Drive aurait pu être un autre The Fast and the Furious. Mais Nicolas Winding Refn et Ryan Gosling ont pris le volant et ont conduit le bolide dans une autre direction. Rencontre avec un tandem fait pour durer.

L’an dernier au Festival de Cannes, Nicolas Winding Refn cherchait du financement pour Drive, film noir inspiré du roman « pulp » de James Sallis qu’il comptait réaliser et qui mettrait en vedette Ryan Gosling.

« Il disait à tout le monde : donnez-moi de l’argent et l’année prochaine, je vais remporter le prix de la mise en scène, ici même », a raconté le comédien rencontré pendant le Festival international du film de Toronto.

Et ce prix-là, le réalisateur de Bronson et de Valhalla Rising l’a, comme de fait, reçu au mois de mai. Celui qui se présente comme étant un réalisateur fétichiste – « Il ne place devant sa caméra que ce qui l’excite », indiquait son acteur… fétiche – est-il aussi un devin ?

Quand on lui pose la question, le jeune Danois se fend d’un sourire : « Vous dites aux gens ce qu’ils veulent entendre et une fois que vous avez obtenu d’eux ce dont vous avez besoin, vous faites ce en quoi vous croyez. » Ce en quoi il croyait, ça tombe bien, a plu au jury présidé par Robert De Niro.

Drive aurait pu être le début d’une nouvelle franchise, manière The Fast and the Furious. En son cœur se trouve un type rapide et furieux. De jour, il est mécanicien et, parfois, il exécute des cascades automobiles sur des plateaux de tournage. De nuit, il prête ses talents d’as du volant à des voleurs de tous acabits. Voilà le rapide. Le furieux apparaît lorsque la gentille voisine (Carey Mulligan) se retrouve en danger. Parce qu’il l’aime bien, il vole à son secours en cinquième vitesse – c’est le cas de le dire – tel un preux chevalier. Ou un superhéros.

Car il y a aussi du superhéros, dans Drive. D’où le port d’une veste de satin blanc ornée, dans le dos, d’un scorpion doré. Mais attention, ce superhéros-là donne dans l’existentialisme. Il navigue dans l’univers sombre des films noirs des années 70.

Et quand il « pète sa coche », il ne la pète pas qu’à moitié. La violence de Drive et de Driver – appelons ainsi le personnage sans nom – n’est pas « cartoonesque », ne s’accompagne pas de « Bang ! » et de « Paf ! » à la Batman ; ni de traits d’humour à la The Fast and the Furious. Cette violence est crue, sans concession, implacable, brute. Choquante. « C’est la violence que je voulais voir à l’écran, je n’essaie pas d’expliquer ni d’analyser, laisse tomber Nicolas Winding Refn. Je travaille mieux en laissant aller mon instinct. »

Profondeur et instinct

Pourtant tout, dans Drive, semble pesé, pensé, placé. « Ce ne l’est pas, assure le réalisateur. Je tourne autour des choses et je ne sais pas où elles vont aboutir. J’aime cette situation, la peur et l’insécurité qu’elle procure, l’impression d’être en chute. Cela m’oblige, sur le plan créatif, à creuser de plus en plus profondément dans mon matériel. Au bout du compte, les choses sont pensées et placées en cours de route et au montage, pas au départ. »

Chose confirmée par Bryan Cranston, qui interprète le mentor de Driver : « Lorsque nous tournions, le film semblait beaucoup plus conventionnel que ce qu’il est devenu. » Et ce qu’il est devenu est une œuvre hautement stylisée et très signée. Dans les images. Dans la musique, parfois électrique et rétive ; parfois pop et « féminine ». Dans le travail sur le son, jusque dans les silences. Lesquels sont nombreux : « Dans le scénario original, Driver parlait beaucoup plus. Mais petit à petit, les dialogues ont sauté. Ce type ne parle que quand il a quelque chose à dire », indique Ryan Gosling – qui partage entièrement la vision de son réalisateur pour ce film. Et pour les prochains : ils ont à ce point connecté qu’ils tourneront bientôt Only God Forgives, avant de plonger dans le remake tant attendu de Logan’s Run.

REO Speedwagon

Amusant, quand on sait combien la première rencontre entre les deux hommes a été, disons, ordinaire.

Ryan Gosling avait approché Nicolas Winding Refn, dont il aime l’œuvre et le style, pour le diriger dans ce nouveau projet. Mais le réalisateur était assommé par le décalage horaire, la grippe et les décongestifs quand il s’est assis à table avec l’acteur pour discuter de Drive. Après un repas partagé dans le malaise, le Danois, toujours dans les vapes, avait demandé au comédien de le raccompagner à son hôtel. Ah oui ! Parce que le réalisateur de ce « film de chars » ne conduit pas. Ça ne s’invente pas.

Bref, c’est dans l’auto que le déclic s’est produit. Quand la chanson Can’t Fight This Feeling Anymore de REO Speedwagon s’est élevée dans le cockpit : « J’ai eu comme une vision et j’ai dit à Ryan : On va faire un film sur un type qui conduit de nuit et écoute de la musique pop parce que c’est son exutoire émotif. Il m’a dit : Ok. Le film est né de ce moment-là. Après, artistiquement, je n’ai pas eu à trahir ma vision : Ryan s’est battu pour moi, m’a protégé. Ce film a été fait de la manière dont il devait être fait. »

Et c’est ainsi qu’un ersatz de The Fast and the Furious est devenu Drive. Aussi simple que ça? On n’ira pas jusque-là.

Drive (Sang-froid) prend l’affiche aujourd’hui.