Il était une fois une petite famille belge, qui a décidé de tout plaquer pour venir vivre ici, en Gaspésie. Littéralement dans la forêt, en quasi-autonomie. Et visiblement, oui, ça se fait.

Ils ont fait leur pain bien avant que ce soit à la mode. Fait pousser leurs carottes, mangé leurs œufs et baptisé leurs veaux. Ah oui, et construit leur maison, aussi. Depuis 15 ans maintenant. Difficile de trouver meilleur titre : La famille de la forêt, lancé en première mondiale au festival Vues sur mer la semaine dernière (où le documentaire a remporté le prix du public), raconte exactement tout ça, le quotidien, version polaroïd, de cette famille unique, composée de deux parents plus que débrouillards (Gérard Mathar et Catherine Jacob) et de leurs trois (grands) enfants (Côme, Ossyane et Jonas, ados et jeunes adultes).

Autosuffisante

De la cueillette des champignons à l’abattage du veau (Hirondelle) en passant par la mise bas de la vache et le barattage du beurre, tout y passe. En douceur. Quoique sans temps mort. Avec, au passage, bien des réflexions sur cette vie hors norme et hors du temps, quoique pas totalement non plus.

« C’est une famille autosuffisante, mais moderne », nuance la réalisatrice Laura Rietveld (Le rêve d’Okpik, son premier documentaire, lui a valu le prix Œuvre de la relève à Montréal du CALQ, en 2015). « Ils ont de l’électricité, des laptops, et ils achètent du chocolat. Et ils ont envoyé leurs enfants à l’école », dit-elle.

PHOTO ALEX MARGINEAU, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Laura Rietveld, réalisatrice

Le fait que ce soit une famille autosuffisante et néanmoins moderne les rend extrêmement intéressants, et peut-être plus pertinents.

Laura Rietveld, réalisatrice

C’est ainsi qu’on les voit regarder un match de soccer en ligne, et l’image suivante, débiter leur viande. Le tout sans sourciller. Une absence de transition qui en dit long.

On ne saura pas exactement dans quel contexte ils sont arrivés ici ni comment ils ont lancé ce « projet de famille » unique. Ou seulement par bribes : « trop de contraintes administratives » en Belgique, « parce que la Gaspésie, c’est magnifique », etc. C’est que le récit n’est pas chronologique (le père ne raconte son arrivée ici et l’achat de cette terre dans la péninsule gaspésienne qu’au bout d’une bonne heure du film), mais plutôt impressionniste : « Je voulais vraiment transporter le spectateur dans l’expérience de cette vie dans la nature au quotidien, poursuit la réalisatrice, qu’on ressente la nature, et le cycle de la vie. »

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Catherine Jacob a appris à faire du beurre en observant sa grand-mère.

Et c’est voulu : « On parle beaucoup de la crise climatique », poursuit celle qui a elle-même quitté Montréal pour la campagne après avoir rencontré la famille. « Il y a beaucoup de fatigue, les gens se sentent dépassés, ne savent pas quoi faire. Moi, je pense que le changement peut venir beaucoup de l’appréciation et de l’inspiration. Et j’espère que mon film apportera cette inspiration. »

De l’importance d’outiller ses enfants

Au fil des saisons, et des innombrables tâches, le film donne également la parole aux trois enfants du couple, qui racontent ici leur quotidien peu « monotone », c’est le moins qu’on puisse dire. À preuve : « Je ne sais plus à quel âge j’ai eu une tronçonneuse ! », dira l’un. « Ils n’ont pas la même définition de relaxer que nous », ajoutera un autre. Mais surtout différent : ici, pas trop de temps d’écran, disons. Mais plusieurs responsabilités importantes. « Il faut voir aux animaux. » « Ma famille est vraiment différente… »

PHOTO A. MARGINEANU, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Gérard Mathar et Catherine Jacob ont construit une deuxième maison de toutes pièces. Qui sait : un des trois enfants viendra peut-être un jour s’y installer…

Si l’un étudie ces jours-ci l’histoire à l’Université Laval, le deuxième l’agriculture au cégep et le troisième poursuit son secondaire, que feront-ils plus tard ? « Ce n’est pas de mes affaires ! », répond leur père. « Ils font ce qu’ils veulent, mais moi, je fais le maximum pour les outiller. » Il a aussi construit avec sa femme une deuxième maison (en partant de rien, avec du bois de forêt, et beaucoup d’amour, et ça paraît), si jamais l’envie leur vient un jour de s’y installer…

Gérard Mathar le sait, il le dit dans le film et le répète gentiment en entrevue : « Ils me trouvent chiant ! » Mais c’est pour « une bonne cause […] et ils finiront par comprendre »… Son but a d’ailleurs toujours été le même : « Je fais le maximum pour les outiller, répète-t-il. […] On est d’accord que le monde ne va pas très bien. Je n’ai pas l’impression que ça va s’améliorer. Tout le monde sent le malaise. Moi, je n’attends pas que la solution vienne des gouvernements… » D’ailleurs, conclut-il au bout du fil : « Comment est-ce possible qu’à l’école, on n’enseigne pas les bases du jardinage ? »

La famille de la forêt, produit par Les Films du 3 mars et Catbird Productions, arrive en salle ce vendredi.