Hédi, une histoire d'amour, est un « bouleversement émotionnel » semblable à celui de la révolution tunisienne, dit son réalisateur Mohamed Ben Attia, qui ne cache pas sa surprise que ce soit le premier film arabe en compétition au festival de Berlin depuis 20 ans.

Honneur supplémentaire, des 18 oeuvres en lice, c'est Hédi qui ouvre la compétition officielle pour l'Ours d'or, devant le jury de Meryl Streep, l'actrice aux trois oscars.

« Ce n'est pas que je manque d'ambition, mais jamais je n'aurais imaginé être à Berlin. On a tous été surpris! », confie à l'AFP Mohamed Ben Attia, bientôt 40 ans, dont c'est le premier long métrage.

Il faut remonter à 1996 et Un été à la Goulette de Ferid Boughedir pour retrouver en sélection officielle un film en arabe se déroulant dans le monde arabe.

Avec Hédi, le réalisateur entre dans la cour des grands « après cinq courts » et un parcours atypique. À la Berlinale, il va côtoyer monuments et stars : le Français André Téchiné, le Bosnien oscarisé Danis Tanovic ou encore Colin Firth, Emma Thompson, Nicole Kidman ou Jude Law.

Vendeur de voitures

Pourtant, avant de se lancer dans le cinéma au début des années 2000, Mohamed Ben Attia était « à fond dans le conformisme ». « Commercial itinérant, je faisais du porte-à-porte pour vendre des voitures », sourit-il.

Son héros, Hédi, interprété par le jeune Majd Mastoura, est lui aussi à l'origine « un personnage sans histoire ».

« Il n'est pas au chômage, sa famille n'a pas de souci d'argent », raconte le réalisateur. « Mais c'est quelqu'un qui ne se retrouve plus dans cette société ». Jusqu'à ce qu'il trouve l'amour auprès de Rim, qui va « le révéler à lui-même ».

Cet « élément déclencheur », Mohamed Ben Attia dit l'avoir vécu, le 14 janvier 2011.

Ce jour-là, il est « devant le ministère de l'Intérieur », dans la foule qui pousse à la fuite le dictateur Zine el Abidine Ben Ali, marquant la fin d'une époque où « l'on vivait sous une censure qu'on croyait exclusivement politique mais qui anesthésiait un peu tout le monde ».

Pour lui, c'est de ce « bouleversement émotionnel (qu'est) née l'histoire de Hédi ». « J'ai vu un parallèle intéressant (...) Il se découvre à travers une histoire d'amour, et se détache de toutes les conventions ».

Mais il n'y a « aucun message » politique, enchaîne-t-il. Le personnage principal n'a « aucun lien avec la révolution, c'est quelqu'un qui sous Ben Ali a accepté de laisser glisser les choses ».

Selon lui, il s'agit plutôt d'« un ressenti, d'une émotion commune qui doit parvenir au spectateur ». Celle d'un jeune homme qui découvre qu'il « peut avoir un autre choix. Mais qui constate après l'euphorie que tout n'est pas si simple ».

Le destin de la Tunisie rôde alors à nouveau, admet Ben Attia.

« Partir ou rester »

« C'est vrai qu'on a un peu la "gueule de bois". On croyait qu'il suffisait juste qu'il (Ben Ali) parte pour que les choses s'améliorent. On a cru profondément à ce changement radical, tout comme Hédi veut croire à cette histoire d'amour ».

Le film aborde ainsi une question qui taraude une jeunesse tunisienne en mal d'avenir : « partir ou rester ». Quand Rim, interprétée par Rim Ben Messaoud, perd son travail avec la crise du secteur touristique, conséquence de l'instabilité post-révolutionnaire, le couple songe à « partir ».

Mais « moi, j'y crois encore », assure le réalisateur, en allusion aux soubresauts du pays, unique rescapé du Printemps arabe. La question « de partir, elle ne s'est jamais posée pour moi et j'espère qu'elle ne se posera jamais ».

De sa sélection à Berlin, Mohamed Ben Attia dit ne pas en connaître les ressorts, « la sincérité du propos peut-être », mais plus généralement il se félicite que « le cinéma tunisien bouge ».

« On voit des films qui se détachent, qui plaisent à l'étranger mais aussi ici. J'espère que cette belle énergie va continuer », proclame-t-il.

En tout cas, lui ne s'arrêtera pas là. « J'ai des idées en tête, il faut que je passe très vite à l'écriture ».