The Artist, film singulier dans le paysage de la production française, a confirmé mardi avec ses 10 nominations aux Oscars son fabuleux destin hollywoodien, fruit d'une longue «campagne» orchestrée par le distributeur américain du film Harvey Weinstein.

Cette moisson historique aux Oscars, pour un film français, s'accompagne en outre cette année d'une visibilité inédite de la France dans les films en compétition, avec trois oeuvres se déroulant à Paris: Hugo de Martin Scorsese, Midnight in Paris de Woody Allen -- tous deux en lice pour le meilleur film -- et le long métrage d'animation français Une vie de chat.

Hommage aux films muets américains, tourné dans les mythiques studios hollywoodiens Warner et Paramount, mais financé à 100% par des capitaux français, The Artist est un objet singulier dans la production hexagonale.

En effet, pour garder le contrôle sur la fabrication, le producteur Thomas Langmann et sa société La Petite Reine ont créé une filiale américaine, Barbes Brothers, qui a assuré tout le tournage outre-Atlantique, avant le retour du film en France pour la postproduction.

Tourné entre septembre et novembre 2010 avec un budget estimé à un peu plus de 9 millions d'euros, The Artist est muet pour le spectateur, mais ne l'était pas sur le plateau, et la production a hésité sur la langue à adopter.

«Au début, nous ne savions pas si le financement apporté par le Centre national de la cinématographie impliquait l'usage du français, alors dans le doute, tous les acteurs français parlaient français», explique à l'AFP Antoine de Cazotte, patron de Barbes Brothers à Los Angeles.

«Mais ça n'avait pas de sens, puisque le film est censé se passer à Hollywood et qu'une partie de la distribution est anglo-saxonne. Nous avons donc poursuivi en anglais et parfois, comme l'a raconté Jean Dujardin, dans un langage inventé», ajoute-t-il.

Pour les Oscars, la langue d'un film ou sa nationalité ne sont pas déterminantes pour figurer parmi les finalistes- même si dans la pratique, les films en lice et récompensés sont majoritairement anglo-saxons.

Le règlement stipule que «les films de tous les pays sont éligibles dans l'ensemble des catégories», pour peu qu'ils aient été exploités en salles à Los Angeles pendant au moins sept jours avant le 31 décembre de l'année précédant la cérémonie, et qu'ils aient été présentés avec des sous-tires anglais.

Aux États-Unis, la distribution du film est assurée par The Weinstein Company, la société des frères Weinstein, passés maîtres dans l'art de récolter les Oscars. Ce sont eux qui ont orchestré la longue «campagne» qui porte aujourd'hui ses fruits.

«Harvey Weinstein a fait un travail incroyable. La manière qu'il a de réfléchir à un film, au public, à la façon de le montrer sous son meilleur jour, avec le bon timing, c'est très fort», déclarait Michel Hazanavicius à l'AFP le soir de sa victoire aux Golden Globes, la semaine dernière.

Participation de l'équipe à de nombreux événements hollywoodiens, publicité dans la presse professionnelle et à la télévision, projections, rencontres avec la fine fleur de l'industrie hollywoodienne... comme à leur habitude, les Weinstein n'ont pas lésiné sur les moyens pour assurer à The Artist une visibilité qui en fait aujourd'hui le favori aux Oscars.

«Une fois qu'il a établi une stratégie, il se donne vraiment les moyens de l'appliquer. Et la campagne pour les Oscars fait complètement partie de son plan, je pense, pour que le film soit un succès», affirme le cinéaste.

Ce dernier peut en outre se féliciter que Weinstein, connu pour sa propension à tailler dans les films avant de les distribuer, n'ait pas touché à son oeuvre. «Il n'a pas enlevé une image», assure-t-il. «Il n'a pas changé une note de musique, ni l'affiche ni la bande-annonce. Il m'a dit: "Le seul défaut de ce film, c'est que je n'ai rien à changer"».