Il a été chauffeur de taxi dans L’affaire Coffin, le frère Léon dans Le frère André, Joseph Cloutier dans Le déserteur, Daniel Johnson dans la série Duplessis, Louis Riel dans la série Riel, Jean Drapeau dans Montréal, ville ouverte, l’abbé Groulx dans Simone et Chartrand et Gérard Pelletier dans Trudeau. Le comédien Raymond Cloutier est un habitué des œuvres historiques, à la télé comme au cinéma. Entretien.

Qu’aimez-vous dans le fait d’être un personnage de l’histoire ou de jouer dans une œuvre historique ?

« La relation avec la vérité. C’est particulier de se faire offrir de remettre en images quelqu’un qui a vécu réellement et qui compte des faits d’armes importants. Cela nous crée des contraintes créatives ; on a à respecter des balises de tempérament du personnage, d’historicité, d’origine, de but, de destin. Le personnage existe au préalable et nous devons y entrer en toute liberté. C’est très intéressant pour quelqu’un qui joue. »

Quels sont les enjeux et défis lorsqu'on incarne un personnage historique ?

« Le plus grand défi ou danger, c’est l’imitation. Si on aborde la personne historique par le biais de ce qu’elle a l’air, de comment elle parle, de comment elle bouge, c’est très dangereux. Il faut commencer par se prendre pour cette personne-là. Dans mon cas, le meilleur exemple est Jean Drapeau. À un moment de ma carrière, j’ai été morning man à la station de radio CKVL et, durant une campagne électorale, j’ai eu l’occasion de l’interviewer durant deux heures. J’ai pu saisir chez lui l’idéalisme et en même temps tout son côté politique, de stratège, pour gagner l’élection. Cela a été pour moi un levier plus important qu’une imitation. »

Quel personnage fut le plus difficile à incarner ?

« Louis Riel. Mis à part des photos, on n’avait rien. On ne connaissait pas l’énergie qu’il avait. On ne connaissait pas le ton de sa voix pour savoir comment les choses se passaient dans sa tête. J’ai pris un angle plus spirituel que guerrier. Plus intellectuel que batailleur. On me l’a reproché, d’ailleurs. Mais je jouais avec Roger Blay, qui incarnait un Gabriel Dumont fort et bourru. Je n’ai pas voulu aller dans cette voie-là afin que l’on fasse un couple contrasté. »

PHOTO TIRÉE D'IMDB

À gauche, Raymond Cloutier dans la minisérie Riel dans laquelle il incarnait le chef métis Louis Riel.

Vous avez par ailleurs incarné le Großadmiral Karl Dönitz (grand amiral de la marine allemande durant la Seconde Guerre mondiale et successeur d'Hitler à la tête du Troisième Reich) dans la série Nuremberg d’Yves Simoneau. Parlez-nous de ce projet.

« C’était comme un deuxième rôle, pour ne pas dire un troisième. Je n’ai pas eu beaucoup à parler. J’avais un petit monologue dans la boîte des accusés qui a été coupé au montage. Mais ce qui a été intéressant fut de passer deux ou trois semaines avec de grands acteurs comme Alec Baldwin et Christopher Plummer. De revivre ainsi l’histoire et d’incarner tout à coup le mal, ce qu’il y a de pire dans l’âme humaine, il faut assumer ça. C’est assez troublant et on doit aller chercher en soi des zones d’ombre qui permettent de jouer cela ! »

Serait-il intéressant de faire davantage de longs métrages sur des personnages et des évènements politiques de l’histoire du Québec et du Canada ?

« Je crois que c’est essentiel. Il y a dans notre histoire des drames shakespeariens incroyables. Lorsque j’ai joué Gérard Pelletier dans la série Trudeau, nous sommes passés à travers les évènements d’octobre 1970 du point de vue du bureau de Trudeau. C’était très important de voir ça. Car il y a depuis toujours ce débat autour de cette histoire voulant que Trudeau ait envoyé l’armée au Québec alors que ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé. Nous jouions des scènes qui ont été documentées et il aurait été intéressant de remettre les pendules à l’heure. Malheureusement, je ne crois pas que cela ait été doublé en français. »

PHOTO RÉMI LEMÉE, ARCHIVES LA PRESSE

Raymond Cloutier, au centre, avec Patrice Dussault et Guy Thauvette sur le plateau de tournage du long métrage Le déserteur, de Simon Lavoie.

Croyez-vous aux vertus du cinéma et de la série historique comme vecteurs d’éducation ?

« Beaucoup. Un sujet qui me préoccupe depuis longtemps concerne la fréquentation des arts de la scène et des arts de l’écran par des élèves du secondaire. Ça devrait être obligatoire, avec un bon cahier de préparation pour les décortiquer. Mais on dirait que toute cette création qui nous entoure n’est pas utilisée. On devrait utiliser le corpus national et international pour comprendre l’histoire et se comprendre soi-même. Alors que là, au cinéma, au théâtre comme en danse, on produit, on produit, ça passe comme de la saucisse. Les œuvres d’art sont très éclairantes, mais elles ne sont pas utilisées. »