Antoine Bertrand est la vedette de trois films cette semaine au Festival du film de comédie de l’Alpe d’Huez, en France : Au revoir le bonheur, du Québécois Ken Scott, ainsi que deux films français, J’adore ce que vous faites, de Philippe Guillard, et Trois fois rien, de Nadège Loiseau… dans lesquels il joue un Québécois. « Nous voulons présenter au public français un acteur que nous adorons », ont confié les producteurs de Trois fois rien à l’influent magazine Variety. Discussion outre-Atlantique.

Marc Cassivi : Dans Trois fois rien, tu joues un personnage québécois…

Antoine Bertrand : Oui. Les trois acteurs principaux, on était dans le premier film de Nadège [Loiseau]. Elle a écrit des partitions pour nous. Je lui ai dit de ne pas se « bâdrer » d’écrire en québécois ! On a adapté les dialogues.

M. C. : Tu joues aussi un réalisateur québécois [qui dirige Gérard Lanvin] dans J’adore ce que vous faites. C’est l’invasion française d’Antoine Bertrand le Québécois…

A. B. : C’est drôle. Quand je le jouais [dans Les pays d’en haut], j’ai lu une lettre du curé Labelle dans son Voyage en France et il disait : « Ils veulent du curé Labelle et je leur en donne tant et plus ». J’avais trouvé ça beau parce qu’il avait compris dans le fond ce qui était sa spécificité, son attrait là-bas. Évidemment, je ne pense pas que je vais pouvoir toujours imposer de jouer le Québécois. Mais à un moment donné, j’ai compris, après Demain tout commence [en 2016, dans lequel il jouait un Français aux côtés d’Omar Sy], que je n’étais pas aussi libre. Je le répète souvent : je ne tiens pas absolument à faire carrière en France. Donc je dis toujours aux producteurs : je pense que c’est mieux pour le film et que c’est mieux pour vous [que je joue un Québécois].

M. C. : Et ça semble fonctionner…

A. B. : C’est le pari que je fais. Mon prochain film, c’est ça. Ils m’ont proposé un rôle de Français, je leur ai proposé de jouer un Québécois et ils ont accepté. Ça fait que je me sens beaucoup plus libre, je me sens beaucoup plus à l’aise et beaucoup plus drôle, quand ce sont des comédies. Je suis content parce que jusqu’à maintenant, les gens acceptent le deal et ne sont pas déçus au final. La réalité des gens en France, c’est qu’ils connaissent tous un Québécois ou ont de la famille qui habite au Québec. Les Français nous aiment ! Ils savent qu’on est vrais ; qu’on est cash, comme ils disent ! [Rires]

M. C. : Les choses ont évolué, je pense. Il y a à peine 10 ans, un film québécois était présenté avec des sous-titres en France. Que tu joues à répétition des personnages québécois, c’est quand même le signe d’une évolution importante.

A. B. : Je pense qu’il y avait un manque d’effort de leur part de juste essayer de nous comprendre. C’était de bon aloi aussi de dire : « On ne comprend rien ! » Puis il y avait aussi peut-être une forme de regard un peu hautain. Mais je pense qu’avec les années, avec la diaspora française qui est énorme à Montréal, avec l’accès par internet à des entrevues, des films et des youtubeurs d’ici, c’est une réalité maintenant qui est plus proche d’eux. On le sait, les choses ne changent pas facilement en France. Mais je pense qu’avec la force des médiums et des gens qui se promènent de plus en plus chez nous, il y a un petit mouvement.

M. C. : Ça prend aussi, en l’occurrence, des gens qui croient en toi…

A. B. : Ça prend des producteurs qui te soutiennent. Je n’ai pas un nom en France. Pour qu’un producteur dise que son personnage principal, c’est un gars que les gens connaissent peu, il faut qu’il soit prêt à aller au batte pour toi. Ceux qui me font confiance ont envie de me donner une chance et de me présenter au public. Ils disent : « On va faire le film avec moins d’argent, mais on veut le faire avec toi. »

Ce que j’aime, c’est l’opportunité de surprendre les gens pour la première fois, à 45 ans, alors que chez nous, il faut que je fouille 100 fois plus fort dans mon coffre d’outils pour arriver à surprendre. C’est un cadeau.

Antoine Bertrand

M. C. : Je lisais justement dans Variety les producteurs de Trois fois rien [aussi producteurs des Misérables de Ladj Ly] chanter tes louanges et dire qu’ils veulent « ouvrir une nouvelle voie pour le talent québécois dans la culture populaire française ». C’est assez exceptionnel.

A. B. : Comme des fois les projets sont d’abord écrits pour des Français, on n’est pas dans le Québécois de service ou dans le folklore. On raconte l’histoire d’un gars et ça adonne qu’il est québécois. Dans le film de Nadège, on n’explique pas du tout ses origines. C’est juste la réalité. Les gens acceptent de suivre ou pas. Jusqu’à maintenant, à la lumière de la projection au festival, ça adhère ! [Rires]

M. C. : Les gens rient…

A. B. : Oui, mais pas que ça. Quand on est sortis de la salle, il n’y avait pas un œil sec. Les personnages sont trois vagabonds. Ils sont attachants, mais ils sont aussi abîmés et usés par la rue. Leur santé mentale est à la limite de basculer vers quelque chose de pas très cool. C’est de la bonne moulée pour un acteur.

M. C. : Tu dis que tu ne tiens pas nécessairement à faire carrière en France, mais les projets s’accumulent là-bas pour toi. Quel est ton rapport à cette carrière française ?

A. B. : Ça arrive au bon âge, parce que ça me permet de le vivre en dilettante complètement. Il n’y a pas de secret. Si tu veux pousser ici, il faut que tu sois sur place. C’est pour ça que je suis ici cette semaine. Honnêtement, j’ai hésité à venir. Ce n’est pas le temps de voyager. Je suis là parce que ça va peut-être me donner des occasions par la suite. Je le prends comme un cadeau, en sachant très bien que ma carrière est chez nous et que je ne manque pas d’ouvrage au Québec. J’ai le meilleur des deux mondes, parce que j’adore la France et les Français. Ça me permet de venir faire des saucettes ici. Mais je n’ai pas d’agent français et il n’y a pas d’ambiguïté sur où ça se passe pour moi. Le reste, c’est des petites douceurs en plus.

M. C. : La France, c’est du gravy…

A. B. : J’osais pas dire gravy. Mais si toi tu le dis, c’est correct ! [Rires]

M. C. : On te voit moins chez nous quand même, non ?

A. B. : Je n’ai pas tourné une seule journée en 2021. J’appelle ça de la paresse, mais je pense que je prends plus du temps pour moi depuis une couple d’années. J’aime ça, parce que j’écœure pas le monde avec ma présence. Il est divertissant, Antoine, mais un peu trop d’Antoine, ça peut devenir lassant ! [Rires]

M. C. : Prendre plus de temps pour toi, est-ce que c’est lié aux problèmes de santé que tu as eus ? [Il a subi un infarctus en 2016.]

A. B. : Sans vouloir banaliser ce que j’ai vécu, je pense que c’est surtout lié à l’âge et à la charge de travail que j’ai absorbée pendant les 10 premières années, voire les 15 premières années de ma carrière. J’ai beaucoup travaillé parce que c’était le moment de me faire un nom. De nature, je suis plutôt paresseux. Pas au travail, mais entre deux contrats. J’ai beaucoup de plaisir à occuper mon temps avec autre chose que le métier. Je n’ai pas d’enfant. Je n’ai pas besoin de millions pour vivre. J’ai un train de vie somme toute assez modeste. Et j’aime bien me détendre ! J’ai eu la chance de travailler sur des projets qui ont eu de l’impact, ce qui fait que le téléphone, même si je réponds moins souvent, sonne encore. Je suis bien conscient que ce n’est pas tout le monde qui a ce privilège. On dit que le mouvement amène le mouvement et c’est comme ça dans notre métier. Mon but, c’est de continuer à travailler le plus longtemps possible. S’il faut embrayer en deuxième vitesse, je vais m’adapter, mais pour l’instant, c’est comme ça que je mène ma barque. Elle ne semble pas prendre l’eau ni couler… Mon Dieu, quelle métaphore nautique de marde ! [Rires] Pour l’instant, ça semble marcher.