Un homme et son fils marchent sur une route qui traverse un pays en ruine où ne survivent que quelques êtres humains parfois devenus bêtes sauvages. La fin de monde n'est plus «à quelle heure» ni «en quelle année». Elle est arrivée. Mais l'essence, l'âme de The Road de Cormac McCarthy, est ailleurs, dans l'amour qui unit l'adulte et l'enfant. Les artisans de l'adaptation cinématographique de ce grand roman ont utilisé le même carburant. Leur apocalypse se vit à hauteur d'homme et non à grands coups de millions et d'effets spéciaux.

Viggo Mortensen était chez sa mère quand il a lu le scénario de The Road, que Joe Penhall a écrit à partir du best-seller et gagnant du prix Pulitzer de la fiction de Cormac McCarthy. «Je ne pouvais pas croire qu'autant d'émotion soit contenue dans un scénario. J'ai immédiatement plongé dans le livre et j'ai été heureux de voir combien Joe avait été fidèle au roman», racontait l'acteur américain, lors de rencontres de presse tenues à Los Angeles au début du mois.

Bref, la journée a passé. Et quand sa mère lui a demandé s'il voulait souper, il a tressailli. «Souper?» Il était ailleurs, imprégné de l'atmosphère douloureuse d'un texte qui colle à la peau. Il était déjà en train de quitter la sienne pour pénétrer dans celle de l'Homme, personnage principal du roman, dont on ne sait rien, pas même le nom.

Cet homme qui, avec son fils d'une dizaine d'années, marche vers le Sud. Parce qu'il n'y a pas de neige. Donc moins de froid. Et plus de chances de survie dans le monde qui est désormais le leur. Un monde dévasté. Où le ciel est d'un gris éternel. Où le soleil ne brille plus. Où les animaux sont absents. Où la civilisation et la société sont choses du passé. Où les instincts barbares guident les faits et gestes de survivants privés de nourriture, de vêtements, de médicaments. De tout.

Tels des ombres, chaussés de godasses usées à la corde, poussant des chariots d'épicerie dans lesquels ils accumulent ce qu'ils trouvent de couvertures et d'eau, de tout ce qui peut leur servir, ces sans-abri n'ayant plus personne vers qui tendre la main, vont. Solitaires. Par groupuscules. Ou en clans violents. Le cannibalisme et l'horreur sont sortis des pages des livres.

«On parle ici d'une perte généralisée de l'humanité et, en même temps, de ces rares gens - dont sont l'Homme et le Garçon - qui s'accrochent. Cela, pas de manière ringarde mais de façon authentique», explique le scénariste Joe Penhall, qui a aimé l'approche «réaliste, convaincante de Cormac McCarthy. On lit et on se dit que les choses pourraient ressembler à ça.»

Il voulait que la même impression se dégage du long métrage. Ça tombait bien: le réalisateur qui tenait les rênes du projet, John Hillcoat, avait la même vision: «Pour moi, le côté réel et viscéral du roman est essentiel. Je souhaite que la dimension humaine soit ce qui émerge le plus du film.»

Et pour que l'humain émerge, il lui fallait trouver l'Homme. Un acteur capable de ressembler à monsieur Tout-le-Monde confronté à des obstacles surhumains. Et cet Homme, cet acteur, s'est imposé: Viggo Mortensen. Qui serait de toutes les scènes. Qui aurait à vivre des émotions très dures, à les rendre en intensité mais sans explosion - ou presque.

Un défi que Viggo Mortensen - aussi crédible dans la peau du Aragorn de The Lord of the Rings que dans celle du tueur russe de Eastern Promises a accepté. Non sans inquiétude. Pas pour lui, qui sait se modeler émotivement et physiquement à ses personnages pour celui-là, il s'est laissé pousser barbe et cheveux, a perdu du poids a laissé la fatigue envahir ses traits. «Je m'épuisais très facilement parce que j'étais très mince.» Non, sa crainte concernait celui qui interpréterait son fils. Un gamin qui, lui aussi, serait de toutes les scènes. Servirait de compas moral à son personnage. Marcherait à ses côtés, à la fois tout près mais très loin - tant est omniprésente la crainte de se perdre, de se retrouver seul.

«Viggo et moi avons eu plus de conversations sur le Garçon que sur tout autre aspect du long métrage», fait John Hillcoat. «Nous devions trouver un génie... ou le film n'atteindrait jamais le niveau qu'il devait atteindre», poursuit l'acteur.

Et ils ont trouvé Kodi Smit-McPhee. Onze ans au moment du tournage. «J'ai parlé avec lui et j'ai vite saisi qu'il n'avait pas seulement un don pour jouer mais aussi une intelligence formidable, dit Viggo Mortensen. Il a très bien compris le livre. Ça m'a épargné beaucoup d'inquiétude et de temps.» Temps qu'il a consacré à son jeu - même s'il y avait peu de répétitions: «Il était préférable de ne pas trop analyser pour rester dans la vérité», croit le comédien.

Le tournage a ainsi commencé... le lendemain de la cérémonie des Oscars où celui qui allait incarner l'Homme sans nom et presque plus de visage était en nomination pour sa performance dans Eastern Promises de David Cronenberg. «Drôle de contraste», note-t-il.

En effet, il a par la suite passé des journées éreintantes dans des paysages désertiques où le froid et les nuages étaient recherchés; et où des pétards servaient, avant le «Silence, on tourne!» à faire s'envoler tous les oiseaux qui auraient ruiné les prises. Puis, il y a eu celles passées à La Nouvelle-Orléans, qui porte toujours les cicatrices de Katrina: «Il y avait ce cinéma abandonné, avec sa marquise qui portait le titre du film à l'affiche quand l'ouragan a frappé. Il y avait ce bureau dont un tiroir était ouvert, avec des papiers et même un passeport. Il y avait les traces indiquant jusqu'où l'eau était montée.»

Oui, comme un avant-goût d'une fin du monde à échelle humaine. Vraie. Et non hollywoodienne.

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The Road (La route) prend l'affiche le 27 novembre

Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Alliance Vivafilm