Cinéaste farouchement indépendant, Jean Becker propose avec son plus récent film, La tête en friche, l'histoire d'une rencontre entre un homme un peu simplet et une très vieille femme érudite de laquelle découlera une sorte d'éveil des consciences. La Presse a rencontré le réalisateur français en marge du Festival des films du monde.

L'idiot du village. L'expression émerge spontanément en visionnant La tête en friche, dernier film du réalisateur français Jean Becker dans lequel Gérard Depardieu incarne Germain Chazes, habitant d'un village du sud de la France où il est un peu la risée de tout le monde.

Idiot? Vraiment? De passage à Montréal, Becker rejette l'idée lorsqu'on la suggère. Non, Germain Chazes n'est pas l'idiot du village. Pour la bonne raison qu'il n'est pas idiot. Un peu simplet, un peu original. À la limite, «lourdeau». Mais pas idiot! Bien au contraire.

«On pense que ce personnage est un peu simplet. Il est un peu original. Il a des réflexions, des agissements d'un homme qui n'est pas cultivé, qui a, en somme, la tête en friche, indique le cinéaste en entrevue. Mais on sent que s'il avait eu accès à la culture, l'écriture, la lecture, il serait très différent car il est très intelligent.»

Becker ajoute: «Germain est un diamant brut. On sait qu'il y a quelque chose en dessous mais on ne l'a pas taillé.»

Pas idiot, donc. Mais quand même un peu «rejet» parce que plus lent que la moyenne. Petit, à l'école, ses camarades ne l'aimaient pas. Son professeur non plus. Adulte, ses amis se paient sa tête au café. Sa mère, elle-même fêlée, le rejette, le blâme pour tout.

Bref, tout va de travers, ou presque, jusqu'au jour où Germain rencontre Margueritte (oui, avec deux t), vieille dame (Gisèle Casadesus) érudite qui lui apprendra non seulement à lire, mais à comprendre le sens des mots à travers plusieurs auteurs: Camus, Gary, Sepulveda. Cette «éducation» ne se fera pas sans heurts.

Première personne

Tournée dans la petite ville de Pons, entre Bordeaux et La Rochelle, cette comédie dramatique présentée dans la catégorie «hors concours» lors du Festival des films du monde est tirée du roman éponyme de Marie-Sabine Roger. Séduit par l'histoire, Jean Becker (L'été meurtrier, Les enfants du marais) a voulu la transposer en images. Écueil: le roman était écrit à la première personne.

Pour les besoins cinématographiques, Becker a laissé tomber les voix hors champ. Mais il se dit satisfait d'avoir conservé des «choses attachantes». «Je crois que c'est assez réussi car les dialogues sont assez cinglants, assez amusants», dit-il.

Becker aime cette idée de progression dans son film. S'assoyant dans la chaise du spectateur, il affectionne le travail de Germain Chazes, il applaudit ses progrès. «Une des choses qui m'a plu est que le personnage que vous rencontrez au début est devenu différent lorsque vous le lâchez à la fin. À la limite, il arrive même à se foutre de la gueule de ses copains.»

Au final, Becker souhaitait donner ou redonner le goût de la lecture aux gens. «Qu'est-ce qui se passe en ce moment? demande-t-il avant de donner ses éléments de réponse. Il y a de plus en plus d'illettrés. Les gens lisent moins. Il y a le Net, etc. Si j'ai une espérance par rapport à ce film, c'est que j'aurai pu redonner aux gens l'envie de lire.»

La tête en friche est à l'affiche.