Il y a des journées comme ça, des journées où il y a de l'agitation dans l'air, des gens énervés et des bouchons de circulation qui rendent fous.

C'était une de ces journées à Berlin, hier. D'abord, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou était en ville, la pieuvre tentaculaire de son cortège de voitures blindées étouffant la circulation. Son grand ami, le philosophe superstar Bernard-Henri Lévy, était en ville lui aussi. Mais pas pour faire de la politique. Pour accompagner Mort à Sarajevo, du Bosniaque Danis Tanovic, un film dont le point de départ fut la pièce Hôtel Europe, écrite par BHL et créée à Sarajevo.

Or, surprise, pendant la conférence de presse du film, BHL, habituellement volubile jusqu'à l'incontinence verbale, n'a pratiquement pas dit un mot. BHL, silencieux en public, c'est du jamais-vu! Mais il y avait une raison à ce silence: pendant les 30 premières minutes de la conférence, personne, absolument personne, ne lui a posé de questions, comme si personne dans le fond ne savait qui il était. C'est finalement une journaliste américaine qui a cassé la glace (ou l'iceberg) en lui demandant ce qu'il pensait du film dont il avait été la source d'inspiration.

«Je suis un auteur heureux, a répondu BHL. C'est une bénédiction d'avoir généré un tel film et d'autant plus que ce matin même à Bruxelles, la Bosnie-Herzégovine a officiellement déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne. Que ça se passe en même temps qu'on lance le film, c'est extraordinaire.»

Extraordinaire peut-être sur le plan politique, mais pas sur le plan cinématographique. Pourtant, Danis Tanovic est un cinéaste réputé: Oscar du meilleur film étranger en 2002 pour No Man's Land, qui a récolté une quarantaine de prix dans le monde; deux Ours d'argent pour La femme du ferrailleur en 2009, dont le Prix du jury. Or Mort à Sarajevo est le premier film que Tanovic tourne chez lui et ce retour au bercail ne lui réussit pas. Scénario anémique, histoire qui n'avance pas, film choral éventé, mise en scène brouillonne. Tout ce que ce film entièrement tourné dans le Holiday Inn des Olympiques de 1984 réussit à nous communiquer, c'est que ça ne va pas bien, vraiment pas bien, en Bosnie.

«Je veux que mes films touchent les gens. Si en sortant d'un de mes films, les gens vont manger au lieu d'aller boire et discuter, je considère que j'ai échoué.»

Désolée, mais la première chose à laquelle j'ai pensé en sortant de Mort à Sarajevo, c'est à quelle heure on mange.

Perdus dans la traduction

Le roman Alone in Berlin de Hans Fallada, écrit tout de suite après la Seconde Guerre, a connu un succès planétaire retentissant et a même reçu la bénédiction de l'auteur Primo Levi. Ce dernier, survivant de l'Holocauste, a en effet décrit le roman comme étant le meilleur livre jamais écrit sur la résistance allemande contre les nazis. 

L'acteur et réalisateur Vincent Pérez, qui est à moitié allemand par sa mère, rêvait d'en faire un film depuis des années. Il nous a présenté hier le fruit de son labeur, accompagné par la lumineuse Emma Thompson et par l'Irlandais Brendan Gleeson, l'Alastor Moody de Harry Potter. Les deux forment un couple d'Allemands, vivant à Berlin en 1940. Révoltés contre Hitler depuis la mort de leur fils unique à la guerre, ils vont se lancer dans des actes de résistance, à la fois petits et courageux, notamment en semant partout en ville des cartes postales dénonçant le régime nazi.

L'histoire est belle et parle de gens ordinaires plutôt que de superhéros à la Oskar Schindler, mais la mise en scène de Pérez est statique, académique: du vieux cinéma à papa ou encore du cinéma de grand studio américain avec en prime des Allemands, nazis ou pas nazis, qui parlent tous en anglais. C'est l'élément qui semble avoir le plus dérangé la presse internationale. Un journaliste arménien a même pété les plombs et quitté la conférence de manière intempestive à cause de cet anglais hérétique. Ou peut-être était-ce tout simplement parce qu'il y avait trop d'agitation dans l'air et trop de bouchons de circulation.