Après une vingtaine d'années d'absence, Fernand Dansereau revient au cinéma, un art dont il a largement contribué à façonner l'imaginaire au Québec. À l'occasion de la présentation de La brunante, le Festival des films du monde lui rend hommage pour l'ensemble de son oeuvre.

Même s'il a obtenu le prix Albert-Tessier il y a deux ans, Fernand Dansereau ne s'habitue pas aux honneurs. «Il est certain que la reconnaissance des pairs fait plaisir, a déclaré le vétéran cinéaste au cours d'une interview accordée à La Presse. Mais nous nous sentons quand même toujours un peu atteints par le syndrome de l'imposteur dans ces cas-là. Il est difficile de se satisfaire de ce que l'on a fait. Cela dit, je suis animé par un grand sentiment de gratitude, d'autant plus que je ne m'y attendais pas. Que La brunante soit lancé à l'occasion d'un hommage dans le cadre du FFM, je trouve cela vraiment très bien.»

L'homme est modeste. La feuille de route de Fernand Dansereau, en effet, impressionne. Le parcours est d'autant plus riche qu'il n'est pas du tout linéaire. Il mêle à la fois films de fiction (Le festin des morts, Doux aveux), documentaires (Quelques raisons d'espérer) et séries télévisées (Le parc des Braves, Les filles de Caleb). Ses films font aussi souvent écho à des préoccupations d'ordre social. Celles-ci n'ont jamais quitté l'esprit de cet ancien journaliste militant.

Quand il entre à l'Office national du film en 1955, après avoir été reporter syndical au Devoir, Dansereau occupe successivement les fonctions d'animateur à l'écran, scénariste, réalisateur, producteur, et finalement responsable de l'ensemble de la production française. C'est sous son règne que le cinéma direct prend son envol. Sous sa houlette, des films signés Jutra, Brault, Groulx, Perrault, Lamothe et tant d'autres construisent peu à peu notre imaginaire collectif sur grand écran.

«Nous apprenions à l'époque à faire un cinéma qui cherchait un sens, rappelle le cinéaste. Le succès populaire ne nous laissait évidemment pas indifférents, mais il ne constituait pas notre priorité. Aujourd'hui, la situation n'est plus la même du tout. Les institutions ont installé des programmes d'accès qui privilégient clairement la performance. Je trouve cela un peu dommage. Les jeunes cinéastes qui cherchent à faire un cinéma qui a du sens sont inquiets.»

Une dure bataille

Fernand Dansereau a lui aussi de la difficulté à se mouvoir dans ce système. Il lui a fallu six années de batailles acharnées avant de pouvoir enfin tourner La brunante, un film crépusculaire dans lequel une femme âgée de 72 ans repart sur la trace de paysages aimés afin de les imprimer à jamais dans une mémoire trouée par la maladie d'Alzheimer.

«À travers le parcours de cette femme, ce film parle du consentement au mystère de la vie, explique l'auteur cinéaste, aujourd'hui âgé de 79 ans. La vieillesse doit être apprivoisée. Elle est aussi une source d'apprentissage considérable.»

Monique Mercure y reprend, 40 ans plus tard, un personnage qu'elle avait campé dans Ce n'est pas le temps des romans, un moyen métrage que Dansereau avait réalisé au moment où le Québec était en ébullition.

Aujourd'hui atteinte de quelques symptômes de la maladie, Madeleine songe à effectuer un dernier tour de piste avant de choisir l'heure de sa propre mort. Une jeune femme en difficulté, rencontrée par hasard, l'accompagnera dans son périple.

Bien que les institutions aient vite prêté l'oreille, ce projet de film, dont le thème tourne autour du vieillissement et de la mort, n'a pas fait courir les distributeurs. Or, les organismes de financement ne peuvent autoriser la mise en chantier d'un long métrage sans qu'un accord préalable n'ait été conclu avec une firme de distribution.

«C'est à cette étape que le projet fut bloqué, explique l'auteur cinéaste. Je me suis alors fait dire des choses épouvantables. Il y en a un qui n'a pas mis de gants blancs en m'indiquant que, comme au baseball, j'avais déjà trois prises contre moi. Dans ton scénario, m'a-t-il dit, il y a une personne âgée qui songe au suicide, une jeune fille qui a déjà tenté de se suicider. Pis toi qui es vieux! J'ai reçu beaucoup de commentaires de ce genre et j'en garde une certaine amertume encore aujourd'hui.»

Aussi dit-il être très reconnaissant envers Pierre Lampron de TVA Films. Ce dernier lui a en effet ouvert la porte au moment où le projet ne semblait aller nulle part.

«C'est une forme de petit miracle. Sans Pierre, ce film n'aurait jamais pu exister.»

Fernand Dansereau voue aussi une grande admiration à ses ses actrices. Monique Mercure bien sûr («une vieille amie»), mais aussi Suzanne Clément. Il y a quelques années, Marie-Josée Croze avait donné son accord pour camper le rôle de la jeune femme mais le projet ayant mis trop de temps à se concrétiser, l'actrice n'était plus disponible.

«Monique est la première personne à qui j'ai fait lire mon scénario, indique l'auteur cinéaste. Le tournage fut difficile pour elle comme pour moi. Monique avait à étaler sa vieillesse sans aucun artifice et elle a abordé ce rôle avec beaucoup de courage. Quant à Suzanne, elle a fait preuve d'un tel aplomb lors de son audition que j'ai dû adapter le personnage afin qu'il soit plus en phase avec son type d'énergie.»

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La brunante est présenté aujourd'hui à 19 h au Cinéma Impérial; et demain à 15 h 30 au Quartier latin. Il prendra l'affiche en salle le 9 novembre.