Si l'on s'amusait à faire la recension des critiques obtenues depuis deux décennies par les films québécois en France, Incendies de Denis Villeneuve aurait de bonnes chances d'arriver au premier rang. Même si le film ne décroche nulle part la note suprême, réservée à des auteurs consacrés (tel Raul Ruiz pour son plus récent film), il a droit de toutes parts, à gauche et à droite, à une critique plus qu'enthousiaste. Sans fausse note ou presque.

Le supplément télé-ciné publié tous les jeudis par Le Nouvel Observateur dresse un tableau de huit critiques. Même s'il ne fait pas l'unanimité, Incendies obtient une moyenne plus qu'honorable et arrive en tête des films de la semaine. Seul Le Point lui accorde trois coeurs (le maximum), mais Télérama, les Inrocks, L'Express et Marianne lui en donnent deux. Un résultat exceptionnel, très supérieur à ce qu'a obtenu la semaine précédente Somewhere de Sofia Coppola. Voilà donc Villeneuve en bonne compagnie.

On se demande d'ailleurs pourquoi il n'a pas obtenu davantage, car les commentaires eux-mêmes sont plus que flatteurs.

Mettons à part Le Monde, qui estime raté le passage au cinéma de la pièce de Wajdi Mouawad: «Le sens du tragique ne fait qu'affleurer à l'écran: le reste du temps, il est masqué par le savoir-faire du cinéma d'action et d'actualité... Les instruments de Villeneuve sont inopérants.»

Partout ailleurs, c'est un concert d'éloges. L'Express avait déjà publié la semaine dernière un prépapier enthousiaste sur Incendies et Villeneuve. Le magazine revient à la charge: «À la fin du film, vous serez laminés, assommés, bouleversés. Incendies est la première grande claque de 2011, dont on gardera sans doute la marque toute l'année.»

Le quotidien communiste L'Humanité, qui publie une interview de Villeneuve, qualifie par ailleurs son film de «poignant». C'est «stupéfiant de beauté», conclut le critique. La Tribune, journal financier, semble d'accord: «Entre tragédie grecque et voyage initiatique, le récit tient ses promesses, porté par des acteurs époustouflants de justesse.» Le grand journal populaire Le Parisien est plus sobre: «On en sort bousculé par la dureté des faits, et captivé par la force du récit.» Le quotidien de Bruxelles, Le Soir, va dans le même sens, et souligne au passage la prestation de Lubna Azabal, comédienne belge d'origine marocaine: «Elle trouve dans cette odyssée de chair et de sang son rôle le plus fort à ce jour.» Le Soir n'est pas le seul journal à lui tresser des couronnes.

À ce concert quasi unanime, il ne manque même pas Libération, qui consacre une page entière à ce film qui «touche à quelque chose qui, concernant la guerre au Liban, n'avait jamais été figuré. Si l'on veut toucher à l'horreur pure de ce conflit, il est plus qu'urgent de se ruer sur ce film canadien».

Incendies fait partie de ces films difficiles à vendre au grand public: ni français ni américains, ils n'affichent aucune vedette au casting. Le seul argument de vente aura donc été, d'une part la guerre au Liban suggérée par l'affiche, et le réalisateur Denis Villeneuve, de passage à Paris début janvier pour quelques interviews.

Résultat de la première séance de 14h dans les salles parisiennes? Extrêmement encourageant pour un film de ce genre, qui compte essentiellement sur le bouche à oreille. En fin d'après-midi, on avait dénombré 464 spectateurs pour 10 copies dans Paris intra-muros (il y en a finalement 66 pour toute la France). Un résultat comparable à celui, récent, des Amours imaginaires de Xavier Dolan: 715 entrées dans 15 salles. Et supérieur à celui de C.R.A.Z.Y.: 504 pour 15 copies. Sauf erreur, Incendies est désormais assuré du succès. D'estime à 100 000 entrées. Ou davantage: l'espoir est permis.