Il y a toujours deux côtés à une médaille. Mais combien de fois regarde-t-on de l’autre côté ? La question s’applique tant à nos propres vies qu’à des évènements historiques, sociaux, politiques. Il en va ainsi de la crise d’Oka concernant l’avenir de la pinède de la communauté voisine de Kanesatake, selon la cinéaste mohawk, Tracey Deer qui, avec Beans, revisite ces évènements tragiques.

Réalisatrice avec un bon parcours (Mohawk Girls), Mme Deer estime que le temps était venu de raconter cette crise du point de vue des membres de sa communauté, où beaucoup de personnes, dont elle-même, ont souffert.

« Le fait de me réapproprier mon histoire, de la faire partager, de la lancer dans l’univers me fait beaucoup de bien, dit la cinéaste, qui a vécu ces évènements à Kahnawake. Je veux m’assurer que cette histoire ne soit pas oubliée et que les gens voient comment les choses se sont passées de notre côté. Dans les reportages médiatiques de l’époque, je n’ai pas reconnu ma communauté, ma famille. »

Récompensé à la Berlinale (Ours de cristal du meilleur film dans la section Génération Kplus), son film est à l’image de ceux des nombreux réalisateurs américains afrodescendants qui, depuis quelques années, racontent des évènements historiques qui les concernent directement. Pensons à Fruitvale Station, de Ryan Coogler, à Selma, d’Ava DuVernay, ou encore à Judas and the Black Messiah, de Shaka King.

Dans Beans, l’histoire est racontée à travers les yeux d’une enfant de 12 ans, Beans (incarnée par la comédienne Kiawentiio), et est largement inspirée du vécu de Tracey Deer.

Le film explore les conséquences de tels évènements sur les personnes. Vivre la violence raciale peut être dévastateur. Dans mon cas, mon adolescence a été très sombre. Je me suis sentie désespérée, inutile et invisible.

Tracey Deer

Certaines scènes, très proches du format documentaire, sont difficiles à regarder. La peur ressentie par les personnages mohawks, comme lorsqu’un cortège de voitures est criblé de pierres lancées par des Blancs en colère, est palpable.

« Raconter l’histoire à travers les yeux d’une enfant constituait pour moi la meilleure porte d’entrée pour aller toucher le cœur des gens, poursuit la cinéaste. Il est difficile de rejeter ou de juger le vécu d’un enfant. J’ajouterais d’ailleurs que le thème du film n’est pas la crise d’Oka, mais le passage à l’adolescence d’une fillette mohawk durant ces évènements. »

PHOTO SÉBASTIEN RAYMOND, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La réalisatrice et coscénariste Tracey Deer (à droite) avec les jeunes actrices Kiawentiio (au centre) et Violah Beauvais (à gauche) lors du tournage de Beans

Il est vrai que l’on voit Beans se transformer sous nos yeux. Elle se maquille, porte de nouveaux vêtements, essaie de prendre ses distances avec sa mère, boit de l’alcool, embrasse un garçon. Elle se fait aussi de nouveaux amis. Certains sont bien ; d’autres, moins.

Autrement dit, Beans est une enfant qui vit son passage à l’adolescence comme n’importe quel autre jeune. À travers son comportement, sa transformation, la cinéaste fait un appel de phares aux spectateurs, comme si elle leur disait : « Vous voyez ! Nous sommes tous dans le même bateau, nous vivons tous les mêmes situations. »

Si elle raconte l’histoire des évènements de 1990 du point de vue mohawk, la cinéaste n’en est pas moins critique envers certains comportements de membres de sa communauté. Ainsi, lorsque Beans et ses amis font trop de chahut dans un hôtel, sa mère, Lily (Rainbow Dickerson), les ramène promptement à l’ordre, arguant que ce n’est pas avec de tels comportements qu’on va aplanir les différends.

Construire des liens

Dans son film, Tracey Deer salue aussi le pouvoir des femmes mohawks pour faire baisser la tension dans certaines situations. On le voit notamment à travers une scène formidable dans laquelle ces dernières forment une chaîne humaine entre des policiers de la Sûreté du Québec et des Warriors.

« J’ai voulu y montrer le pouvoir que les femmes peuvent avoir, dit-elle. Bien sûr, je veux que la violence raciale envers les Premières Nations cesse. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour se rejoindre. Mais je crois que les gens de tous les horizons sont aujourd’hui plus ouverts à ce que l’autre a à dire. »

Tout son travail, défend-elle, est teinté par sa volonté de construire des liens entre les gens. « Je suis une femme d’espoir et c’est pour cela que la finale de Beans est remplie d’espoir. Cela me ressemble. »

En salle le 2 juillet