Dans le nouveau film de Jane Campion, l’acteur australien incarne un jeune homme atypique qui se retrouve dans un ranch du Montana en 1925. Pour Kodi Smit-McPhee, dont la performance a été unanimement saluée, l’expérience a été si marquante qu’il a même dû faire le deuil de son personnage. Rencontre avec un artiste aux multiples talents.

Dès le lendemain de la première mondiale de The Power of the Dog, à la Mostra de Venise, on a dit de lui qu’il était une révélation, qu’il allait sans doute se retrouver en bonne position pour la prochaine saison des trophées, que sa performance allait inévitablement propulser sa carrière à une vitesse supérieure. Dans The Hollywood Reporter, on a en outre pu voir son visage sous la rubrique Next Big Thing. Faisant parfois penser à Théodore Pellerin pour l’allure et à Timothée Chalamet pour le style, Kodi Smit-McPhee n’est pourtant pas un nouveau venu.

Né il y a 25 ans à Adélaïde, en Australie, l’acteur compte déjà plusieurs années de métier, ses premiers crédits professionnels remontant à l’enfance. Le fils préadolescent de Viggo Mortensen dans The Road, l’adaptation du roman post-apocalyptique de Cormac McCarthy (portée à l’écran par John Hillcoat), c’était lui.

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Avec Viggo Mortensen dans The Road, sorti en 2009

« Ce qui peut paraître comme un succès du jour au lendemain prend parfois 10 ans à se préparer, fait-il remarquer au cours d’un entretien en visioconférence accordé à La Presse. J’accueille tout ce qui m’arrive maintenant avec une grande humilité. Je n’aurais jamais pu prévoir ni rêver ce que je vis aujourd’hui. The Power of the Dog constitue une étape cruciale dans un parcours que je vois comme une évolution lente. J’essaie de prendre les choses comme elles viennent, sans penser à un plan de carrière. »

Comme un abandon

Grâce à The Power of the Dog, Kodi Smit-McPhee marquera assurément les esprits auprès des cinéphiles du monde entier. Pourtant, ce film de Jane Campion, qui n’avait pas offert de long métrage destiné au grand écran depuis 12 ans, comporte surtout des résonances personnelles aux yeux du principal intéressé. Dans cette adaptation du roman de Thomas Savage, campé dans l’État du Montana en 1925, l’acteur incarne Peter, le fils de Rose (Kirsten Dunst), une veuve qui, en épousant George (Jesse Plemons), l’un des deux frères dirigeant un ranch, soulève l’ire de Phil (Benedict Cumberbatch), son nouveau beau-frère. Bien décidé à rendre la vie impossible à celle qui a brisé l’alliance fraternelle, Phil, dont le jardin intérieur semble assez bien garni, s’en prend aussi au jeune homme, dont l’allure et les agissements ne correspondent pas du tout à l’idée qu’il se fait de la virilité.

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Kodi Smit-McPhee, Kirsten Dunst, Jane Campion et Benedict Cumberbatch ont accompagné la présentation de The Power of the Dog (Le pouvoir du chien) au New York Film Festival, tenu le mois dernier.

« Peter donne l’impression d’être naïf, faible et délicat, mais il prouve rapidement le contraire, explique Kodi Smit-McPhee. C’est quelqu’un de puissant, doté d’une forte volonté, et dont l’esprit est libre. En tant qu’acteur, le défi consistait à rendre de façon tangible toute l’ambiguïté et le mystère du personnage. »

Grâce à Jane, j’ai eu l’occasion d’aller explorer de nouveaux territoires intérieurs et de sortir de ma zone de confort. C’est comme un abandon. Les résistances tombent, les mauvais doutes aussi, l’égo n’existe plus, et tu remets entièrement ta confiance entre les mains d’une cinéaste exceptionnelle. C’est extrêmement gratifiant.

Kodi Smit-McPhee

Pour nourrir son interprétation, Benedict Cumberbatch a emprunté, à la suggestion de la réalisatrice de The Piano, la fameuse « méthode », celle voulant qu’on puise dans sa propre mémoire affective pour faire surgir les émotions. L’acteur britannique a ainsi conservé la personnalité de son personnage même quand la caméra ne tournait pas.

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Adepte de la « méthode », Benedict Cumberbatch a maintenu la personnalité de son personnage en tout temps sur le plateau, y compris face à Kodi Smit-McPhee.

« Dans la vie, Benedict est l’Anglais typique, poli et toujours prêt à s’excuser, raconte son partenaire de jeu. Parfois, il devait effacer ses traits de personnalité, car Phil est très hostile envers tout le monde. Une espèce d’effet domino s’en est suivi, car nous avons tous ressenti le besoin de rester chacun dans notre bulle. Jane trouve toujours la meilleure façon possible de tirer le meilleur des comédiens et elle nous invite à chercher nous-mêmes des choses auxquelles nous n’avions pas pensé. Elle n’impose rien, mais la somme de talents qu’elle réunit fait en sorte que tout le monde souscrit à sa vision des choses. C’est magique. »

Ce que le cinéma doit être

Kodi Smit-McPhee indique qu’à force de creuser son personnage de l’intérieur, Peter a trouvé une niche en lui. Au point qu’il a été difficile de s’en séparer. Il en ressent même une forme d’absence, encore aujourd’hui.

« Ça ressemble à de la mélancolie, ou à un sentiment doux-amer, confie-t-il. C’est comme si Peter me manquait. Quand j’ai constaté que je n’enfilerais plus ses chaussures, j’en ai été profondément affecté, à vrai dire. Mais Peter appartient maintenant au monde. Et je trouve ça très beau. »

L’acteur garde par ailleurs un souvenir très vif du moment où il a pu voir sur grand écran le film achevé.

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Kodi Smit-McPhee a assisté au gala LACMA Art+Film, tenu le 6 novembre dernier au Los Angeles County Museum of Art.

« Je crois que face à une œuvre artistique aussi accomplie, les mots ne sont plus nécessaires parce que chaque individu peut en tirer une interprétation personnelle », soutient-il.

C’est ce qui fait la beauté de l’art. Je peux cependant dire que je ne me suis jamais senti comme ça auparavant et que je n’avais encore jamais vécu ce genre d’expérience. Je crois qu’avec ce film, Jane réintroduit auprès des gens de ma génération ce que le cinéma doit être.

Kodi Smit-McPhee

Invité à préciser sa pensée, Kodi Smit-McPhee indique que l’époque dans laquelle nous vivons incite à tout consommer rapidement et facilement. Dans un autre temps, le spectateur était invité à s’impliquer davantage dans une œuvre et en retirait toute la substance, chose beaucoup plus rare maintenant, selon lui.

« The Power of the Dog ne donne rien tout cuit dans le bec, explique-t-il. Ce film invite à l’exploration et fait partie de ces œuvres qui font réfléchir et vous hantent pendant un moment. Je suis persuadé que le cinéma est là pour de bon parce qu’il est nécessaire d’avoir accès à des œuvres qui ne sombrent pas dans l’oubli immédiatement après avoir été vues. »

Un artiste

Vivant à Los Angeles depuis quelques années, Kodi Smit-McPhee, qui tient aussi un rôle dans le film sur Elvis Presley que Baz Luhrmann (Moulin Rouge) vient de tourner, aime aussi explorer d’autres formes d’expression artistique. Il joue de la guitare, compose, chante, écrit, s’adonne à la peinture et à la photo. Peut-être voudra-t-il un jour présenter publiquement les autres facettes de son talent, mais il n’en est pas encore à cette étape.

« J’aime passionnément jouer. Les autres disciplines m’aident à me rafraîchir sur le plan créatif, un peu comme si elles faisaient appel à des parties différentes de mon cerveau. L’envie de communiquer avec les gens à travers d’autres formes d’art est aussi bien présente. On verra ! »

The Power of the Dog (Le pouvoir du chien en français) est présenté en version originale au Cinéma Moderne. Il prendra l’affiche en version originale sous-titrée en français le 19 novembre au Cinéma du Musée et le 22 novembre à la Cinémathèque québécoise. Il sera offert sur Netflix le 1er décembre.