Gulîstan. C'était le nom de la gardienne de Zaynê Akyol, fillette d'origine kurde, née en Turquie et arrivée au Québec très jeune. Ça signifie également «terre de roses», en kurde.

À 18 ans, Gulîstan décide de s'enrôler dans le PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan et mouvement guérillero dont 40 % des effectifs sont des femmes.

Pour Zaynê Akyol, qui avait alors 4 ou 5 ans, cette séparation est douloureuse. «C'était ma grande soeur, mon modèle.»

En 2000, Gulîstan est tuée. Zaynê Akiol a alors 13 ans.

Devenue adulte, devenue cinéaste, devenue Montréalaise, Zaynê Akyol a décidé de remonter le temps, mettant ses pas dans ceux de Gulîstan, à qui elle a voulu consacrer un documentaire pour mieux apprivoiser les motivations de son départ.

Le hasard a plutôt voulu qu'elle rencontre la guerre de plein fouet.

C'était à l'été 2014, dans la région du Kurdistan autonome irakien. Le PKK luttait contre les avancées de Daech (acronyme arabe du groupe État islamique). Laissant de côté son scénario de départ, la cinéaste a braqué son regard sur Sozdar, Rojen et plusieurs autres femmes combattantes du PKK. Au fond, c'était une autre façon de raconter l'histoire de Gulîstan.

Son film est présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) et prendra l'affiche en salle en 2017.

Expliquez-nous cet intérêt pour ces combattantes.

Ce qui m'intéressait était le PKK et encore davantage les femmes à l'intérieur de ce mouvement. Elles ont un discours hyper progressiste et féministe, comme les hommes du mouvement, d'ailleurs. J'ai voulu les capter dans leur quotidien et non les filmer en amazones guerrières comme on a pu les dépeindre dans des reportages. Je ne voulais pas faire un film sur les victimes de la guerre; ça ne m'intéressait pas de dire: «Ah! pauvres Kurdes!» La situation [d'apatrides] qu'ils vivent, c'est le cas depuis plus de 100 ans. On peut passer à autre chose.

En tant que femme et en tant que cinéaste, que vous inspirent-elles?

Grande question! Elles m'inspirent de plusieurs façons. D'abord, elles croient à un idéal. Elles acceptent de mettre leur vie personnelle en pause parce qu'elles croient en quelque chose de beaucoup plus grand que leur propre individualité. Elles m'inspirent pour leur courage aussi. Et à travers elles, j'ai fait la paix avec mes racines kurdes. En vivant au Québec, j'avais de la difficulté, je crois, à intégrer ces racines à ma propre identité.

Les paroles des interviewées sont aussi fortes que vos images. Qu'en dites-vous?

Je suis d'accord et je ne l'avais pas du tout prévu. C'est entre autres grâce au personnage principal de Sozdar qui, au départ, est une académicienne. Oui, elle a vécu plusieurs années en guerre, mais en même temps, elle travaille à l'académie du PKK, qui a pour fonction de donner des cours aux guérilleros. Elle fait aussi beaucoup de traduction de livres du turc au kurde. Elle est très articulée. 

Dans quelles conditions avez-vous tourné?

À notre arrivée, Daech venait de prendre une ville à 25 kilomètres. On rentrait dans le pays alors que les gens se sauvaient vers la Turquie. Je ne parlais pas la langue, on n'avait pas de voiture, etc. Ce fut le moment le plus paniquant. Heureusement, notre producteur allemand était là et nous a trouvé un chauffeur. Par la suite, nous sommes allés dans les montagnes où des avions turcs patrouillent régulièrement. La nuit, on ne pouvait faire de lumière. Pour faire des copies de nos images, on s'enfouissait avec nos ordinateurs sous des tonnes de couvertures. On dormait directement par terre. On dormait mal, on mangeait mal. À un autre moment, nous avons travaillé dans une zone où se trouvaient des mines antipersonnel. Tout était toujours imprévisible. C'est ce qui caractérise la guerre: l'attente et l'imprévisibilité.

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Aujourd'hui, à 20 h 30, au Cinéma du Parc; demain, à 17 h 30, à la Cinémathèque québécoise.

Photo fournie par Peripheria

Gulîstan, terre des roses, de Zaynê Akyol