Ancien membre de l'Infonie, Roger Pelerin vit depuis 30 ans dans une île en Abitibi. Là où on s'arrête en passant retrace la démarche et les combats personnels de cet artiste hors normes, qui a choisi la liberté avant la reconnaissance. 

Ce n'est pas le bout du monde, mais c'est loin. Située au fin fond du lac Abitibi, à la frontière du Québec et de l'Ontario, l'île Nepawa est le refuge de vieux pêcheurs, d'anciens hippies et de marginaux en tous genres qui ont fui la ville - et parfois leurs démons - pour revenir à la terre.

C'est le cas de Roger Pelerin, artiste dit naïf et «vedette» d'un documentaire de Patrick Pellegrino (Senza Nostalgia, Sans réserve) qui doit prendre l'affiche ces jours-ci.

Au début des années 70, Pelerin était le peintre attitré du groupe-culte L'Infonie. Pendant que Raoûl Duguay déclamait ses textes surréalistes, il créait en direct sur la scène. Il a même joué un petit rôle dans Ô ou l'invisible enfant, un film expérimental du poète flyé.

Puis au début des années 80, il s'est exilé en Abitibi avec sa blonde, ses pinceaux et son penchant pour la bouteille. À l'époque, sa maison dans l'île de Nepawa coûtait 50$ par mois. Retranché du monde depuis près de 30 ans, sobre depuis moins que ça, il vit désormais selon ses propres règles et pratique sa gravure de façon férocement indépendante.

C'est ce personnage qui a séduit Pellegrino. «Je voulais faire un film sur un créateur libre, intègre et humble... Quelqu'un qui n'attend pas les subventions pour faire quelque chose», résume le cinéaste - qui admet avoir beaucoup appris sur la valeur de l'indépendance en côtoyant ce personnage excentrique et excentré.

«Il m'a montré à ne pas faire de compromis», dit-il.

Le réalisateur a découvert Pelerin il y a une dizaine d'années, alors qu'il travaillait dans un journal régional. À l'époque, l'artiste buvait encore beaucoup et vivait de menus travaux. «La première fois que je l'ai rencontré, il terrassait le pourtour d'un McDonald's. Ce n'est pas vraiment ce à quoi je m'attendais», raconte Pellegrino.

Petit à petit, les deux hommes ont créé des liens. Puis Pelerin a cessé de boire. Plus qu'un documentaire sur la création, Là où on s'arrête en passant est devenu le portrait d'un homme qui a vaincu ses démons et qui en est sorti grandi. «Il a été capable de surmonter ses problèmes sans aide extérieure, souligne le cinéaste. Et aujourd'hui, il se rend compte qu'il est capable de créer sans ça. Ça en dit long sur la force qui anime les artistes.»

Une force qui anime aussi Renée «Ti-Loup» Cournoyer, blonde de Pelerin et artiste à ses heures, puisqu'elle a traversé les mêmes épreuves pendant le tournage. Émaillé de réflexions sur la vie et sur ses lectures du philosophe Krishnamurti, son sevrage en direct contribue pour beaucoup à la dynamique d'un film qui finit par prendre des allures de double portrait.

Mis de côté

Au-delà de l'aspect humain, Là où l'on s'arrête en passant soulève aussi le problème des artistes en région éloignée.

Pour le meilleur et pour le pire, le couple vit désormais loin des galeries, des musées et des cocktails de 5 à 7. Ce retrait volontaire du brouhaha de la branchitude est né d'un urgent besoin de se soustraire aux diktats du milieu. En s'installant à Nipawa, Roger voulait faire table rase pour se trouver lui-même, résume le cinéaste.

Mais ce choix de vie - nécessaire et assumé - l'a tranquillement poussé dans le dalot. Si certaines de ses oeuvres ont été acquises par des institutions (BNQ, Archives nationales, Loto-Québec, quelques ambassades), son nom ne circule plus guère qu'en Abitibi, où il demeure quand même très connu.

Mais à Montréal? «Il a été un peu mis de côté, convient Pellegrino. Même à la Guilde graphique, on ne le connaissait pas.»

Le film aura peut-être pour effet de ramener les projecteurs sur Roger Pelerin. Mais tel n'était pas le but de l'exercice, insiste Pellegrino.

D'ailleurs, le principal intéressé s'en fout un peu. En 20 ans, il n'est venu qu'une fois à Montréal. Et il en est fier. «Peut-être qu'un jour, il y aura des expos sur ses oeuvres. Peut-être qu'on les retrouvera dans des galeries ou des musées. Mais ce n'est pas son objectif et il n'a pas d'attentes de ce côté. Il ne refuse rien, mais il est heureux comme il est...»

Roger Pelerin, là où on s'arrête en passant prend l'affiche le 2 avril au Parallèle.