Même si ses parents ont été stylistes et qu'il est lui-même l'un des visages masculins de Chanel (ce qui lui a donné l'occasion de tourner des publicités luxueuses sous la direction de Martin Scorsese et James Gray), Gaspard Ulliel ne se sent pas particulièrement près du milieu de la mode. Cela ne l'empêche toutefois pas de prêter aujourd'hui ses traits à une icône du domaine.

« Il est vrai qu'en grandissant au sein d'une famille de stylistes, j'ai sans doute reçu en héritage un certain sens de l'esthétique ou, du moins, une sensibilité à l'art, indique le comédien lors d'un entretien téléphonique accordé récemment à La Presse. Mais je ne porte pas un véritable intérêt au monde de la mode. Je dirais que cet héritage ne m'a pas forcément aidé à construire le personnage non plus. On parle d'une époque révolue, très différente de ce qu'est la mode aujourd'hui. »

Dans Saint Laurent, qui a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes l'an dernier, Gaspard Ulliel se glisse dans la peau du célèbre couturier alors que le récit s'attarde à l'une de ses périodes créatrices les plus foisonnantes, soit de 1967 à 1976. Juste retour des choses pour un acteur pressenti pour incarner Yves Saint Laurent à l'écran depuis longtemps.

« Il y a une dizaine d'années, j'ai eu le plaisir de collaborer avec Gus Van Sant pour son segment dans le film collectif Paris, je t'aime. Comme nous nous sommes très bien entendus, il avait sollicité mon intérêt pour d'autres projets, dont un lui tenait particulièrement à coeur : une adaptation du livre d'Alicia Drake Beautiful People, dont le récit est axé sur la rivalité entre Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld. Gus voulait que j'incarne Saint Laurent dans ses années de jeunesse. Ce film ne s'est jamais fait et j'en ai toujours gardé le regret. »

DEUX PROJETS MONTÉS PARALLÈLEMENT

C'est en lisant la presse française que, des années plus tard, Gaspard Ulliel apprend que Jalil Lespert prépare un film sur Yves Saint Laurent. Son agent contacte la production, mais le projet n'en est alors qu'à ses balbutiements.

« La semaine suivante, mon agent me rappelle en me disant que Bertrand Bonello souhaitait me rencontrer pour un autre film sur Saint Laurent, raconte l'acteur. J'étais d'autant plus ravi que j'admire le cinéma de Bertrand. Il a bien pris son temps pour réaliser ce projet, car il ne voulait pas d'un drame biographique traditionnel. Cet aspect-là m'a aussi beaucoup attiré. Entre le moment où on m'a confié le rôle et le premier jour de tournage, il s'est passé un an. J'ai vraiment eu le temps de me préparer ! »

Au même moment, le film Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, qui a valu un trophée César à son interprète principal, Pierre Niney, était mis en chantier. Et est arrivé le premier au fil d'arrivée.

« Être conscient qu'un autre film est en train de se faire parallèlement ajoute une préoccupation supplémentaire, c'est certain, concède Gaspard Ulliel, en lice pour le César du meilleur acteur cette année. Très rapidement, j'ai compris qu'il fallait se détacher complètement de cette préoccupation-là. Au début, je me suis demandé ce qu'allait faire Pierre Niney avec le personnage, d'autant que Pierre est un acteur extrêmement talentueux. D'ailleurs, je crois que c'était la première fois que deux acteurs se retrouvaient finalistes aux César pour avoir joué le même personnage dans deux films différents ! »

UNE TRANSFORMATION

Pour atteindre la plus grande authenticité possible, l'acteur est volontairement arrivé sur le plateau avec un corps qui n'était plus vraiment le sien. Gaspard Ulliel a aussi effectué un travail plus technique sur sa voix.

« Mais cette voix est venue spontanément au premier jour de tournage ! », dit-il.

Un investissement de la sorte dans un personnage ne vient pas non plus sans écueil. Au dire du comédien, la première projection - privée, bien sûr - fut assez violente.

« Le moment où l'on découvre un film dans lequel on s'est beaucoup investi est toujours très particulier. J'ai eu besoin de le voir plusieurs fois avant de le ressentir comme un spectateur », dit Gaspard Ulliel.

Pour une rare fois dans sa carrière, Gaspard Ulliel a dû « quitter » un personnage.

PHOTO YVES HERMAN, ARCHIVES REUTERS

Il y a un an, Gaspard Ulliel accompagnait l'équipe de Saint Laurent à Cannes, où le film était présenté en compétition officielle. Le long métrage prendra finalement l'affiche le 22 mai chez nous. 

« J'ai vécu intensément avec lui pendant la période de préparation, qui a quand même duré un an, et pendant toute la durée du tournage, explique-t-il. Quand je rentrais chez moi le soir, je voulais rester au plus près du personnage, car la peur de le perdre m'habitait de façon permanente. Après, j'ai eu besoin d'une bouffée d'air. J'ai essayé de m'en détacher le plus possible. »

TOURNAGE À MONTRÉAL

Rappelons par ailleurs que Gaspard Ulliel s'apprête à gagner Montréal à la fin du mois pour tourner Juste la fin du monde, le prochain film de Xavier Dolan.

Dans cette adaptation de la pièce homonyme de Jean-Luc Lagarce, l'acteur incarne un jeune écrivain malade qui, plusieurs années après avoir coupé les ponts avec les siens, retourne dans son patelin natal pour annoncer sa mort imminente aux membres de sa famille. Ulliel sera entouré de Marion Cotillard, Léa Seydoux, Nathalie Baye et Vincent Cassel.

« Ce sera la toute première fois que j'aurai l'occasion d'aller chez vous !, lance l'acteur. Je suis très content ! »

Saint Laurent prend l'affiche le 22 mai.