Fort d’un grand succès public en France et d’un triomphe à la cérémonie des Césars, Adieu les cons s’amène enfin au Québec. Une occasion de discuter avec Albert Dupontel, un créateur singulier, discret sur le plan médiatique et dont le mal-être existentiel nourrit l’œuvre depuis bientôt trois décennies. Nous avons joint le cinéaste à Paris.

Pour Albert Dupontel, tout part toujours d’une idée toute simple. En écrivant le scénario d’Adieu les cons, il a imaginé une rencontre improbable entre quelqu’un qui ne veut plus vivre, et quelqu’un qui, atteint d’une maladie incurable, souhaiterait vivre plus longtemps. Comme souvent dans les films du réalisateur de 9 mois ferme, les questions d’origines et de filiations sont ponctuées d’observations cinglantes sur la société, dont il fait ressortir le caractère absurde, parfois même burlesque.

Mettant en vedette Virginie Efira, Albert Dupontel et Nicolas Marié, Adieu les cons relate les péripéties d’une femme de 43 ans, sérieusement malade, qui part à la recherche de l’enfant qu’elle a été forcée d’abandonner à l’âge de 15 ans. Dans sa quête administrative, elle tombe sur un crack en informatique en pleine dépression, ainsi que sur un archiviste aveugle qui gère un service que personne ne consulte jamais.

« Au moment de l’écriture, les idées viennent vite, indique celui qui propose aujourd’hui son septième long métrage à titre de réalisateur. Mais les mettre ensuite en ordre pour en faire un scénario est très laborieux. J’y mets toujours un temps fou. Je revendique le côté redondant de mon écriture, car je ne peux pas faire autrement. N’est pas Woody Allen qui veut ! »

Fuir la réalité

Angoissé notoire, Albert Dupontel s’est lancé dans le cinéma pour fuir la réalité, d’abord en tant que spectateur – c’était l’époque où il suivait les traces de son père en étudiant la médecine – puis à titre de créateur. C’est après avoir poussé la porte d’un cours de théâtre que la machine s’est mise en marche « de façon anarchique et pas du tout préméditée », précise-t-il. Prenant exemple sur quelques idoles, parmi lesquelles Graham Chapman et Terry Gilliam, deux membres des Monty Python (l’un a étudié en droit et l’autre en sciences politiques), Philippe Guillaume (son vrai nom) s’est dit qu’il pouvait bien se permettre cet « écart de régime ».

« J’ai changé de nom pour ne pas faire honte à mon père et j’ai eu raison. Il aurait pu rougir plusieurs fois de ce que j’ai fait ! Quand il a vu Bernie [son premier long métrage], il m’a dit : mais qu’est-ce que je t’ai fait ? Après, j’ai commencé comme j’ai pu, par de petits spectacles où j’ai trouvé une façon d’éructer un peu maladroitement une certaine peur de vivre. Comme mes icônes, Jacques Tati, Woody Allen, Sacha Guitry, les Monty Python, Charlie Chaplin, j’ai ensuite voulu transposer cela avec une caméra, car j’y voyais une manière très élégante d’exprimer ce que je pouvais ressentir. J’ai toujours été un grand consommateur de films, beaucoup plus que de théâtre ou de littérature. J’ai enfin eu un jour les clés en main pour réaliser un court métrage et ça s’est ensuite enchaîné. Mais je vois toujours ça comme une fuite, quelque chose que je n’ai jamais vraiment assumé. »

PHOTO FOURNIE PAR A-Z FILMS

Adieu les cons met en vedette Albert Dupontel, Virginie Efira et Nicolas Marié. Ce dernier a obtenu le César du meilleur acteur dans un second rôle grâce à sa performance.

À cause de son caractère « un peu radical », Bernie a été difficile à monter à l’époque. Mais la personnalité du cinéaste, tout autant que son talent d’acteur, a rapidement imposé Albert Dupontel parmi les voix les plus originales du cinéma français.

« C’est difficile de planifier une carrière, encore plus difficile de planifier une vie, parce que c’est quand même elle qui décide pour nous. J’ai eu plein de pépins et je me suis adapté chaque fois comme je le pouvais. Commenter le monde à ma façon, je trouve ça plutôt enrichissant, gratifiant et rigolo. Ça donne aussi un sens à ma vie. Ce métier est plus une façon de vivre, en fait. »

Une notoriété discrète

Depuis quelques années, les films d’Albert Dupontel obtiennent à la fois un grand succès public et le soutien de la critique. Adieu les cons, dont la carrière en salle a repris en France après une interruption de plusieurs mois, a déjà attiré là-bas plus de 1,6 million de spectateurs. Lors de la plus récente cérémonie des Césars, à laquelle le cinéaste a choisi de ne pas assister, cette tragi-comédie a remporté pas moins de sept trophées, dont ceux remis au meilleur film, à la meilleure réalisation et au meilleur scénario. Cette reconnaissance n’incite pourtant pas vraiment son auteur à jouer le jeu médiatique.

« Je préfère la discrétion. Nous sommes déjà tous en train de crever à cause des réseaux sociaux. J’ai un réflexe de défense, pour ne pas dire une phobie sociale, qui me pousse à toujours rester un peu à l’écart. C’était le cas même avant d’exercer ce métier. On a tellement de choses à raconter à travers un film, si, en plus, il faut aller sur les plateaux de télé, j’avoue voir là un peu de triche. Je n’y suis pas super à l’aise non plus, pour tout dire. On se retrouve confronté à notre image et ce n’est pas forcément toujours agréable. Autant j’ai de l’estime personnelle quand je réalise mes films, autant je ne suis pas super fier de moi quand je vais faire le guignol à la télé. »

Pour le moment, tout se passe bien, pourquoi devrais-je changer quelque chose ? Je préfère réaliser des films et cogiter le reste du temps !

Albert Dupontel

Il se trouve pourtant que le réalisateur d’Au revoir là-haut, malgré sa discrétion, jouit d’une très grande notoriété. Ses choix exigeants lui ont valu l’admiration des cinéphiles, mais également l’affection du grand public.

« J’aime beaucoup les gens, faut pas croire ! confie-t-il. J’adore aller à leur rencontre parce que j’ai vraiment envie d’entendre leurs réactions, même si elles sont parfois contradictoires. J’ai besoin de ce contact. Je suis très heureux que les gens aillent voir mes films, si tant est qu’ils se disent à la sortie qu’avec moi, ils passent un bon moment. C’est là ma grande ambition d’existence. Mais la notoriété peut vite être un poison. »

La même pulsion

Après bientôt trois décennies d’un parcours aussi riche qu’atypique, Albert Dupontel est animé de la même pulsion créatrice, laquelle le pousse à écrire, réaliser et enchaîner les films. Il s’affaire d’ailleurs ces jours-ci à établir la distribution de Second tour, fable politique dans laquelle il ne jouera cette fois aucun des personnages.

« J’ai commencé à faire du cinéma pour exorciser ma peur de vivre, dit-il. Aujourd’hui, c’est toujours le cas. Nous avons tous le même point commun : on va se barrer à un moment donné. Faire des films me permet d’exorciser le côté éphémère de la vie, son côté un peu dérisoire et absurde. En vieillissant, le plaisir est encore plus manifeste, car je sais que le temps est compté. »

Adieu les cons prendra l’affiche en salle le 25 juin.