L’ex-journaliste de Radio-Canada Anne Panasuk, aujourd’hui conseillère spéciale pour le soutien aux familles d’enfants autochtones disparus, prend un café avec notre éditorialiste Nathalie Collard.

Qui aurait pu prévoir que la fille d’un immigrant russe et d’une infirmière originaire de la Beauce se passionnerait un jour pour les Autochtones ?

Et pourtant… Anne Panasuk a consacré une grande partie de sa carrière de journaliste à dévoiler les sévices et les traumatismes vécus par les communautés autochtones de la Côte-Nord.

Elle fait paraître ces jours-ci Aussat, à la recherche des enfants disparus, un livre inspiré de sa série de balados Histoires d’enquête : Chemin de croix (disponible sur OHdio). Ce livre, c’est un condensé de certaines de ses enquêtes les plus percutantes, entre autres sur les enfants autochtones disparus après avoir été enlevés à leurs parents et hospitalisés dans des établissements dirigés par des Blancs, dont des oblats.

Une anthropologue devenue journaliste

Je rencontre Anne Panasuk à l’Échoppe des fromages, une véritable institution à Saint-Lambert, petite ville de la Rive-Sud où elle habite avec son conjoint.

Le parcours de cette journaliste, retraitée de Radio-Canada depuis un an, est tellement riche qu’on pourrait lui consacrer tout un livre. Elle ne se destinait pourtant pas au journalisme. Jeune, elle hésitait entre le droit et l’anthropologie. Elle a finalement choisi la seconde option. Son chemin a croisé celui de l’anthropologue Rémi Savard, qui est devenu son mentor. C’est en grande partie grâce à lui qu’elle a trouvé sa voie.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

« Quand je suis entrée à la maîtrise, il m’a engagée, avec un autre étudiant, pour travailler sur les revendications territoriales d’une association qui n’existe plus – le Conseil atikamekw montagnais. C’était dans les années 1970, les Cris avaient négocié la convention de la Baie-James et l’Association des Indiens du Québec avait implosé. Les Atikamekw et les Innus (on disait Montagnais à l’époque) s’étaient mis ensemble en disant : nous aussi, on a des revendications territoriales. Il fallait donc dresser la carte de leur territoire. »

La jeune Anne est alors envoyée sur la Côte-Nord. Premier arrêt : Natashquan.

J’étais hébergée dans une famille que j’appelle encore ma famille adoptive. Cette première fois a été décisive. J’ai compris qu’il n’était pas nécessaire d’aller à l’extérieur pour découvrir autre chose. J’ai découvert un autre monde, chez nous.

Anne Panasuk

En passant par Sept-Îles

Comment passe-t-on de l’anthropologie au journalisme ? En militant au sein d’un comité de soutien aux nations autochtones, mis sur pied par Rémi Savard. Encore lui.

« J’ai été amenée à participer à quelques émissions de radio pour le comité et des journalistes m’ont dit : t’es bonne en communication, tu devrais faire du journalisme. »

Quand un poste s’ouvre à Sept-Îles – poste qui exige une connaissance des Autochtones, car il n’y a pas de journalistes issus des communautés à l’époque –, elle le décroche. « J’ai postulé parce que c’était à Sept-Îles, près des Innus, affirme celle que l’injustice indigne depuis toujours. Sinon, je n’y aurais jamais pensé. » Après cinq ans, elle revient à Montréal où elle travaillera entre autres aux affaires publiques. « On aurait voulu que je devienne présentatrice de nouvelles, dit-elle, mais moi, c’est le terrain qui m’intéressait. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Anne Panasuk

Aujourd’hui, l’intérêt des médias pour les questions autochtones est indéniable, mais lorsque Anne Panasuk a débuté dans le métier, cette curiosité n’existait pas dans les salles de rédaction. « Je me souviens que mes patrons me disaient : “Les Autochtones, c’est toujours la même affaire : leurs revendications, la pauvreté, etc.” J’avais répondu : “La Constitution, c’est toujours la même affaire et on en parle encore…” »

Anne Panasuk, qui a ressenti beaucoup de fatigue émotionnelle à certains moments de sa carrière, note avec satisfaction que les choses ont changé. Les médias sont friands d’histoires sur les Autochtones et il y a de plus en plus de journalistes issus des communautés.

« Et puis le regard de la société change, se réjouit-elle. Avant, j’entendais souvent les gens dire : “Pourquoi ils ne s’adaptent pas ? Pourquoi ils ne passent pas par-dessus ?” Je dis souvent : “Si vous aviez vécu ces traumatismes, vous seriez peut-être en train de guérir vous aussi…” »

Dans son livre, elle raconte des histoires déchirantes d’enfants enlevés et agressés, ainsi que le rôle joué par « des institutions qui ne considéraient pas les Autochtones comme des humains à part entière », souligne celle qui a toujours voulu montrer les injustices. Elle explique que les mêmes oblats qui étaient responsables de la disparition des enfants hospitalisés avaient également agressé sexuellement des enfants dans les communautés. Elle identifie une dizaine de pédophiles, certains dont le comportement était connu de leur communauté religieuse. Qui n’a rien fait pour les neutraliser. Les témoignages des victimes et de leur famille sont déchirants, difficiles à lire.

Je suis arrivée au bon moment, les gens étaient prêts à me parler, ils m’ont fait confiance. De victimes d’agressions sexuelles, ils se sont transformés sous mes yeux en survivants lorsqu’ils ont compris que ce n’était pas leur faute. Ils ont retrouvé une dignité.

Anne Panasuk

Un nouveau chapitre

La journaliste est peut-être à la retraite, mais son travail auprès des communautés autochtones est loin d’être terminé. Anne Panasuk a accepté l’invitation du ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière. En juin dernier, elle a été nommée conseillère spéciale. Son mandat : mettre en place les mécanismes de la Loi autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement, adoptée en juin dernier. « J’ai consulté des aînés avant de dire oui, précise-t-elle. Je suis blanche, j’avais besoin de leur permission. »

« Il y a un défi de confiance à relever, ajoute Anne Panasuk. On n’aura pas une deuxième chance, il faut réussir ce processus. » Ce défi, elle est prête à le relever. « Pour une fois, je ne dénonce pas, je fais partie de la solution. »

Questionnaire sans filtre

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le café et moi : deux, parfois trois latte… Je bois le premier au lever, en lisant mes journaux. C’est mon conjoint qui me les prépare et ils sont moins bons quand il n’est pas là…

Les gens que j’aimerais réunir autour d’une table, morts ou vivants : Rémi Savard, décédé il y a un peu moins de deux ans, et dont je me suis tellement ennuyée cette année ; Serge Bouchard avec qui j’ai travaillé quand j’étais anthropologue, puis le vieux Antoine Malek, décédé lui aussi. C’est un chef traditionnel qui m’a permis d’entrer dans la communauté de Natashquan. On rirait beaucoup avec lui. Et on inviterait An Antane Kapesh, auteure de Je suis une maudite sauvagesse. Au-delà du livre très sérieux qu’elle a écrit, je suis certaine que c’est une femme qui entendait à rire.

La fois où j’ai eu peur en pratiquant mon métier : au Pérou, pendant que je tournais un documentaire sur le groupe politique Le Sentier lumineux. Au retour, nous avons appris que nos deux accompagnateurs avaient été assassinés.

Ce que j’aimerais qu’on retienne de moi : elle a aimé et elle a été aimée.

Pour vous, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation (qu’on soulignera pour la première fois le 30 septembre), c’est : un début de reconnaissance. On est encore loin de la réconciliation.

Qui est Anne Panasuk ?

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

  • Née d’un père russe et d’une mère beauceronne, anthropologue, journaliste, conseillère spéciale, mère, grand-mère.
  • Lauréate de nombreux prix en journalisme parmi lesquels : quatre prix Judith-Jasmin (dont un Grand Prix), deux prix d’excellence de la Caisse de dépôt et placement du Québec et Bank of America Merrill Lynch en journalisme économique et financier, un prix du podcast francophone du Paris Podcast Festival.