La théorie du tout est un film né d'une démarche volontairement simple et pas théorique pour deux sous : prendre la route, partir vers le Nord, et voir ce qui se passe. Avec ce troisième long métrage, la réalisatrice Céline Baril signe un documentaire qui, ancré dans le territoire québécois, parle de tout, mais surtout de nous.

Pour La théorie du tout, Céline Baril a privilégié une démarche rigoureusement nommée... la «théorie du petit banc». «J'arrive quelque part, je m'assois sur mon petit banc, et j'attends: il arrive toujours quelque chose», dit la réalisatrice, tout en rires et sourires.

Quitter Montréal, partir en Gaspésie, en Abitibi, approcher de la Côte-Nord. Rencontrer des gens, au hasard d'un bottin téléphonique ou au détour d'un coin de rue. «Mon défi, c'était d'aller sur les routes. Je n'avais aucun sujet à approfondir. Je voulais voir comment les gens répondraient à mon appel», raconte Céline Baril.

De ces rencontres se dégage le portrait multiple d'un Québec ancré dans son territoire, mais en mutation. Des mines au fleuve en passant par les forêts et les bois, les interlocuteurs font un état des lieux étonnamment juste et personnel du territoire québécois.

Ainsi, un travailleur parle, au détour de ses souvenirs, du déclin de l'industrie forestière: «Les compagnies, plus elles grossissent, plus elles deviennent pauvres, plus elles vont faire faillite.» Un constat basé sur l'expérience bien plus que sur un dogme économique, mais qui dit à lui seul le cercle vicieux dans lequel sont prises certaines régions.

Céline Baril a songé à insérer, entre les entretiens, des points de vue de «spécialistes». Elle s'est finalement ravisée. Ses interviewés ont «l'expérience des ressources et des lieux qu'ils habitent: ils sont à jour», constate-t-elle. Un choix qui s'inscrit en pleine cohésion avec un film que Céline Baril a pris soin de tenir loin de la démonstration ou du tape-à-l'oeil.

Écoute active

Attentive à l'autre, Céline Baril, qui a d'abord touché au cinéma expérimental (Barcelone, La fourmi et le volcan et L'absent), laisse la parole prendre toute son ampleur. La théorie du tout témoigne aussi du souci du cadrage de la réalisatrice, qui scrute les paysages, urbains ou ruraux, industriels ou naturels, avec une précision toute photographique.

«Je voulais que notre histoire ressorte dans les paysages et les gens», dit-elle. Les statues de la Vierge et de l'Enfant Jésus n'ont pas échappé à la réalisatrice. «Elles peuplent notre paysage, mais elles ont la peau fendue tant on ne s'en occupe plus: ça dit beaucoup sur notre histoire.»

Née elle-même à la campagne (Gentilly), Céline Baril se qualifie de citadine. «J'ai toujours voulu fuir la campagne, car j'aime la ville», dit-elle, tout en se souvenant d'un temps pas si lointain où le village était aussi synonyme d'appartenance.

«C'est ce que je voulais mettre dans ce film: avant, on appartenait à une société où il y avait un bien commun. Aujourd'hui, beaucoup se demandent si l'on peut exister tout seul.»

Sans toutefois donner dans la démonstration, l'argumentation, Céline Baril aborde, à travers les personnages de son film, des questions fondamentales. «Cela vient de la façon dont le film a été fait: les gens sont de la région d'où je les ai pris. Le choix des sujets suit ça. Il y a avait plein de choses intéressantes. C'est très simple et limpide pour parler de la complexité», estime-t-elle.

Fiction-documentaire

Après un premier long métrage de fiction (Du pic au coeur), Céline Baril s'est tournée vers le documentaire pour 538 fois la vie, un film tourné pendant un an dans une école défavorisée de Montréal. «Pour une carrière, ce n'est peut-être pas une bonne idée (de varier les genres), mais moi, mon but, c'est d'apprendre», revendique-t-elle.

«Je veux toujours faire des choses nouvelles. Je me sens effrayée par beaucoup de chose dans la vie, mais pas dans les projets», dit-elle.

Indépendante - elle produit elle-même La théorie du tout -, Céline Baril aime les films, qui, comme les siens, mêlent heureusement la poésie à la vie: Sans soleil, de Chris Marker, les photographies de Robert Franck ou encore Dead Man, de Jim Jarmusch.

«C'est ce que j'aime du monde: l'humour, et la ri-gueur», dit-elle.

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Le documentaire La théorie du tout prendra l'affiche le 22 janvier à Montréal, au Cinéma Parallèle.