Le cinéma de Pierre-Yves Vandeweerd est sans concession. Tant dans le fond que dans la forme. Son propos, toujours proche des rejetés et des oubliés de la planète, est servi par des images crues, saisissantes et l'usage judicieux du noir et blanc. Les RIDM lui consacrent une rétrospective, à laquelle s'ajoutent une classe de maître et une installation.

Quelle corrélation faut-il faire entre guerre, folie, errance et mémoire, des thèmes récurrents chez vous?

C'est la question de l'ordre et du désordre, de la raison et de la déraison. La guerre porte en elle une forme de déraison. Les soubresauts du monde qui surviennent autour de nous sont un reflet d'un tel désordre. Et le cinéma est aussi une proposition de désordre, du moins celui que j'essaie de faire, c'est-à-dire des propositions qui sortent de la norme, de nos habitudes et notre confort tout en laissant à chacun la liberté de réfléchir et de ressentir les choses autrement.

Parlez-nous de vos techniques de travail, qui semblent à contre-courant de ce qui se fait actuellement.

Mes premiers films ont été tournés en numérique. Puis, au moment du tournage des Dormants, j'ai commencé à filmer en pellicule. Pour moi, la pellicule exige un état d'éveil, de vigilance beaucoup plus important que le numérique. La pellicule a quelque chose d'intemporel. Et mon cinéma explore l'intemporalité. On est à la fois dans le présent et le passé.

Votre intérêt pour l'Afrique, et plus particulièrement la Mauritanie, est-il surtout politique, cinématographique ou autre?

Avant le cinéma, j'ai fait des recherches anthropologiques en Afrique. J'ai pris pied dans cette région du monde. Ce qui m'a mis en éveil dans ce continent est le nomadisme, qui se traduit par une autre conception du temps et de l'espace. Le fait d'être dans ces régions m'a aussi amené à être le témoin de certaines guerres. Mais vivre la guerre comme je l'ai vécue ne signifie pas systématiquement se retrouver en première ligne. Les effets, on les ressent aussi dans le quotidien des civils. Ce que j'ai essayé de montrer.

La sortie du film Les tourmentes (2014) semble en rupture avec vos films précédents. Est-ce le cas?

Pour moi, c'est totalement dans la continuité. Ce n'est pas parce que je ne prends pas position dans une guerre qu'il n'est pas question de politique ou de réflexion sur le monde dans lequel on vit. Ce qui traverse l'ensemble de mes films, c'est la question du visible et de l'invisible. Les gens que je filme sont presque des spectres. Ils sont dans un entre-deux, entre la vie et la mort, par une situation de guerre ou autre. Mais ce sont surtout des gens oubliés et plongés dans une situation un peu spectrale. Comme les gens dans Les tourmentes.

Vous présentez aussi une installation, Nouménie, à Montréal. Qu'en est-il?

Cette installation est réalisée à partir de ma matière filmée en pellicule et avec les chutes de mes films. Je l'ai conçue comme un dispositif à appréhender d'une tout autre façon qu'un film. Il faut la voir comme un prolongement de mes films avec le même univers, le même état d'esprit. Mais c'est une tout autre proposition de chorégraphies des images et du son.

Puorquoi Vandeweerd?

Pourquoi une rétrospective consacrée à Pierre-Yves Vandeweerd? Voici ce que répond Bruno Dequen, directeur de la programmation des RIDM.

«Pierre-Yves Vandeweerd est l'un des cinéastes du documentaire les plus talentueux, singuliers et importants des vingt dernières années. Souvent tournés en Afrique, auprès de populations qui n'ont que rarement la possibilité de s'exprimer ou d'être filmées, ses films témoignent d'une quête de l'image et du son justes qui l'ont poussé à remettre constamment sa pratique en question. Cette démarche exigeante, qui est ce qui l'a incité à trouver de nouvelles façons de faire du documentaire, est à l'image du cinéma que désirent défendre les RIDM.»