La jeune réalisatrice libanaise Nadine Labaki, 34 ans, ne croyait jamais que son premier long métrage la mènerait aussi loin. D’abord au Festival de Cannes, l’an dernier, où Caramel a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Ensuite, un peu partout dans le monde, où son film a pris l’affiche, dans la foulée des louanges récoltés sur la Croisette.

Dans un grand hôtel parisien du quartier de l’Opéra, où elle rencontrait Le Soleil il y a trois semaines, Nadine Labaki affiche une fatigue non dissimulée. Depuis le matin, elle enfile les entrevues. Tout un chacun veut en savoir davantage sur ce petit film sorti de nulle part, sur la vie de cinq femmes de Beyrouth, dont l’existence gravite autour d’un salon de beauté. Le titre fait d’ailleurs référence à la pâte à la consistance de caramel utilisée pour l’épilation.

Les cinq femmes, issues de religions différentes, représentent autant de facettes de la condition féminine d’aujourd’hui au Liban.

Nadine Labaki, de confession chrétienne, s’est donné le rôle de la propriétaire de l’institut. Son personnage vit un amour secret avec un homme marié. À travers les autres personnages féminins, la réalisatrice aborde les thèmes de l’homosexualité, de la séduction, de la tyrannie des apparences, de la vieillesse, de la chasteté avant le mariage.

«Les questions sur la femme libanaise m’ont toujours interpellée, explique-t-elle. Nous vivons dans une société où les femmes vivent coincées entre l’appel de la modernité et le respect des traditions. La culture occidentale moderne séduit les jeunes. Mais en même temps, le poids de la culture est très fort. Mon personnage, même s’il a 30 ans, vit encore chez ses parents. C’est comme ça au Liban. Celles qui font autrement sont souvent victimes du regard des autres.»

C’est le cas du personnage de Nisrine, 28 ans, une musulmane, qui cache à son fiancé la perte de sa virginité. D’où sa décision de consulter un médecin pour se faire recoudre l’hymen, une opération chirurgicale plus courante qu’on le croit dans un pays accroché au poids du passé et à un contexte religieux encore très rigide.

Un autre personnage, une actrice dans la cinquantaine, refuse de vieillir. La cadette du groupe aime les femmes, mais dissimule tant bien que mal son orientation sexuelle, particulièrement à l’égard d’une cliente racée.

Il y a aussi la couturière d’à côté, partagée entre son rôle d’aidante naturelle de sa sœur atteinte de démence et son attrait pour un gentil monsieur qui la courtise inlassablement.

Les hommes aussi

Les changements se font à petits pas, estime la cinéaste, qui a commencé sa carrière dans le monde du clip et de la publicité. «La situation ne concerne plus seulement les femmes. De plus en plus, les hommes se posent aussi des questions. Eux aussi sont confrontés à toutes les images en provenance de l’Occident, eux aussi subissent une pression sur leur apparence, la quête du corps parfait et leur capacité de séduction, eux aussi cherchent un certain équilibre entre leur société d’origine et le reste du monde.»

Le tournage de Caramel a pris fin l’an dernier, une semaine avant le début du conflit israélo-libanais. Aucune fois n’est-il mention de la guerre dans son film. Un choix que Nadine Labaki assume entièrement, même si à un certain moment elle a cru futile de tracer des portraits de femmes dans une période aussi cruciale pour son pays. Mais elle a compris que la révolte et l’appel de la liberté pouvaient aussi s’exprimer autrement au cinéma.

Caramel prend l’affiche au Clap vendredi prochain, en version originale arabe et française, avec sous-titres français.