lis Skadhauge Vendelboe se fait transférer vers son fauteuil électrique par l'infirmière Amalie Lund Madsen.

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    Alitée, Lis Skadhauge Vendelboe se fait transférer vers son fauteuil électrique par l'infirmière Amalie Lund Madsen.

  • Amalie Lund Madsen consulte l’horaire des visites de sa patiente.

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    Amalie Lund Madsen consulte l’horaire des visites de sa patiente.

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Ce geste n’était pas à l’horaire. Mais Amalie Lund Madsen accepte. Les deux femmes parlent beaucoup et rient ensemble. La complicité est palpable. « Je la connais sous toutes les coutures », résume l’infirmière en passant une sangle du lève-personne sous sa patiente.

Avant de partir, Mme Lund Madsen indique à Lis Skadhauge Vendelboe que son prochain collègue de soir passera à 17 h 30 pour le souper. En consultant l’horaire après coup, on voit que la patiente a reçu cette journée-là la visite d’intervenants à : 7 h, 7 h 15, 9 h 50, 11 h, 11 h 07, 11 h 54, 15 h, 17 h 36 et 22 h 29.

Le pari de la stabilité

À quelques pâtés de maisons, au siège social du service de soins à domicile du quartier d’Åbyhøj, Christina Kirkegaard observe attentivement des graphiques sur son écran d’ordinateur. D’un coup d’œil, cette responsable des soins à domicile peut savoir lesquels de ses 63 employés travaillent cet après-midi et lesquelles des 185 personnes âgées qu’ils servent seront visitées. « Nous avons 100 patients qui reçoivent essentiellement de l’aide pour du ménage. Et 85 qui ont besoin de plus de soins », résume Mme Kirkegaard.

Le jour de notre passage à Aarhus, Mme Kirkegaard s’inquiète, car seulement 4 préposés sont présents pour le quart du soir alors qu’elle en a besoin de 10. « Je vais devoir avoir recours à une agence. Je ne fais pas ça souvent. Mais il y a beaucoup d’employés en vacances. Je n’ai pas le choix », dit-elle.

Comme ses collègues ailleurs au Danemark, Mme Kirkegaard essaie le plus possible d’éviter d’avoir recours au personnel d’agence. Le pays met toutes ses énergies à offrir des équipes stables en soins à domicile. Pour limiter le nombre de personnes se présentant au chevet de chaque patient. « Et avoir recours aux agences nous éloigne de cet objectif », résume Mme Kirkegaard.

Dans le quartier d’Åbyhøj, ce pari de la stabilité paye. Il y a quelques mois, chaque patient de soins à domicile recevait en moyenne la visite de 16 intervenants différents par mois. « On est maintenant à 6,4 », dit Mme Kirkegaard. Cette stabilité permet notamment aux travailleurs de développer une complicité avec leurs patients. D’être aussi plus efficaces.

Avoir une équipe stable, c’est la clé. Le temps qu’on gagne peut être consacré aux aînés.

Christina Kirkegaard, responsable des soins à domicile du quartier d’Åbyhøj

« Avoir plus de stabilité du personnel, c’est notre nouvelle priorité. Quand on connaît les patients, on sait quoi faire. C’est plus facile. Ça va plus vite. Et c’est mieux pour les patients », résume Birgitte Kofoed, responsable des soins à domicile de Copenhague.

Le Québec pourrait-il emboîter le pas ?

Stabilité du personnel. Décloisonnement des métiers. Absence de listes d’attente. Budgets propres. Vu du Québec, les soins à domicile danois ont de quoi faire rêver.

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Le Québec serait-il en mesure d’imiter le Danemark pour la gestion et la prestation de ses soins à domicile ? Chose certaine, avec le vieillissement de la population au Québec, le statu quo est insoutenable, affirment les experts. « Il faut trouver des solutions. Rapidement », lance l’ex-ministre de la Santé Réjean Hébert.

La démographie est implacable : les personnes de 65 ans et plus, qui représentaient 15 % de la population en 2018, représenteront 26 % de la population en 2030. Juste en soins à domicile, la demande passera de 1,2 million de personnes au Canada à 1,8 million de personnes, selon une analyse de l’Association médicale canadienne.

« Mathématiquement, ça ne marche pas », tranche Philippe Voyer, expert en soins infirmiers gériatriques et directeur du programme de baccalauréat en sciences infirmières à l’Université Laval. « Si rien ne change, il y aura une pression anormalement grande sur les CHSLD. Et les coûts seront énormes », résume le chercheur Alain Dubuc, qui a signé une étude sur le sujet en août dernier.

Hausser le financement

En mai, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a rappelé en conférence de presse que la pandémie a montré plus que jamais que la solution au vieillissement de la population « passe par le soutien à domicile ». Il a du même coup annoncé des investissements de 750 millions sur cinq ans dans ce secteur. M. Dubé souhaite aussi faire passer la proportion du budget de soutien aux personnes âgées consacré aux soins à domicile à 50 %. Il faut souligner que la situation financière du Danemark diffère de celle du Québec. Les citoyens y paient beaucoup d’impôts. Au Québec, le poids de l’impôt sur le revenu des particuliers équivaut à 13,3 % du PIB, contre 24,4 % au Danemark. « Mais nous aussi, on paie beaucoup d’impôts. On a simplement décidé de consacrer nos ressources à autre chose », affirme M. Dubuc.

Protéger les fonds

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Réjean Hébert, ex-ministre de la Santé du Québec

Au Danemark, les soins à domicile sont gérés par les municipalités et les administrations régionales gèrent les services hospitaliers. « Ça protège les budgets pour les soins à domicile », affirme Réjean Hébert. Pour lui, comme pour Alain Dubuc, un fonds propre serait nécessaire pour s’assurer que l’argent investi en soins à domicile au Québec ne soit pas détourné vers les soins hospitaliers. « Dans les CISSS et les CIUSSS, les soins à domicile passent après les urgences, les blocs opératoires, les CHSLD… On ne parle jamais des soins à domicile dans les CISSS. C’est clair que c’est un problème », tranche Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). En entrevue à La Presse samedi, la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, a assuré que les investissements de son gouvernement en soins à domicile sont maintenant « cadenassés ». Un nouvel « outil de cheminement clinique informatisé » est aussi en train d’être implanté pour mieux documenter et encadrer l’offre de soins à domicile.

Assurance autonomie

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La Maison Carpe Diem, un centre de jour et d’hébergement pour personnes en perte d’autonomie situé à Trois-Rivières

De nombreux acteurs plaident pour que les aînés du Québec reçoivent directement une subvention en fonction de leur degré de perte d’autonomie et dépensent ces sommes à leur guise, que ce soit avec un organisme communautaire, une entreprise d’économie sociale, une agence privée, le secteur public… Un projet rappelant l’assurance autonomie défendue autrefois par Réjean Hébert.

Pour Philippe Voyer, l’avantage d’un tel projet serait de faciliter le financement de plusieurs initiatives qui, dans le contexte actuel, peinent à survivre. Un projet comme la Maison Carpe Diem, qui offre des services de centre de jour et d’hébergement à Trois-Rivières, pourrait ainsi plus facilement faire des petits, dit-il.

Lisez notre reportage sur la Maison Carpe Diem

Décloisonner les métiers

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Pour être aussi efficace qu’au Danemark, l’une des avenues à explorer est le décloisonnement des métiers, selon Réjean Hébert. « Il faut arrêter de trop sectoriser. Ça multiplie inutilement le nombre d’intervenants différents devant aller chez une même personne », plaide-t-il. Un tel décloisonnement ne serait pas simple à instaurer, notamment à cause des contraintes syndicales, souligne Alain Dubuc. « Mais il faudrait certainement y réfléchir. Pour améliorer la continuité et l’organisation du travail », dit-il. Philippe Voyer est quant à lui plus circonspect. « Quand une infirmière fait un dîner, elle ne peut pas donner de soins à quelqu’un d’autre qui en a besoin », dit-il.

Trouver du personnel

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Le Danemark compte autant d’infirmières par habitant que le Québec, mais les listes d’attentes en soins à domicile y sont inexistantes... pour l’instant.

Au Danemark, contrairement au Québec, les listes d’attente sont inexistantes. Mais elles pourraient se former. Tous les responsables de soins à domicile rencontrés au Danemark sont inquiets. Car la population vieillit. « Et on commence à avoir un problème de recrutement. Le gouvernement tente de scolariser plus d’infirmières. On étudie la possibilité de concevoir une formation pour devenir à la fois préposée aux bénéficiaires et éducatrice en garderie », explique Birgitte Kofoed, responsable des soins à domicile de Copenhague. Ouvrir les frontières aux travailleurs étrangers fait aussi partie des discussions. Le Québec est déjà aux prises avec cette pénurie de personnel qui n’est pas prêt de se résorber. Il manque déjà 4000 infirmières et ce nombre pourrait grimper à 28 000 d’ici cinq ans. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé des primes pour attirer les infirmières dans le réseau public à la mi-septembre.

Accélérer la formation

Le gouvernement québécois planche sur la création d’une formation accélérée pour les infirmières auxiliaires. Durant la pandémie, le gouvernement a aussi misé sur la formation accélérée et l’embauche de 10 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD. Mais les ASSS (auxiliaires aux services de santé et sociaux) qui donnent les soins à domicile « ont été oubliées », déplore le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Jeff Begley. « Les ASSS adorent leur travail. Mais leurs conditions sont intenables. Et elles ne sont pas assez nombreuses. Elles manquent de temps. Il faudra en recruter beaucoup plus », dit-il. Mme Blais dit miser sur plus d’embauches dans le réseau public de soins à domicile.

Assurer une stabilité

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Astrid Krag, ministre des Affaires sociales du Danemark, discute avec une aînée, en marge d’un point de presse à Copenhague.

Rencontrée dans une conférence de presse à Copenhague à la mi-septembre, la ministre des Affaires sociales du Danemark, Astrid Krag, explique que le pays met toutes ses énergies actuellement à assurer une stabilité des équipes en soins à domicile. Pour que les patients reçoivent la visite du plus petit nombre d’intervenants différents possible chaque semaine. « Ça permet aussi de diminuer l’administration et la bureaucratie derrière », dit-elle. Mme Krag a justement inauguré à la mi-septembre un projet à Copenhague où une équipe multidisciplinaire de soins à domicile a installé ses bureaux directement dans un HLM pour personnes âgées. « On veut que les soins à domicile soient plus locaux que jamais », dit-elle. Au Québec, si la ministre Blais appuie le principe de stabilité, elle note que la province, « c’est grand par rapport au Danemark » et que l’éloignement de certaines régions ici complexifie parfois les services.

Ne pas miser juste sur les soins à domicile

Professeure titulaire à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, Michèle Charpentier reconnaît que plus d’investissements doivent être faits en soins à domicile. Mais pour elle, « il ne faut pas opposer soins à domicile et CHSLD ». « Il ne faut pas juste financer l’un ou l’autre. On a beaucoup de retard en soins à domicile. Mais ce n’est pas la seule solution. Il faut que quand les proches s’épuisent, on leur offre autre chose. Sinon, ça devient de l’enfermement à domicile », dit-elle. Pour Mme Charpentier, il faut aussi cesser d’entretenir un discours catastrophiste avec les aînés. « La majorité des aînés s’organisent tout seuls. Très peu ont besoin de grands soins », dit-elle. La ministre Blais confirme qu’à peine un peu plus de 2,5 % des aînés habitent en CHSLD. Si elle souhaite prioriser les soins à domicile, Mme Blais développe aussi des projets de Maisons des aînés et planche sur la rénovation de 23 CHSLD.

> À lire demain : Des CHSLD de rêve : visite des meilleurs projets du Danemark