À chaque film sa genèse. Il y a l'adaptation d'un roman ou d'un événement. Il y a l'exploration d'un thème. D'autres tricotent autour d'une simple scène qui s'impose à l'esprit. Dans le cas de Jean-Marc Vallée, Café de Flore est né de l'écoute de la pièce éponyme de Matthew Herbert. Lorsqu'il en parle, il est transporté. Et vous entraîne dans son ivresse. Rencontre.

Il y a quelque chose d'attendrissant à écouter Jean-Marc Vallée parler de Café de Flore. Le réalisateur est fier du résultat. Exit le mythe du créateur torturé par le doute. Ce qui ne signifie pas qu'il a la fierté baveuse et frondeuse. Simplement, le bonheur d'avoir vu le travail se métamorphoser peu en peu en oeuvre. Simplement, la fierté de constater qu'à 48 ans, le métier entre.

«C'est tellement beau ce qui est arrivé, dit Vallée en entrevue. Je n'avais pas vécu ça à C.R.A.Z.Y. Je parle avec plus de confiance, d'assurance et d'estime. J'ai un grand sentiment d'accomplissement. J'ai l'air un peu fleur bleue mais ça me touche profondément d'avoir vu tous ces gens se mettre au service du film, sans égo. Je me suis senti comme un chef d'orchestre entouré de virtuoses.»

Chef d'orchestre. La définition va bien à ce réalisateur qui a placé la musique au coeur de son oeuvre. Comme dans C.R.A.Z.Y., Café de Flore est garni d'une trame sonore imposante. Avec, encore ici, des extraits de l'album Dark Side of the Moon de Pink Floyd. Mais surtout avec la pièce Café de Flore, version Big Band, du Britannique Matthew Herbert, un musicien électronique.

«L'endroit est un lieu où des couples mythiques se sont créés, un lieu de rencontres privilégié que l'on regarde aujourd'hui avec une certaine nostalgie, dit Vallée. Mais dans mon cas, tout a commencé par mon contact avec la pièce d'Herbert. Ce Big Band avec une version très chill de la pièce... Je me disais Trop, trop, trop beau. Il faut que je fasse un film de cette mélodie. Tranquillement, les images sont venues. Et cette histoire d'amour, épique et folle, s'est imposée. Grâce à quoi? Grâce à un thème musical.»

Risque de saturation musicale? Vallée répond que non. Au contraire dit-il, son but était de créer un film d'ambiances où la musique «aide à générer des émotions».

«Le film dure deux heures et seize secondes, enchaîne-t-il. Là-dessus, il y a 61 minutes sans musique dont 3 à 4 minutes de silence complet. Je voulais une histoire avec beaucoup de non-dits, peu de dialogues.»

Amour épique

Café de Flore est un film d'amour épique, dit Vallée. Il n'aime pas le terme «film d'amour» tout court, qui serait ici une définition tronquée.

«J'ai commencé à écrire Café de Flore lorsque le projet Young Victoria est arrivé sur la table. Je me suis dit que j'allais me faire la main.» Se faire la main dans le sens d'un premier essai plus classique, en respectant les codes. Pour Café de Flore, il voulait aller plus loin.

«Je voulais un film d'amour avec une twiste, dit-il. Et j'aime ce genre de cinéma un peu mystique, surnaturel, mystérieux. Ça faisait longtemps que ça me trottait dans la tête d'explorer ce genre surnaturel, faire place à la magie, aller dans quelque chose plus grand que le réalisme. Car à la base, les deux histoires familiales du film, où l'on dit qu'il ne faut pas se séparer, etc. etc. sont très terre-à-terre.»

---------------

De vieilles images de l'ONF

Dans Café de Flore, les images du Paris de 1969 sont volontairement rugueuses, granuleuses, saturées. Jean-Marc Vallée explique que certains plans proviennent d'images d'archives non utilisées du documentaire Paul-Émile Borduas de Jacques Godbout.
«L'Office national du film donne accès à des images de son «stock shot», dit-il. Nous avons acheté quatre plans du film de Godbout (images de Georges Dufaux). Nous avons fait marcher Vanessa Paradis et Marin Gerrier devant un écran vert puis les avons intégrés à ces plans.»

Pour le reste, le tournage des scènes parisiennes s'est fait avec une caméra numérique à laquelle on a appliqué une formule d'érosion.

«J'aime ces photos de Bresson, de Doineau d'un Paris en noir et blanc avec ses cigarettes, ses cafés, poursuit Vallée. Mais ce fut un travail de moine car Paris n'a pas pensé à recevoir des plateaux pour des films d'époque. Partout, on a installé des poteaux pour empêcher les voitures de stationner. On a aussi mis des barrières devant les écoles pour prévenir les attentats terroristes. Ça n'existait pas dans les années 1960 et 1970. Il a donc fallu utiliser des effets visuels pour effacer ces éléments, ce qui coûte très cher.»

---------------

Café de Flore sort en salle le vendredi 23 septembre.