Faire voyager ses créations, c'est bien. Les présenter chez soi, c'est mieux. Gratifiant. Et un peu angoissant. Dans le cadre du FNC, cinq créateurs de l'ONF voient leur nouveau film présenté en première montréalaise. La Presse en a rencontré deux.

Avec cinq nouveaux films lancés au cours des derniers mois, l'année 2010 est effervescente pour les réalisateurs associés au programme francophone de cinéma d'animation de l'Office national du film.

Les courts métrages d'animation Les journaux de Lipsett (Theodore Ushev), La tranchée (Claude Cloutier), La formation des nuages (Marie-Hélène Turcotte), Imparfaite (Karl Lemieux) et (Annette Clarke), ont pris leur envol un peu partout à travers le monde. Zagreb, Annecy, Toronto, New York, Hiroshima.

Les voilà maintenant au Festival du nouveau cinéma (FNC) où ils sont inscrits dans différentes catégories. Moment de grâce et parfois, moment d'angoisse pour les créateurs qui mettent à nu devant leur public le fruit d'un long travail.

«J'ai mis un an et demi à faire mon film de sept minutes. Il y a là-dedans 3500 dessins faits à la main», dit le réalisateur Claude Cloutier, auteur de La tranchée, rencontré dans son bureau de l'Office national du film (ONF).

Un an et demi de travail pour sept minutes!?!?!? «C'est... rapide, assure l'intéressé. Mon film précédent, Isabelle au bois dormant, j'ai mis cinq ans à la faire.» Une longue gestation qui a rapporté 23 prix!

Mais il n'y a pas que les prix dans la vie. Il y a l'art. L'art comme source de divertissement, de réflexion, de dénonciation, de rappel historique. «L'art est un des besoins essentiels à une société. Et le cinéma d'animation est un maillon de cet ensemble culturel», insiste le cinéaste.

Prenons, justement, La tranchée. À travers les yeux d'un jeune soldat, l'oeuvre de Claude Cloutier recrée la scène d'un champ de bataille de la Première Guerre mondiale. Les dessins ont été faits à partir de films d'époque. Le bruit, souvent assourdissant, est aussi présent et révélateur que les images.

Pour le cinéaste, dont le film est en compétition officielle au FNC, l'animation constitue la réunion du cinéma et de l'expression graphique. «Ce sont deux styles aussi forts l'un que l'autre», dit-il.

Une guerre... intérieure

En un sens, Theodore Ushev évoque aussi une guerre dans son film Les journaux de Lipsett. Une guerre intérieure. Une guerre contre soi-même au terme de laquelle Arthur Lipsett, génial cinéaste de l'ONF, a passé l'arme à gauche. C'était en 1986. À 49 ans, miné par la maladie mentale, Lipsett s'est enlevé la vie.

«Lipsett n'avait que 25 ans lorsqu'il a réalisé son film Very Nice, Very Nice qui était en nomination pour l'Oscar du meilleur court métrage. De grands réalisateurs lui ont écrit. Il a connu la gloire trop jeune. Par la suite, chacun de ses films était de moins en moins réussi», indique Ushev en entrevue.

La réflexion n'évacue pas l'admiration. Ushev est fasciné par ce personnage. D'autant plus que par un hasard incroyable, il a marché littéralement dans ses pas. «Alors que nous faisions des recherches dans les archives de Lipsett à la Cinémathèque québécoise, je me suis rendu compte, en lisant sa correspondance, qu'il a habité dans le même bâtiment que celui où j'ai logé en arrivant au Canada», dit le cinéaste d'origine bulgare.

À l'image de ce qu'Arthur Lipsett propose dans ses propres films, le court métrage (14 minutes) d'Ushev présente un genre de collage d'images et de sons puisés à même les film du défunt cinéaste.

Comme son titre l'indique, le film est présenté sous une forme de journal intime. La narration, en anglais et en français, a été confiée à Xavier Dolan. «J'ai demandé à Xavier de parler très près du micro, de façon à rendre le propos plus intime, comme un soliloque, ce qui nous rapproche de la condition de Lipsett», dit Ushev.

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Le rôle de l'ONF est encore important, voire crucial, dans le processus de création de films d'animation, affirment les deux cinéastes.

«L'ONF a une prédisposition à encourager les films d'auteur. Nous développons donc chacun nos styles, très personnalisés, ce qui contraste avec les styles normalisés du privé», dit Claude Cloutier.

«Au Canada, nous sommes des pionniers. On est comme un laboratoire de cinéma et on ouvre des portes», dit pour sa part Theodore Ushev.

Le service francophone du cinéma d'animation compte huit réalisateurs. Une bonne chose pour l'émulation. Mais à l'opposé, les restrictions budgétaires, récurrentes depuis une quinzaine d'années, entretiennent l'incertitude face à l'avenir.

«Le budget de l'ONF est gelé depuis 16 ans, sans ajustement au coût de la vie, dit Claude Cloutier qui, comme tous ses collègues, est passé du statut d'employé permanent à celui de pigiste. Le manque de ressources est un peu critique. Au niveau artistique, nous sommes en pleine effervescence mais les conditions sont difficiles.»

La tranchée, aujourd'hui à 19h30 au Cinéma ONF et le dimanche 24 octobre à 17h à la Cinémathèque

Les journaux de Lipsett, le samedi 23 octobre à 13h à eXcentris