Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, quatre artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à David Goudreault.

Aux petits matins de questionnements existentiels, il m’arrive de vouloir refaire ma vie, ou défaire le monde. Jouer dans le bois avec mes enfants, et mettre tout le reste aux poubelles. La carrière artistique aussi. Le monde littéraire est un tout petit monde avec, trop souvent, du petit monde dedans ; faire de la tournée, ça magane le corps et les chars ; la télé, c’est stressant. Je sais, je suis ingrat. Puis débarque une raison de continuer, une évidence qui décille les yeux, une occasion de faire connaître une nouvelle voix. Geneviève Rioux, dans mon cas.

« Tourne-toi sur le ventre, tu dis. Tu me montres la lame incurvée. Griffe tranchante, instrument de persuasion. Je conteste / tu me constelles / de coups, me transperces / huit fois / au visage et à / la tête. C’est beaucoup de / Perséides, prémisses à l’animosité. »

PHOTO JESSICA GARNEAU, FOURNIE PAR L’AUTEUR

Geneviève Rioux

Geneviève est une survivante, au sens littéral du terme. Elle a reçu, au total, 18 coups de couteau alors qu’elle se battait contre un violeur masqué qui l’attendait dans son appartement de la rue Lincoln, à Sherbrooke, dans la nuit du 7 au 8 avril 2018.

Et 80 % des victimes de violences sexuelles connaissent leur agresseur. Le dossier n’a pas encore été porté devant les tribunaux, trois ans plus tard. Avis aux intéressés : l’enquête est toujours en cours, toutes les informations susceptibles d’aider la justice sont espérées. Ceux et celles qui protègent cet agresseur sexuel et potentiel meurtrier devront faire face aux juges aussi, sinon à leur propre reflet dans le miroir.

Me relève / m’échappe
Tu me rattrapes, on se retrouve
Face à masque
Se dévisage

Tu tiens le karambit d’une main, un kubotan de l’autre. Je ne suis armée que de ma rage de vivre. De mon arsenal, je te cogne au ventre et t’envoie contre le mur.

Le karambit, une griffe d’acier ultratranchante. Une arme d’assaut faite pour tuer, ou défigurer. Le kubotan, quant à lui, est un bâton d’étranglement tout aussi particulier. Sans doute, l’agresseur est fin connaisseur des arts martiaux. Ce qui n’a pas empêché Geneviève de lui botter le cul, de se battre avec l’agresseur sur les deux étages de son appartement. Même une fois étranglée, lacérée, inconsciente, laissée pour morte dans son sang, elle s’est relevée. Le tueur a raté son viol, et son meurtre. Un raté, sur toute la ligne.

L’humain, de ses deux mains, est le seul animal à sang chaud capable d’asphyxier de sang-froid. Tu disparais, laissant derrière tes armes et mon existence qui s’écoule. Je ne peux plus hurler, mais tu n’as pas achevé ma voix intérieure, bienveillante. Second souffle.

Cadeau inespéré dans l’existence d’un auteur, se voir confier la direction littéraire d’une œuvre majeure. Depuis plus de deux ans, j’accompagne Geneviève dans la création d’une série de textes qu’elle publiera au fur et à mesure que le système de justice fera son travail. Oui, c’est long et laborieux. Les dédales bureaucratiques de la loi en rebutent plus d’un, surtout plus d’une. On doit dénoncer les lenteurs et les errances de ce système, l’améliorer, mais continuer à l’utiliser ; nous avons fait le choix de vivre dans un État de droit où la preuve a préséance sur la rumeur et la vendetta. Cela dit, la justice, comme principe et comme affect, peut se vivre en dehors du système et de ses tribunaux.

C’est le choix de Geneviève, pour l’instant. Afin de ne pas nuire à l’enquête, elle militera en prose et en vers, pour accompagner les victimes et sensibiliser leurs proches. Un récit à venir. Un documentaire aussi. Son recueil, Survivace, paraîtra au printemps. Et cette semaine, grâce à la collaboration d’Ariane Gélinas et de son équipe, elle publie dans le magazine d’art Le Sabord sa première suite poétique intitulée Je n’ai pas dit mon dernier souffle.

Ça se passe rarement comme on voudrait : la vie, la mort surtout. Et le retour à la vie. Ta pulsion à toi, la mienne plus forte encore. Ma mort ou à peu près, ma mort d’une minute ou deux, voire dix avant de revenir à la conscience. Ma mort m’a sauvé la vie.

Les alchimistes rêvaient de transformer le plomb en or, les créateurs ont le pouvoir de transformer leurs drames en art. L’art en lui-même se suffit ; il n’a pas à être engagé. Mais quand une œuvre peut rejoindre, sensibiliser, protéger et éduquer, on touche au plus beau de la littérature.

Qui
Meurt
Au moment de tuer ?

Geneviève Rioux arrive, avec une histoire et une plume exceptionnelles. Le travailleur social que je suis ne peut que saluer sa résilience, l’humain l’admire et l’écrivain n’a que gratitude à lui exprimer ; elle me rappelle que les mots, les poèmes, les récits, les livres peuvent changer la vie, et redonner du sens à la nôtre. Les litres de sang perdus deviendront autant d’encre qui pourrait nous épargner quelques féminicides. Et lui rendre justice.

Regardez la vidéo de Geneviève Rioux