Il n'a pas eu droit officiellement à sa «journée» comme Bill Murray, mais c'est tout comme. Xavier Dolan était hier au TIFF à titre de cinéaste pour Mommy, mais aussi pour accompagner la présentation d'Elephant Song, le film de Charles Binamé dont il est la vedette.

Acteur avant tout. C'est ainsi que Xavier Dolan se définit encore aujourd'hui. Et ce, malgré la folie qui entoure Mommy, son cinquième long métrage à titre de réalisateur. En fin de soirée, mardi, la file qui attendait pour entrer au Princess of Wales Theatre était d'ailleurs longue de quatre pâtés de maisons. Mommy, film lauréat du Prix du jury au Festival de Cannes, fait véritablement partie des incontournables aux yeux des festivaliers. Cela dit, le cinéaste fait double emploi au TIFF.

La première mondiale d'Elephant Song a en effet eu lieu hier soir au Isabel Bader Theatre. Dans ce film réalisé par Charles Binamé (Maurice Richard), Xavier Dolan tient le rôle principal face à Bruce Greenwood et Catherine Keener. Cette adaptation de la pièce de Nicolas Billon, montée à Montréal en 2005 dans une mise en scène de René Richard Cyr, met au premier plan l'histoire de Michael, un patient dans un institut, peut-être «pas si fou que ça», qui entretient le mystère à propos de la disparition d'un éminent psychiatre.



Un rôle payant

Même s'il a eu l'occasion d'incarner un personnage fort intéressant dans le film de Podz Miraculum, Dolan a cette fois l'occasion de prouver véritablement son talent d'acteur dans un film dont il ne signe pas la réalisation. Sous la direction de Charles Binamé, il offre une formidable composition dans un film bien réalisé, dont l'origine théâtrale est parfois un peu trop évidente.

«C'est un rôle en or, commente le principal intéressé au cours d'un entretien accordé à La Presse. N'importe quel acteur rêve d'un rôle payant comme celui-là. Dès que j'ai entendu parler du projet d'adaptation cinématographique de la pièce, j'ai tout de suite sollicité une rencontre avec le producteur Richard Goudreau. Je lui ai dit - en toute humilité comme d'habitude - que le rôle de Michael était pour moi et que j'étais certain de pouvoir bien le faire. Très sûr de moi, je me suis alors levé, je me suis dirigé vers la sortie du restaurant sans voir qu'il fallait ouvrir une deuxième porte vitrée pour quitter. Je me suis fracassé le nez sur la porte au point où je suis tombé par terre. J'étais hyper humilié. Quelle leçon d'humilité après m'être vendu auprès d'un producteur avec autant de sans-gêne!»

Six ans après Le piège américain, Charles Binamé effectue un retour au cinéma. «Xavier dans ce rôle, c'était comme une évidence, dit-il. Quand je l'ai rencontré la première fois, je me suis d'abord bien assuré d'avoir un acteur en face de moi. Et non un réalisateur. Il m'a accordé toute sa confiance. Je crois que les cinéastes qui se retrouvent à jouer dans le film d'un autre réalisateur prennent un plaisir particulier. Ils peuvent alors baisser la garde et se concentrer sur le plaisir du jeu.»

Pour Dolan, le rôle relevait aussi de l'évidence. L'acteur devait toutefois aussi défendre son personnage dans la langue de Shakespeare. À cet égard, il s'exprime dans un excellent anglais, pratiquement sans accent, résultat d'années de travail.

«J'ai toujours été obsédé par l'idée de parler un bon anglais, explique-t-il. Ça remonte à l'école primaire. J'ai ensuite été envoyé pensionnaire à Ayer's Cliff, dans les Cantons de l'Est. Comme il y a beaucoup d'anglos là-bas, je me suis alors rendu compte que j'avais beaucoup de retard. Je suis allé à Berlitz. J'ai rencontré là une formidable prof avec qui j'ai toujours gardé contact. C'est d'ailleurs elle qui m'a aidé pour Elephant Song. J'ai suivi des cours sur une base régulière pendant au moins huit ans. Quand j'étais jeune, mon but était d'aller jouer en anglais à Hollywood. Je voulais écrire à tous les acteurs que j'aimais!»

S'il compte toujours faire l'acteur dans des films dont il ne signe pas la réalisation, Xavier Dolan doit quand même parfois refuser certains projets à cause de son emploi du temps.

«On m'a offert un rôle magnifique dans un film - je brûle de dire le titre, mais ça ne servirait à rien - dont le tournage a lieu cet automne. J'ai malheureusement dû décliner parce que je vais accompagner Mommy un petit peu partout dans le monde.»

Telluride contre TIFF

Parlant de Mommy, le cinéaste est revenu enchanté de son court séjour au festival de Telluride, où son film a été présenté en primeur nord-américaine.

«D'abord, le décor est paradisiaque, dit-il. C'est tout un "aria" pour s'y rendre, cela dit. Moi qui aime la forêt, l'automne, la montagne, je ne pouvais pas me trouver à un plus bel endroit. Mais surtout, j'ai fait là quelques-unes des rencontres professionnelles les plus déterminantes de ma carrière. Et ce, en 48 heures! Tout le monde est là, dans un cadre informel et intime, sans aucun fla-fla. Juste du gros fun. Je dirais que ce que j'ai pu retirer de Telluride n'a rien de comparable avec le TIFF. Il y a 285 films ici. Je trouve que leur nouvelle politique de primeurs découle d'un débat stérile qui n'a aucune justification, sinon celle d'une guerre d'ego. Je ne pouvais pas entrer là-dedans.»

Que Mommy soit montré ici après le premier week-end indiffère totalement le cinéaste. À Telluride, Xavier Dolan a en outre pu établir des liens avec trois personnes qui, dit-il, seront déterminantes pour la production de The Death and Life of John F. Donovan, son premier projet anglophone. Beau revirement pour un film dont il a coécrit le scénario avec Jacob Tierney, et qu'il avait cru devoir abandonner, faute d'intérêt chez les Américains. Hier soir, Indiewire a annoncé en exclusivité que Jessica Chastain, qui avait manifesté publiquement son enthousiasme pour Mommy sur Twitter lors de la présentation cannoise, fera partie de la distribution de ce film. Le tournage aura lieu l'an prochain à Montréal, New York, Miami, de même qu'en Angleterre et en Europe centrale.

«Depuis le prix obtenu à Cannes, it's another ball game, me dit-on là bas!», conclut-il.

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Elephant Song prendra l'affiche en 2015 au Québec.

Photo: Sébastien Raymond, Sebray.com